Et Le Salon beige publie sa lettre ouverte :
Très Saint Père,
A la lumière de vos quatre grands principes d’action, résumés notamment dans Evangelii Gaudium, nous osons vous supplier très filialement, avec tout le respect dû à votre fonction suprême, de revoir la logique contradictoire de votre Motu proprio Traditionis custodes ainsi que les mesures et projets qui en découlent.
Principe 1 : « Le temps est supérieur à l’espace. »
Au lieu de la tentation trop humaine de rechercher à occuper ou posséder des « espaces de pouvoir » (pour les principales positions sur la liturgie), ce qui ne fait guère bouger les choses (comme l’a manifesté la funeste guerre liturgique), initions plutôt, selon vos mots, des « processus », des « dynamiques » avec d’autres personnes et d’autres groupes qui pourront les développer à leur tour. C’est précisément ce qu’a fait votre prédécesseur Benoît XVI par son Motu proprio Summorum pontificum, proposant un enrichissement mutuel des formes du rite romain et une herméneutique de la réforme dans la continuité. Cela permet de « travailler à long terme, sans être obsédé par les résultats immédiats ». N’est-ce pas, en dépit de quelques objections véritables, ce processus pacifique et fécond que laissait apparaître la consultation menée avec les évêques du monde dont les résultats n’ont mystérieusement jamais été divulgués ?
Principe 2 : « L’unité prévaut sur le conflit. »
Là encore, selon vos réflexions, il ne s’agit pas de nier la réalité des conflits avec leurs pôles déterminants, mais de les reconnaître et de les affronter avec la forte volonté de les résoudre, sans dialectique ni diabolisation idéologiques. Ce qui suppose de construire des médiations pour nourrir le dialogue en vue d’« harmoniser toutes les diversités ». N’est-ce pas aussi ce voulait Benoît XVI avec son projet de réforme de la réforme impliquant une rupture avec (l’herméneutique de) la rupture ?
Principe 3 : « La réalité est plus importante que l’idée. »
La résilience de l’ancien ordo et sa résurgence auprès de nombreuses familles et d’une jeunesse missionnaire constituent une réalité avec laquelle il faut compter face à l’idée d’une réforme qui voulait s’imposer unanimement au peuple de Dieu pour renouveler dûment la liturgie. Si importante ou nécessaire que soit cette idée d’une élite, les idées, les connaissances, les normes ne suffisent pas : elles doivent sans cesse être confrontées avec le réel qu’on doit respecter dans sa complexité ou sa diversité et qui finit toujours par commander. A défaut, vous l’avez expliqué, on ne pourra construire que sur du sable. Ou, débrayant ainsi du réel, l’idée tournera dans le vide de l’idéologie. La distorsion qui existe entre l’intention de la réforme conciliaire, ses normes (rappelées à nouveau en partie dans Desiderio Desideravi) et son application visiblement inadéquate dans la réalité indigente de multiples assemblées depuis des décennies, appellent à s’interroger sur la pertinence de cette idée autant que la résilience et la résurgence de ce qu’elle a voulu éradiquer.
Principe 4 : « Le tout est supérieur à la partie. »
Le saint sacrifice de la messe prime ses diverses formes rituelles aussi bien dans le temps que dans l’espace. « Peu importe le chandelier pourvu qu’il y ait la flamme ! » (Marie Noël). Le fait qu’il y ait plusieurs formes dans l’art de célébrer n’empêche pas l’unité (cf. principe 2) ni la communion, pourvu qu’on garde la foi, l’espérance et la charité. « Prêter attention à la dimension globale » sans « perdre de vue ce qui est local, ce qui nous fait marcher les deux pieds sur la terre », avez-vous écrit, ici ou ailleurs, hier et maintenant, dans le souci des besoins concrets des âmes et pour leur salut. De même les différents rites reconnus par l’Eglise au fil du temps ou à travers le monde n’ont jamais entravé son unité dans la diversité, selon votre image éloquente du polyèdre. Si les parties sont pour le tout, ne serait-ce pas nuire au tout – le bien commun de la messe – que de vouloir arbitrairement s’en prendre à une partie si lumineuse et fructueuse, de se servir d’une nouvelle partie comme « arme par destination » contre cette ancienne partie reconnue, prenant cette nouvelle partie pour un tout ?
Sans vouloir entrer davantage dans les débats théologiques existant en cette crise majeure de l’Eglise militante qui ne se limite pas hélas à la liturgie, c’est un simple « catholique du bout du banc » (1) qui, au regard simplement de vos quatre principes d’action (2), réitère aujourd’hui dans les mêmes termes la réclamation adressée par Jean Madiran au pape Paul VI le 27 octobre 1972 : « Rendez-nous la messe ! » (3)
Rémi Fontaine
(1) https://www.lesalonbeige.fr/en-1976-lettre-dun-catholique-du-bout-du-banc-a-son-eveque-nihil-novi/
(2) Critères d’une sorte de prudence sapientielle, ils constituent, selon vous, « l’axe autour duquel le processus de réconciliation peut tourner ».
(3) Cf. Itinéraires n° 169 de janvier 1973 : « Rendez-nous la messe catholique traditionnelle, latine et grégorienne selon le Missel de saint Pie V… Très Saint Père, que ce soit par vous ou sans vous que nous ayons été, chaque jour davantage sous votre pontificat, privés de la messe traditionnelle, il n’importe. L’important est que vous, qui pouvez nous la rendre, nous la rendiez. Nous vous la réclamons. »
Les pétionnaires qui veulent défendre la messe de toujours devraient aller à l’essentiel : convaincre le plus de fidèles possibles sur la nécessité d’invalider les textes du concile Vatican II, son “esprit” et son prétendu magistère pastoral ; demander à nos évèques et au pape uni aux évêques (et inversement) de revenir au principe d’autorité.