L’Europe sous menace turque
Dernier vestige de la présence franque au Levant, l’île de Chypre demeurait encore, en cette fin de XVIe siècle, sous domination chrétienne, dans le giron de la république de Venise. Les turcs n’avaient toutefois pas renoncé à dévorer cette proie appétissante, à quelques encablures à peine de leurs côtes. En 1570, se jugeant suffisamment fort pour affronter tout adversaire, l’Empire Ottoman se jeta sur Chypre et s’empara de l’île au terme d’une campagne sanglante et brutale. Le grand turc pensait pouvoir étendre impunément l’ombre de sa domination sur l’Europe chrétienne, car les royaumes occidentaux étaient alors divisés, dans les remous suivant l’apparition du protestantisme.
Intervention providentielle de Notre-Dame du Rosaire
C’était sans compter sur la providence divine, qui avait suscité quatre ans auparavant un grand pape dans la personne du père Michele Ghisleri, fils de saint Dominique, devenu pape sous le nom de Pie V. Appliqué à la réforme de l’Église selon les canons du concile de Trente, Pie V est connu pour la bulle par laquelle il unifia le rit romain de célébration de la messe. Horrifié par la description des crimes perpétrés à Chypre par les Turcs, et par la menace que cette nouvelle incursion musulmane faisait peser sur l’Europe, le Pontife entreprit de réunir les forces des royaumes chrétiens en une sainte ligue, dont les armées auraient été suffisamment puissantes pour se porter à la rencontre des infidèles. En dépit de ses efforts diplomatiques, le Saint Père ne put réunir une flotte qui semblait de taille à menacer les forces turques. Conscient de la difficulté de l’entreprise mais persuadé de sa nécessité et de sa conformité au plan divin, le pape résolut de confier les armées chrétiennes à un excellent capitaine : don Juan d’Espagne, mais surtout à une grande reine : Notre-Dame du Rosaire. Il recommanda à toute l’Église de supplier instamment par la récitation chapelet, la grande prière qui nous unit à Marie comme des enfants accrochés à la main de leur maman. L’intercession de la Sainte-Vierge mérita manifestement l’intervention divine aux côtés des navires chrétiens, qui remportèrent à Lépante le 7 octobre 1571, le long des côtes occidentales de la Grèce, une victoire retentissante, qui éloignera pour longtemps la menace musulmane des territoires européens. À l’instant décisif, le pape, regardant à sa fenêtre vers l’orient, eut une vision qui lui annonça l’issue heureuse de la bataille, connue à Rome seulement une quinzaine de jours plus tard. La victoire sera commémorée par une fête en l’honneur de sa principale médiatrice : Notre-Dame du Rosaire, le premier dimanche ou le septième jour du mois d’Octobre, tout entier consacré à cette dévotion mariale.
Le rosaire : prière antique et traditionnelle
La répétition des Ave du rosaire n’est pas incompatible avec la prière vraie, au contraire – comme est nécessaire aux aimants la répétition des mots de leur fidélité. Les premiers moines développèrent cette prière rythmée sur le pouls ou la respiration, qu’on appelle la prière du cœur. Dès le XIIe siècle les cisterciens, guidés par saint Bernard, aimaient déjà à réciter les trois couronnes de cinquante Ave Maria, en souvenir des 150 psaumes du roi David. S’étant retiré en forêt de Bouconne, au sud-ouest de Toulouse, et priant pour la conversion des cathares, saint Dominique y reçut le saint rosaire des mains de Notre-Dame pour toucher le cœur des hérétiques. Depuis lors les chrétiens aiment à se confier à leur maman du ciel en égrenant leur chapelet et reprenant les paroles simples et confiantes du « Je vous salue Marie ». Nombreux sont ceux que cette prière à gardés, soutenus, sauvés à l’heure du danger ou du désespoir.
Le rosaire : prière des familles
Il y a tout juste vingt ans, Jean-Paul II disait du saint rosaire qu’il est un résumé de l’Évangile en lequel résonne la prière de Marie. En méditant avec elle les mystères de la vie de Jésus, c’est comme si nous les vivions avec elle, comme si nous les contemplions par ses yeux et en elle nous y unissions. Le saint pape recommandait en particulier cette prière pour les familles : demandons-nous aujourd’hui quelle place a le rosaire dans nos vies et nos familles – car cette place, c’est celle que nous laissons à Marie. Par sa maternelle bienveillance elle veut être présente au cœur de nos vies et de nos foyers, et cette présence, c’est celle du saint rosaire.