Suite à la rencontre entre des représentants de l’épiscopat et Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée aux professions de santé, Mgr Jordy a été interrogé dans Famille chrétienne. Extrait :
Lors des dernières lois de bioéthique, l’Eglise a dit qu’elle avait l’impression d’être beaucoup écoutée mais pas entendue. Avez-vous eu l’impression d’être écouté et entendu ?
Mgr d’Ornellas lui-même a repris la formule. Il a fait remarquer à la ministre que, souvent, sur les questions de bioéthique, on discute beaucoup mais on dialogue peu. Les arguments des uns et ceux des autres sont exprimés. Mais les arguments de ceux qui ne sont pas en accord avec ceux qui conduisent les travaux ne sont pas nécessairement intégrés. C’est une vraie question. Nous avons donc dit : « Attention ! » Ce matin je lisais un article de Marcel Gauchet disant que la société française est dans une situation épouvantable, à tous niveaux : déclassement social, une série de réalités régaliennes qui ne fonctionnent plus ou mal : hôpital, école… On se pose des questions un peu partout. Il ne faudrait pas rajouter du désespoir au désespoir. Et en particulier en donnant le sentiment qu’on a intégré les gens dans une réflexion mais qu’on ne les a justement pas écoutés. Et donc qu’il y en a qui ne comptent pas ou ne comptent plus, et que les décisions se prennent sans que vraiment tous les Français puissent participer à cette réflexion.
Avez-vous noté des points de convergence ?
Oui. Sur la méthode qui va encadrer cette réflexion, nous avons évoqué en particulier l’esprit « apaisé » dans lequel nous souhaiterions que ce débat ait lieu. Nous avons dit qu’il nous fallait pouvoir écouter les positions des uns et des autres et chercher à trouver une manière de faire en sorte que soient au centre le respect de la personne humaine et la fraternité. Nous sommes d’accord pour dire que nous avons besoin d’un dialogue qui ne se vive pas dans l’outrance ou dans la violence, qui puisse être constructif. Mais nous demandons à voir.
Le précédent des états généraux de la bioéthique ne pousse pas à faire confiance…
Le débat ne pourra se faire que dans des conditions respectueuses. Il y aura la convention citoyenne, dans le cadre de laquelle des Français seront invités à se prononcer, et d’autres débats qui auront lieu, certainement au niveau local. Je sais bien que la dernière expérience, lors de la dernière révision des lois de bioéthique, s’est un peu terminée en queue de poisson, je me suis d’ailleurs permis de le dire à la ministre. Je lui ai également rappelé que les membres de la convention sur le climat, appelés à voter sur la qualité de qu’ils avaient fait, avaient donné une note de 3,3 sur 10. Cela veut dire qu’il faut désormais faire les choses avec sérieux. Car il y a beaucoup de désespoir en France, un vrai mécontentement, et même une sorte de violence qui monte dans la société. Ce débat est peut-être aussi l’occasion d’avoir une réflexion fondamentale sur ce qu’est la vie, la fin de vie, le respect de l’autre, l’accompagnement de la personne, la fraternité. S’il est bien mené, il peut peut-être aussi apporter un bénéfice à la qualité des relations sociales dans son ensemble.
Engager un « débat » pour changer la loi, n’est-ce pas déjà influencer les débats dans le sens de la légalisation du suicide assisté et de l’euthanasie ?
Bien évidemment. C’est le principe du toboggan, comme le disent certains. On entend aussi des personnes se référer à des sondages pour affirmer que les Français seraient « prêts ». Or, par exemple, en 2016, un sondage avait été fait sur la fin de vie par le même institut à trois semaines de différences, avec deux questions formulées de manière légèrement différente, et les résultats étaient complètement contradictoires. Cela montre bien que selon la manière dont on pose la question on induit la réponse. J’ai souligné aussi auprès de Madame Firmin Le Bodo que dans l’Oregon, Etat américain qui a fait le choix de mettre en œuvre le suicide assisté, sur 100 personnes qui demandent ce suicide, 50% viennent chercher la substance létale et 30% des 50% l’utilisent. De la première idée à la mise en œuvre, il y a tout un processus et donc on est dans de la complexité. A nous donc d’essayer de permettre que ce soit un débat et qu’il ne s’agisse pas d’entériner simplement des choses qui sont déjà décidées.
Les laïcs attendent que l’Eglise exprime une parole claire sur ces thèmes. Les encouragez-vous à prendre eux aussi la parole sur ces sujets notamment dans les médias ?
Bien évidemment. C’est tout le sens de la société civile. Je rappelle que la laïcité concerne l’Etat, pas la société. Dans la société, le débat est ouvert. J’invite bien évidemment les catholiques à prendre leur part, de manière réfléchie, et, comme dit l’apôtre Pierre dans sa première épître, à rendre raison de l’espérance qui est en nous, toujours avec respect.