Le nouveau cardinal Aveline, archevêque de Marseille, a été interrogé dans Le Figaro par Jean-Marie Guénois. Extraits :
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À trop dire oui à l’immigration, le pape François favorise-t-il, en Europe, la montée de l’extrême droite, une option politique qu’il combat pourtant ouvertement ?
Que je sache, le pape ne parle pas d’accueil inconditionnel, car il sait que chaque pays a des ressources et aussi des limites. Mais il attire l’attention sur les personnes. Derrière les chiffres et les idéologies, il y a des personnes humaines, créées comme nous à l’image et à la ressemblance de Dieu, qui méritent le respect. L’exil est toujours un drame, je le sais d’expérience ! Le mieux est sans doute d’éviter qu’il apparaisse comme la seule solution, en réactivant des politiques d’aide au développement.
Né en Algérie, vous connaissez bien l’islam. Certains disent les catholiques trop « naïfs » avec les musulmans ?
La question de l’islam est très importante en France aujourd’hui, mais ce n’est pas qu’une question religieuse. Les gouvernements successifs font ce qu’ils estiment devoir faire. J’observe que la représentation musulmane en France est devenue de plus en plus éclatée, pour le meilleur et pour le pire ! L’Église de France, quant à elle, essaie de suivre la boussole du concile Vatican II, que les papes successifs ont mise en oeuvre selon les défis caractéristiques de leurs époques respectives : Jean-Paul II, dans un contexte de grandes tensions internationales, a mis l’accent sur l’urgence du dialogue et de la prière pour la paix ; Benoît XVI, aux prises avec d’autres crises, a défendu l’importance de la liberté religieuse ; François, privilégiant les rencontres interpersonnelles pour tenter de dépasser les blocages idéologiques, a encouragé la fraternité. Mais pour les trois, comme je l’ai appris en travaillant longtemps auprès du regretté cardinal Tauran, c’est la même boussole du concile qui est à la base de leurs engagements en ce domaine : tout en témoignant du Christ, unique Sauveur du monde, l’Église considère avec un profond respect toute la recherche spirituelle de l’humanité.
Affaire Aupetit, rapport Sauvé, hautes tensions avec les traditionalistes, l’Église de France est-elle en grave crise ?
Votre énumération, qui n’est malheureusement pas exhaustive, prouve bien que l’Église de France traverse une succession de crises, plus ou moins difficiles. Est-elle elle-même en crise pour autant ? Je n’irai pas jusque-là. Le récent pèlerinage du 15 août à Lourdes, que j’ai eu la joie de présider, a montré beaucoup de vitalité.
Vous avez été visiteur apostolique dans le diocèse de Toulon. Que pouvez-vous dire de la situation de ce diocèse ?
Je dois d’abord rectifier : je n’ai pas été visiteur apostolique dans le diocèse de Toulon parce que, à ce jour, il n’y a pas eu de « visite apostolique » . En tant qu’archevêque métropolitain, je me dois d’entretenir des relations fraternelles de soutien et de conseil au service de tous les évêques de la province. C’est dans ce cadre que, dès 2020, la Congrégation pour le clergé m’a demandé d’effectuer une visite de métropolitain (appelée donc « visite fraternelle » pour bien la distinguer d’une « visite apostolique » ) dans le diocèse de Fréjus-Toulon. Si cela m’était demandé, c’est parce que de très nombreuses questions étaient remontées, depuis plusieurs années, et que la Congrégation souhaitait y voir plus clair. Pour ce travail, j’ai pu compter sur une excellente relation avec Mgr Rey (nous nous connaissons depuis le temps de nos études à Paris), avec ses vicaires généraux et avec le supérieur du séminaire. Je leur rends hommage, car nous avons cherché à coopérer au mieux en vue du bien du diocèse, malgré les difficultés liées au choc de la suspension des ordinations (annoncée cependant deux mois à l’avance, par un décret daté du 28 avril). Je crois que Rome, en tirant le signal d’alarme, a préféré stopper momentanément le train, afin d’écouter les plaintes de nombreuses personnes, de resserrer la gouvernance, de mieux accompagner les communautés et les prêtres, et surtout d’éviter que tout ce qui se fait de bon dans ce diocèse très créatif ne soit perdu dans un déraillement qui paraissait inévitable si l’on avait continué sur la lancée. Lors d’une réunion interdicastérielle qui a eu lieu en mai dernier, il a été décidé que ce serait maintenant à la Congrégation pour les évêques de suivre ce dossier. Nous en sommes là.
Comment voyez-vous l’évolution du dossier traditionaliste en France ?
Je ne sais pas comment les choses vont pouvoir évoluer. À Marseille, j’entretiens de très bonnes relations avec les fidèles qui se réunissent à la paroisse Saint-Charles et célèbrent selon le vetus ordo. Je vais régulièrement célébrer avec eux et je continuerai à le faire. J’ai nommé le prêtre qui est responsable de cette paroisse comme délégué épiscopal, chargé de m’aider sur ce dossier. Car, en liturgie plus qu’ailleurs, la passion l’emporte trop souvent sur la raison ! Pour ma part, je suis convaincu, comme l’écrivait jadis Benoît XVI, que « l’histoire de la liturgie est faite de croissance et de progrès, jamais de rupture » . Ce que je souhaite, c’est que nous puissions préserver et faire fructifier tout le patrimoine de la liturgie d’Occident, sans que ce trésor soit utilisé comme paravent par ceux qui, en réalité, veulent surtout refuser de recevoir le dernier concile et se mettent ainsi eux-mêmes en dehors de la grande tradition de l’Église. C’est cela qui préoccupe le plus le pape François, comme, du reste, avant lui, le pape Benoît.
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