Extrait d’un entretien de Mgr Aveline dans La Croix :
[…] Avec la crise des abus sexuels, la sécularisation ou encore la crise des vocations, estimez-vous que l’Église de France va mal ?
Je ne crois pas qu’elle aille mal. Elle traverse, certes, une série de crises difficiles. Et ce n’est pas la première fois dans l’histoire qu’elle les vit un peu avant les autres. Je me souviens que, quand mes prédécesseurs allaient à Rome, ils étaient souvent sermonnés sur le manque de dynamisme de leurs diocèses. Maintenant que la vague de la sécularisation a atteint des contrées plus orientales, on nous demande plutôt conseil pour savoir comment tenir dans un tel contexte… Et puis, certaines crises sont salutaires. Le rapport de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (Ciase) et le travail réalisé par l’épiscopat avec l’ensemble des fidèles nous rendent plus vigilants et attentifs aux personnes victimes et nous obligent à un vaste examen de conscience.
Le pape François a déjà fait remarquer le paradoxe de l’Église de France. D’un côté, elle doit affronter le rouleau compresseur d’une sécularisation qui agit peut-être plus fortement qu’ailleurs, en raison de l’option politique de la laïcité. Celle-ci présente des avantages, car elle place la citoyenneté au-dessus de la confessionnalité, mais elle comporte aussi le risque de se transformer en laïcisme, qui est comme une nouvelle religion. Et d’un autre côté, le pape souligne que l’Église de France est étonnante par la profusion de sainteté qu’elle suscite. Elle ne manque donc pas de ressources, comme je le constate souvent, notamment chez les jeunes.
Des visites ont été menées récemment dans des diocèses, à Toulon et Strasbourg, auprès de communautés nouvelles… Est-ce le signe que l’Église de France rencontre des problèmes de gouvernance, ou que Rome n’aime pas la France ?
D’abord, il faut reconnaître que la gouvernance, qu’elle soit ecclésiale, politique ou économique, est de plus en plus difficile. J’ai suffisamment reçu de responsables en ces domaines pour le savoir : aujourd’hui, celui qui exerce une autorité est très vite considéré comme une cible. Dans l’Église, les problèmes sont peut-être amplifiés par la dimension sacramentelle liée à la charge de ceux qui exercent un ministère épiscopal ou presbytéral. Un certain nombre d’habitudes sont aussi à revoir – ce que le pape François dénonce sous le nom de cléricalisme, qui ne touche d’ailleurs pas que les clercs. Mais qu’on dise que « Rome n’aime pas la France », non ! Rome aime suffisamment la France, au contraire, pour exercer, quand c’est nécessaire, une vigilance qui n’est pas un soupçon.
Comment avez-vous accueilli les remontées du terrain dans le cadre du synode sur l’avenir de l’Église ? Faut-il aller vers une église pleinement synodale ?
Sur ce sujet du synode, j’estime que la chose vaut mieux que le mot. Et je pense que l’adjectif synodal devrait au bout du compte disparaître puisqu’il serait devenu synonyme d’ecclésial. Au fond c’est une Église « ecclésiale » que nous voulons : une Église qui se départit d’un fonctionnement trop exclusivement hiérarchique.
Avec ce synode, nous sommes dans un processus qui me paraît presque aussi important qu’un concile, à la différence que le pape François a voulu que la parole soit d’abord donnée à tout le peuple de Dieu. Ensuite, il faudra bien construire quelque chose avec tout cela. On voit se dessiner quelques lignes. Et aussi des limites : ont participé aux assemblées synodales des fidèles d’une certaine tranche d’âge, mais beaucoup moins les jeunes. Or une photographie des grands-parents ne donne pas une image juste de la famille et de son dynamisme…
Diriez-vous que l’Église a besoin de se réformer pour annoncer la foi dans un monde différent ?
L’Église est semper reformanda (« toujours à réformer ») : le jour où elle prétendrait ne plus avoir à se réformer, elle ne serait plus fidèle à son Mystère ! Mais il lui faut pour cela déployer à la fois une fidélité sans faille à la Tradition et une ouverture sans crainte aux questions du monde d’aujourd’hui. La Tradition est une affaire de responsabilité. Chaque génération se doit d’exposer le dépôt de la foi aux questions de son temps. La génération d’il y a cinquante ans n’avait pas de problème avec l’urgence climatique ni avec l’éthique biomédicale : nous oui ! Et c’est sur ces questions aussi qu’il nous faut rendre raison de notre espérance.
En outre, je pense que le synode n’a pas encore donné tous ses fruits parce qu’il s’est beaucoup intéressé au fonctionnement. Or la raison d’être de l’Église, ce n’est pas de se regarder fonctionner, mais de servir de la relation d’amour de Dieu pour le monde (Jn 3, 16).
La parole des évêques est-elle encore audible ? Sur quoi est-elle attendue et peut-elle être entendue ?
Selon ma petite expérience, il ne faut pas parler trop souvent, mais oser le faire à temps et à contretemps. Quand les évêques se font le relais des sans-voix, leur parole est entendue, même si elle dérange. Bien sûr, il faut toujours s’efforcer de vivre en accord avec ce que l’on dit. On ne donne pas de leçons ; on livre un témoignage, même s’il doit nous en coûter. Donc oui, j’estime qu’il est important que l’Église puisse prendre position. Cela dit, ce n’est pas parce que vous parlez que vous êtes entendus, même si on fait mine de vous écouter ! […]