On trouve sur Benoît-et-moi la traduction d’un article du blogueur catholique italien Leonardo Lugaresi, à propos de la dernière Lettre apostolique du pape. En voici un extrait :
[…] Dans Desiderio desideravi, Benoît XVI est totalement absent, comme l’ont déjà noté nombre de commentateurs. Parmi les papes précédents, Léon le Grand (deux fois), Pie XII (une fois) et Paul VI (une fois) sont mentionnés, point final. Un historien de l’Église qui prendrait en main ce document dans un avenir lointain ne soupçonnerait jamais l’existence de Benoît XVI, ou, s’il entendait parler de lui par d’autres sources, il penserait qu’il ne s’est jamais occupé de liturgie !
On dira : qu’est-ce que cela change? Quand un auteur écrit un texte, il n’est pas obligé de citer tous les autres. Cela vaut également pour les papes. Au contraire, n’aurait-il pas été pire, d’un certain point de vue, que dans un document de François soutenant une ligne contraire à celle de Benoît XVI, quelques citations de « convenance » aient été glissées, juste pour rendre un hommage formel au prédécesseur ? Cela n’aurait-il pas été de l’hypocrisie, ce qui a au moins été évité ? Oui, mais le problème est justement là: il est évident pour tous, au moins depuis la promulgation de la lettre apostolique Traditionis custodes il y a un an, qu’entre celui qui exerce actuellement le ministère pétrinien et son prédécesseur immédiat (qui n’est plus pape, mais qui est toujours vivant), il n’existe pas seulement une différence d’accentuation, ni même une différence de position, mais une véritable discontinuité ; et pas sur une question secondaire, mais sur quelque chose qui est au cœur même de notre foi. Pour le dire en termes très simples et populaires, adaptés aux simples soldats que nous sommes : l’un des deux pense que la Messe vetus ordo est vivante, l’autre pense qu’elle est morte. Comme deux médecins qui, face à un corps humain, disent : « il est vivant, c’est une personne vivante » ; « non, c’est juste un cadavre » [allusion à une page du « Pinocchio » de Collodi]. Sauf que nous ne sommes pas dans une page de Pinocchio.
Cette antithèse est objectivement un scandale, au sens étymologique de « pierre d’achoppement ». Et elle doit être traitée comme telle. On ne peut pas fermer les yeux sur ce problème, le contourner comme s’il n’existait pas. Revenons, comme on le voit, au problème de la continuité, qui me semble crucial pour l’Eglise d’aujourd’hui et qui a été évoqué ici à d’autres occasions (dernièrement à propos du changement de position sur les actes homosexuels). Si l’Église catholique change de doctrine, un problème se pose. Je dirais un gouffre. Si le pape dit : ‘la messe Vetus Ordo – que certains, même des jeunes, insistent pour demander, après cinquante ans ! (ce qui doit signifier quelque chose) – doit être déracinée parce qu’elle ne correspond pas à la foi de l’église’, de deux choses l’une : soit elle ne correspond plus à la foi de l’église parce que cette foi a changé ( !?!?!?!?!), soit elle était déjà mauvaise avant (!?!?!?!?!?!). Le seul tertium proposé, pour échapper à ces deux désastres, est de soutenir que la « vieille messe » correspond et exprime la foi de l’église (donc elle est bonne !), mais que, face à la demande de beaucoup de ses enfants qui demandent à être nourris d’une nourriture qu’ils reconnaissent en conscience comme la plus appropriée pour leur bien spirituel, la mère église refuse de la leur donner simplement parce qu’elle en a décidé ainsi. Mais quel genre de mère serait-ce ? Benoît XVI, qui tout au long de sa vie a placé la liturgie au centre de sa réflexion théologique et de sa pastorale (et qui aurait peut-être mérité quelque attention de la part des rédacteurs de Desiderio desideravi), en tant que pape a senti qu’il devait le leur donner, ce pain que les fidèles demandaient. François, au moins depuis un an, a décidé exactement le contraire : il leur en laisse un petit peu en attendant qu’ils meurent, et puis plus rien. Ils ne peuvent pas avoir raison tous les deux. […]
Voilà qui tranche avec l’analyse du père abbé émérite de l’abbaye bénédictine de Kergonan, Dom Philippe Piron, qui voit une continuité entre l’œuvre du pontife et ses prédécesseurs, dans une tribune publiée par Famille chrétienne.