Renaissance Catholique reprend les tribunes de Rémi Fontaine publiées par le Salon Beige sur le Motu Proprio Traditionis Custodes.
Le Motu proprio Traditionis custodes du 16 juillet 2021 a été ressenti comme un soufflet :
– une claque donnée au pape émérite Benoît XVI, dont la lettre et l’esprit du Motu proprio Summorum pontificum de 2007 enseignaient et décrétaient quasiment le contraire de ce texte injuste et accusateur ;
– une gifle assénée à ce qu’on a pu appeler le peuple « Ecclesia Dei », à l’encontre duquel il adresse d’emblée et globalement un jugement téméraire et avec qui il rompt la parole donnée ;
– une humiliation infligée à l’Église elle-même, « Jésus-Christ répandu et communiqué » (Bossuet), par l’offense ainsi apportée au principe de non-contradiction, incompatible avec une « herméneutique de rupture », ainsi qu’au droit naturel et canonique relatif à la messe.
De telle sorte qu’on pourrait justement réagir en reprenant la parole de Notre Seigneur devant le Grand-Prêtre, lorsqu’un serviteur le souffleta : « Si j’ai mal parlé, témoigne de ce qui est mal. Si j’ai bien parlé, pourquoi me frappes-tu ? »
On peut relire à ce propos ce qu’écrivait Jean Madiran (mort en juillet 2013) juste après le Motu proprio de Benoît XVI mais qui vaut a posteriori pour le Motu proprio du pape François : « Avec la bienveillance, tout devient possible et vivable, même les désaccords éventuels. Avec la malveillance tout est fragilisé, tout est contaminé, même les accords éventuels. »
Certes, dira-t-on, il y a les deux phrases de Benoît XVI dans sa Lettre aux évêques accompagnant son Motu Proprio (dont l’équivalent ne figure pas néanmoins parmi les normes obligatoires qui y sont édictées) : « Évidemment, pour vivre la pleine communion, les prêtres des communautés qui adhèrent à l’usage ancien ne peuvent pas non plus, par principe, exclure la célébration selon les nouveaux livres. L’exclusion totale du nouveau rite ne serait pas cohérente avec la reconnaissance de sa valeur et de sa sainteté. »
Là encore, Madiran répond par anticipation : « Il y a deux manières licites de s’en tenir à la messe traditionnelle en excluant l’autre messe, sans que ce soit une exclusion “par principe” [ou totale]. Premièrement, on peut exclure l’autre messe en vertu de la règle propre d’une communauté ou d’un institut. Secondement, il faut bien comprendre qu’exclure l’autre messe par principe, ce serait l’exclure comme hérétique, schismatique ou blasphématoire. Or les opposants à l’autre messe les plus représentatifs [y compris dans la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X, mais à plus forte raison et sans exception dans la mouvance dite « Summorum pontificum »] n’ont point contesté, ils ont même explicitement reconnu sa licéité et sa validité quand elle est célébrée conformément à son texte officiel. Même dans ce cas, on peut la refuser si ce n’est point par principe mais par exemple pour des raisons pastorales. »
Une symétrie trompeuse
Le Motu proprio de Benoît XVI et sa Lettre aux évêques nous confirmaient bien que la messe traditionnelle n’avait été « jamais juridiquement abrogée » (car elle ne pouvait l’être) et que toute interdiction avait été (ou serait) un abus de pouvoir qui ne contraignait pas en conscience. Mais, inversement, ils n’obligeaient pas à célébrer aussi la messe de Paul VI selon une fausse symétrie, commode mais trompeuse. On pouvait (ou non) s’en tenir à la messe traditionnelle comme d’autres s’en tiennent (exclusivement) à la nouvelle messe sans exclure par principe l’autre forme du rite romain. Telle est la substance et du reste l’application « plurielle » du Motu proprio de Benoît XVI dans un armistice et une paix liturgique à construire dans le temps.
C’est analogiquement la différence que fait l’Église entre un commandement (impératif) et un conseil (facultatif). Le précepte évangélique de tendre la joue gauche dépend des circonstances (Jésus lui-même ne l’a pas toujours suivi), à la différence de celui de ne pas tuer l’innocent. Ne pas poursuivre une obstination thérapeutique est par exemple un conseil : un non relatif, matière à choix prudentiel, au contraire du non absolu à l’euthanasie qui est doctrinal. Si l’on peut interrompre légitimement un traitement jugé déraisonnable, on doit proscrire absolument l’euthanasie. Semblablement si l’on ne pouvait absolument pas prohiber la messe traditionnelle, l’on ne devrait pas obliger absolument à (con)célébrer la nouvelle messe, d’autant plus que celle-ci fait l’objet, en dépit de sa reconnaissance indéniable, de reproches contingents non négligeables (selon Benoît XVI lui-même et de nombreux théologiens). Rappelons aussi le Bref examen critique du nouvel ordo missae,cosigné par les cardinaux Ottaviani et Bacci, pointant la promotion d’une autre conception de la messe passant d’une réalité essentiellement sacrificielle à un rassemblement communautaire.
Les raisons pastorales des uns et des autres (connexes à des raisons doctrinales) méritent écoute, considération ou respect : elles appartiennent à la deuxième option de la maxime attribuée à saint Augustin : « Unité sur les choses nécessaires, liberté sur les choses qui ne le sont pas, charité en toutes choses. » Puisse la hiérarchie méditer cette distinction capitale, en rendant ses choix pastoraux et disciplinaires moins arbitraires ! Peut-être pourrait-on revenir alors à la sagesse et à la bienveillance du pape Benoît XVI, serviteur éminent du bien commun de l’Eglise : il y a plusieurs itinéraires et demeures dans la Maison de la Tradition, l’unité n’étant pas l’uniformité.