L’église Saint-Luc, construite dans la foulée du Concile comme maison du Peuple chrétien et qui n’a jamais vraiment trouvé son public, ne symbolisera plus les aspirations ratées du Concile et du clergé progressiste – le diocèse l’a en effet vendue 400.000 euros à la ville de Nantes pour qu’elle en fasse une bibliothèque pour le quartier “sensible” voisin, le Breil-Malville, épicentre des émeutes de l’été 2018.
Le média breton indépendant Breizh Info revient sur l’histoire de cette église à part, modulable par des cloisons verticales conçues par Jean Prouvé en 1964, et protégée depuis 1999 au titre du Patrimoine du XXe siècle alors que le diocèse voulait déjà se débarrasser d’un édifice qu’il jugeait inadapté. Extraits.
“Nantes compte trois de ces églises polyvalentes qui pouvaient se transformer en cinéma, salle polyvalente, ou lieu de culte d’autres religions – en réalité, elles ont assez rapidement été confinées à leur fonction cultuelle, sauf l’ancienne église, rasée depuis, de la Contrie, qui a pu servir de salle polyvalente, même si la première mosquée de Nantes a eu longtemps comme siège une salle séparée de l’église Saint-Michel de la Croix Bonneau (architecte G. Evano, 1966). Il y avait aussi Saint-Etienne de Bellevue, un peu perdue désormais dans un quartier dont le catholicisme n’est plus du tout la religion dominante.
Saint-Luc, alias Maison du Peuple (chrétien) lors de sa conception, construite par les architectes Pierre Pinsard et Hugo Vollmar en 1967, pouvait être divisée en salles distinctes par cinq cloisons mues électriquement – et qui descendaient dans un soubassement en béton brut qui a rapidement été condamné.
« Avec les dimensions d’une église habituelle, on obtient ainsi le dimanche une église normale. En semaine, une chapelle de semaine autour du sanctuaire, une grande salle de conférences, deux salles de catéchisme », indiquait alors le Guide des églises nouvelles du frère Capellades, un ouvrage qui recensait dans toute la France les églises construites dans les années 1960 selon des plans et des formes issues du Concile Vatican II, voire d’autres inspirations – plusieurs églises ont ainsi des plans franchement triangulaires.
Le système des cloisons, ainsi que leur mouvement, a été conçu par Jean Prouvé en 1964 – un ensemble de croquis de sa main, du 22 juillet 1964, est toujours conservé au fonds Pinsard du centre d’archives d’architecture du XXe siècle à Paris.
[…]
Son appellation, avec le chrétien entre parenthèses, était une référence aux maisons du peuple socialistes du début du XXe siècle, écrit Pierre Lebrun, dans son livre Le temps des églises mobiles, l’architecture religieuse des Trente Glorieuses. Cette « référence était symptomatique de la volonté des responsables religieux de rompre avec la notion d’église consacrée au seul culte, et réservée à une fraction limitée et privilégiée de la population, pour lui substituer celle d’un édifice religieux d’un genre nouveau conçu comme un lieu multifonctionnel ouvert à l’ensemble des habitants, et ici aux habitants des logements sociaux de la ZUP environnante. La mise entre parenthèses de l’adjectif chrétien indiquait d’une manière très significative que les personnes pratiquantes ne constituaient qu’une partie de la population auxquelles l’édifice était destiné ».
Très avant-gardiste dans sa conception, l’église a été rapidement limitée, y compris par son prêtre et ses fidèles. Ainsi, « comme le précise Hugo Vollmar, la suggestion de concevoir des éléments du mobilier liturgique mobiles a très vite été abandonnée. En revanche, l’idée de réaliser un noyau fixe neutralisable, constitué de l’autel et des fonts baptismaux, s’est imposée. Dans la version finale ce noyau central constitue la chapelle de semaine. Grâce au système de cloisons mobiles le noyau central, sacré, fut isolé du reste de la salle qui put servir de salle de réunion […] le permis de construire de la maison du Peuple Chrétien fut accordé par André Morice le 23 juin 1965».
Lors de sa conception, l’abbé Michel Brion imposa à l’architecte Pierre Pinsard « l’abandon de tout signe distinctif extérieur (pas de croix), les confessionnaux réalisés sur la base d’un mobilier mobile et repliable le long du mur, l’aménagement de deux salles de catéchisme transformables de quarante places chacune ». Le manque de budget fit adopter des sièges industriels en plastique disponibles dans le commerce plutôt qu’un mobilier conçu ad hoc.
Néanmoins le tabernacle, crucifix, ciboire, chandeliers, service pour la messe fut conçu par l’architecte Vollmar et réalisé par les ateliers Chéret à Paris en 1967 pour cette église. Même s’il a partiellement été modifié par la suite – le crucifix notamment, il serait intéressant de savoir s’il sera conservé sur place après la désacralisation de l’église pour laquelle il a été conçu. De même le noyau sacré composé de l’autel et des fonts, conçu pour cette église, et seul élément inamovible et non modulaire dans un édifice où tout pouvait bouger.
Un édifice incompris et en « échec » à peine 30 ans après sa construction
Il n’y eut pas de croix sur l’édifice jusqu’en 1976, pas de saint patron jusqu’à la fin des années 1970, et l’usage de la nef comme salle polyvalente a été abandonné dans les années 1980. En revanche, la mairie n’a jamais donné suite à la volonté du diocèse de céder l’espace restant autour de l’église pour en faire un jardin public, ni de transformer le sous-sol – hors les espaces qui devaient recevoir les cloisons – en locaux commerciaux, garderie ou espace communautaire.
Le concept de l’édifice a mal vieilli, et surtout la sociologie du quartier, comme du diocèse, ont beaucoup changé. Ainsi, suite à une étude en 1999-2000 sur la restructuration du Breil-Malville, le diocèse a signifié à la ville de Nantes, alors, sa volonté de se dessaisir d’un édifice « d’un entretien coûteux et inadapté aux besoins de la paroisse ». Il avait alors été protégé par la DRAC au titre du patrimoine du XXe siècle.
Deux ans auparavant, le curé écrivait sans détour : « les chrétiens qui utilisent Saint-Luc sont plus qu’insatisfaits, et depuis des années c’est une structure qui ne remplit plus aucun rôle […] Saint-Luc est une église de quartier populaire, mais les chrétiens de ce quartier populaire ont aussi un attrait pour le beau. Et là, il y a échec de cette architecture. Ainsi, quand les gens veulent faire un baptême ou se marier, ils ne veulent surtout pas que ça soit ici ».