Mgr de Moulins-Beaufort, archevêque de Reims et président de la Conférence des évêques, a été interrogé par Arnaud Bevilacqua et Vincent de Féligonde dans La Croix à propos des élections. Extraits :
Vous soulignez une contradiction entre la tentation de l’euthanasie et une « certaine surenchère sanitaire ». Que voulez-vous dire ?
Il y a une contradiction entre la mobilisation totale des moyens de la médecine lors de la crise sanitaire pour lutter contre la mort et la promotion par certains de l’euthanasie. Il n’est pas très rassurant qu’on puisse présenter comme principal objectif d’accélérer la mort de certains de ses membres alors que les soins palliatifs peuvent considérablement améliorer et humaniser les derniers moments de la vie.
Notre société a persuadé tout le monde que l’idéal humain était l’autonomie. Cela a permis de grands progrès. Mais désormais, beaucoup pensent que lorsqu’on devient dépendant, nous devenons infra-humains. Au contraire, dépendre des autres permet une circulation de l’amour et n’est pas seulement une situation dégradante. Nous devons apprendre à être dépendants et ne pas en avoir honte.
La défense des « valeurs chrétiennes » sera, semble-t-il, au cœur de la campagne. Comment réagissez-vous ?
Les valeurs chrétiennes sont moins à défendre qu’à choisir. Comme le disait le cardinal Ratzinger lors d’une conférence à Hong Kong en 1993, la marque d’une grande civilisation, c’est sa capacité à accueillir des apports extérieurs. Une civilisation qui ne va pas bien se durcit, se ferme, dans la nostalgie d’un passé disparu. La richesse du christianisme permet à la France d’accueillir et d’intégrer ce que d’autres civilisations peuvent vivre d’humain. Quand on est solide dans ce qu’on croit et l’affirmation de ce qu’on est, on a d’autant moins peur de s’ouvrir et d’accueillir.
La « France chrétienne » n’est pas figée à un moment de son histoire car une civilisation vivante est faite du tri opéré entre des idées et des valeurs et des enrichissements consentis, des échanges réciproques…C’est en puisant dans sa richesse chrétienne que la France saura s’enrichir paisiblement de la vie de la vaste humanité.
Un certain nombre de chrétiens voient douloureusement notre pays devenir multireligieux. Je comprends leur trouble. Mais j’observe surtout que notre pays apparaît peu religieux et souvent en réaction face au religieux. Je crois comprendre que Dieu permet que les pays ne soient pas toujours homogènes spirituellement parce qu’il veut l’émulation des croyants dans la charité et l’espérance. À nous de faire fructifier et briller la lumière qui nous est donnée au bénéfice de tous. L’histoire est loin d’être finie et elle ne s’achève pas ici-bas.
Vous mettez en garde contre un rapport à l’histoire « unilatéralement négatif ». Êtes-vous inquiets de l’émergence d’une « cancel culture » visant à effacer les points négatifs du passé ?
C’est une grandeur de notre époque que de reconnaître toutes les ombres de l’histoire. Je pense fortement à celle de l’esclavage, l’un des faits les plus destructeurs de l’humanité. Nous chrétiens, apprenons de Dieu à regarder notre péché à la lumière de sa miséricorde.
Or une société sécularisée comme la nôtre, qui ne croit pas à la miséricorde de Dieu risque de regarder le passé uniquement dans le ressentiment et la colère et sans ouvrir un avenir commun. On peut mettre à nu certains moments de notre histoire, mais en ayant pitié de ceux qui nous ont précédés, sans déni.
Vous dites que vous ne donnerez pas de consigne de vote, mais pourriez-vous intervenir ? Notamment entre les deux tours ?
La question s’était posée en 2017. Mes prédécesseurs avaient décidé de ne pas le faire et cela leur avait été reproché. Mais notre rôle, dans une société démocratique, est de faire confiance à la maturité des citoyens, non de les traiter comme des enfants qui auraient besoin de tuteurs. En revanche, nous pouvons les aider à approfondir leurs choix politiques.