Le journaliste du Figaro a interrogé Mgr Rougé, évêque de Nanterre. Extrait :
Pourquoi ne donnez-vous aucune consigne de vote et n’en donnerez-vous aucune, même entre les deux tours?
Notre mission d’évêques est de nourrir le discernement en conscience des catholiques et non de nous y substituer. Il ne s’agit pas de confessionnaliser les échéances électorales ni de les cléricaliser mais d’en expliciter les enjeux les plus décisifs. Nous nous adressons non seulement aux catholiques mais aussi aux candidats ainsi qu’à l’ensemble de nos concitoyens. […]
Pourquoi ne parlez-vous plus d’un «accueil inconditionnel» des migrants mais d’un «accueil ajusté», fondé sur la «légitimité de la régulation juridique des flux migratoires»?
Les appels prophétiques du pape François n’ont jamais été exclusifs de la reconnaissance de la légitimité de régulations juridiques. Il s’agit d’articuler, avec audace, créativité, générosité, le principe d’humanité et le principe de responsabilité. Nous ne pouvons pas nous résoudre à ce que la Méditerranée, cœur de notre civilisation, se transforme en cimetière. C’est souvent la tension féconde entre prophétisme et réalisme qui permet à une société d’avancer. […]
Eric Zemmour n’hésite pas à se référer à l’héritage «chrétien» de la France et des catholiques, explicites en politique, ont rallié sa candidature. Qu’en pensez-vous?
Il y a des catholiques dans les équipes et dans les soutiens de la plupart des candidats. Il est hors de question pour nous d’entrer dans le débat partisan. Nous rappelons ce qui nous semble essentiel et nous faisons confiance à la capacité de chacun de se situer en conscience.
Vous appelez à une «rencontre franche et respectueuse des idées et des programmes», mais jusqu’où l’Église peut-elle admettre des projets qui ne correspondent pas à ce qu’elle attend?
C’est dans leur responsabilité morale personnelle, surtout, que les chrétiens ne doivent pas tolérer le mal et l’injustice. Pour ce qui est du débat électoral, nous ne pouvons que regretter, comme beaucoup d’autres, l’hystérisation de questions mineures ou purement formelles au détriment du débat véritable, argumenté, sur les questions essentielles. […]
Nouveauté également: vous alertez sur des «dérives» européennes qui peuvent favoriser des «replis nationalistes», pourquoi?
Nous ne pouvons pas nous résoudre à ce que la construction européenne s’enlise dans l’impuissance, la dérive libertaire ou l’excès technocratique. Il est indispensable que l’Europe, en assumant son enracinement culturel et spirituel, se donne les moyens d’exercer mieux sa responsabilité éthique dans la mondialisation.
Quant à la laïcité, vous placez toutes les religions sur le même plan, en évoquant «la foi en un Dieu unique», sans jamais nommer «Jésus-Christ». Défendez-vous l’islam? Pourquoi ne dénoncez-vous pas la montée de l’antisémitisme?
La loi «confortant les principes de la République» a posé des questions importantes pour l’avenir des libertés d’association, d’expression et d’éducation, qui concernent l’ensemble des religions, dans leur diversité. L’anticléricalisme caricatural qui s’est exprimé durant le débat à l’Assemblée a montré une fois de plus qu’en cette matière très sensible, il faut agir avec beaucoup de tact et de précision. Nous avons donné comme titre à notre déclaration une formule de saint Paul. C’est de la mort et de la résurrection du Christ que nous recevons l’espérance qui éclaire notre discernement: l’humanité est faite pour la gloire et la paix éternelles ; tout ce qui porte atteinte à sa dignité est germe d’injustice et de violence ; mais il y a dans le cœur humain la capacité de rejeter l’injustice et de bâtir la paix.