Mgr Dominique Rey, évêque de Fréjus – Toulon, a été interrogé par Var-matin. Extraits :
Redoutez-vous, à cause de la pandémie, une fermeture des lieux de culte comme en 2020?
Oui, je peux le craindre. Jusqu’où vont mener ces mesures, où il y a à la fois un principe de précaution et qui peuvent être coercitives? Je pense à cette réflexion que m’a faite une personne âgée privée de visites: “Pour m’empêcher de mourir, on m’empêche de vivre”. Pour vivre, on a besoin de la relation avec l’autre et pour un chrétien de la relation avec Dieu.
La religion c’est pouvoir ensemble partager, célébrer notre foi dans une communauté. À charge, et c’est notre responsabilité, de prendre toutes les mesures de distanciation et de sécurité sanitaire, c’est un devoir de charité. Mais on ne peut pas nous empêcher de se retrouver pour prier. Il y a eu des décisions en ce sens du Conseil constitutionnel puisqu’on a fait des recours sur ces questions-là. Cela fait partie des fondamentaux, des libertés publiques.
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Devant les migrants sur l’île de Lesbos, le pape François a appelé à mettre fin au “naufrage des civilisations”. Et l’immigration est au cœur de la campagne électorale en France. Qu’en pensez-vous?
La première chose est d’aider les gens à rester sur place, s’organiser au niveau international pour aider ces pays parfois en difficulté, en guerre, en crise économique, politique, à résoudre ces problèmes. Le premier droit de quelqu’un c’est de vivre dans son pays. La deuxième chose, dans les populations qui viennent, c’est de distinguer les situations d’urgence extrême – quand quelqu’un est en train de se noyer, on ne peut pas le refouler, c’est un principe d’humanité – et l’organisation par des bandes plus ou moins mafieuses, qui ont des intérêts économiques et mercantiles, de ces migrations. Il faut lutter efficacement contre ces réseaux.
Sur l’immigration, il y a un devoir de charité, de justice, ils partent parce qu’ils ont faim, pas d’avenir. Et ensuite, faire le discernement entre des populations qui peuvent s’intégrer – l’histoire de notre pays a toujours connu des flux migratoires continuels — et l’accueil ou l’installation de populations qui pourraient déstabiliser aussi notre propre système. La difficulté c’est le caractère massif des populations: jusqu’où une population comme la nôtre peut, pour maintenir une cohérence interne, intégrer, assimiler, accueillir? C’est une question qu’il faut se poser.
Et pour l’électeur que vous êtes, quel est le sujet majeur?
Il me semble globalement que le discours politique est aujourd’hui d’une certaine manière discrédité, réduit à du management ou a des intérêts sans perspective. Il manque aujourd’hui une vision, ce qui veut dire une espérance. On ne sait pas trop où l’on va.
Une des grandes questions de l’espérance, c’est comment penser? Les sociologues parlent d’archipel français. On a une espèce d’émiettement en des individualismes développés, chacun devant son écran plat, ou des communautarismes exacerbés. Et comment avoir une vision commune? Pour moi c’est très important qu’on retrouve nos racines profondes. Et qu’on ait un projet transcendant pour la France. La crise ne favorise rien, nous oblige à fonctionner sur le court terme. Au-delà des positions partisanes, politiciennes, le grand enjeu pour moi c’est quelle est la vision qu’on a pour notre pays, pour la France.
Deux candidats à cette élection sont allés en Arménie récemment. Êtes-vous inquiet pour les chrétiens d’Orient?
Oui. J’ai eu l’occasion d’aller plusieurs fois dans ces pays, le Liban, la Syrie, on a même un jumelage entre diocèses. Ces pays ont un lien profond, historique avec la France. Les chrétiens y ont une position clé, c’est un facteur d’unité. On doit pouvoir les soutenir alors qu’ils deviennent minoritaires, notamment du fait que les jeunes Libanais, Syriens, ne pensent qu’à partir en occident.
Ces communautés diminuant, ça participe de la fragmentation de ces pays et ça favorise l’entrechoc entre différentes communautés, musulmanes en particulier. Pour nous chrétiens, c’est l’origine de notre foi, c’est là où le Christ a vécu, où son message a été répandu. Cela touche nos propres racines. Ce qu’il se passe en Orient, en Syrie, en Irak, cette dislocation du tissu social, la montée en puissance de radicalismes conquérants, peut nous donner à penser ce qui pourrait se passer un jour dans nos propres pays. Nous risquons dans quelques années de connaître le même sort, si nous ne prenons pas les moyens de réfléchir à cette union nationale et de retrouver les fondamentaux du bien commun.
Les députés ont voté l’allongement de la durée légale pour avorter de 12 à 14 semaines, le texte doit passer au Sénat. Est-ce un progrès?
C’est quelque chose pour moi d’affligeant, d’extrêmement offensant de refuser l’existence à ce petit être, qui n’est qu’un fœtus. À quel moment je peux décider que c’est un être vivant qu’on doit respecter, ou un déchet qu’on doit éliminer? C’est le même être. Depuis la conception, il y a une continuité génétique dans la germination de la vie à l’intérieur des seins de la mère. On mesure l’humanité de la société à sa capacité de prendre en compte la fragilité et le respect de la vie. […]