Matteo Ghisalberti a mené une enquête sur la restauration de Notre-Dame de Paris. Extraits :
[…] Ainsi, l’idée d’installer de la modernité s’est orientée vers les espaces intérieurs de la cathédrale. Ici, heureusement, l’incendie a causé des dommages moins graves qu’au sommet du monument. Cependant, l’insertion d’éléments d’art moderne ou abstrait, n’irait pas restaurer, mais modifier profondément une partie de l’identité de la cathédrale perdurant depuis quelques centaines d’années. Il ne s’agirait donc pas de répondre aux besoins de consolidation de la structure ou de sécurité, mais seulement de répondre au goût artistique momentané de certains.
Il convient de rappeler que, selon la loi Français de 1905 de « séparation entre l’État et les Églises », l’édifice de Notre-Dame appartient à l’État, ainsi que toutes les autres églises et lieux de culte d’autres religions construites avant cette année. L’Église catholique – représentée par les diocèses – jouit d’un droit d’utilisation pour les églises, qui ont une destination exclusive, libre et perpétuelle pour l’exercice du culte. Cela s’applique également aux objets et aux meubles situés à l’intérieur des bâtiments de culte. L’aspect futur de Notre-Dame se trouve donc entre les mains de représentants de l’État Français et de l’Église catholique parisienne vu que, au moins pour le moment, l’organisation d’un concours international d’architecture dédié aux espaces intérieurs de la cathédrale est exclue. De plus, le général Jean-Louis Georgelin, en bon soldat, veut respecter l’échéance de 2024 imposée par le Chef de l’État. En décembre 2019, à l’occasion de la présentation du documentaire « Notre-Dame de Paris, l’épreuve des siècles », le haut-gradé a promis au recteur de la cathédrale que le 16 avril 2024 un Te Deum sera chanté dans une Notre-Dame rénovée. C’est peut-être pour cette raison qu’une sorte de brouillard est tombé sur les projets liés à l’intérieur de la cathédrale. Ouvrir des débats publics ou avoir trop de personnes autour de la table des discussions risquerait de prolonger la durée des travaux.
Parmi les rares informations précises sur le projet de restauration de Notre-Dame, il y a celles communiquées, ces derniers mois par le père Gilles Drouin et l’architecte Patrick Rimoux. Fildmedia et d’autres médias étrangers – parmi lesquels le quotidien italien La Verità et le britannique The Telegraph – ont pu consulter ces informations. En outre, une partie de celles-ci nous a été confirmée par le père Drouin lui-même. Ce prêtre est le liturgiste que Monseigneur Michel Aupetit – l’archevêque de Paris – a choisi pour réfléchir à l’organisation des espaces liturgiques et de culte de la cathédrale restaurée. M. Rimoux est un sculpteur de lumière et travaille sur le projet d’éclairage du sombre écrin gothique de Notre-Dame de Paris.
Le prêtre et l’architecte ont parlé de Notre-Dame lors d’émissions ou conférences diffusées sur internet. Le 12 mai, le pèreDrouin est intervenu, en visioconférence, dans une réunion organisée par l’Enseignement catholique de Paris. Ignorant peut-être que la réunion serait diffusée sur la toile, le liturgiste a présenté quelques extraits du projet de restauration de la cathédrale classés comme “ confidentiels ”. Durant son intervention, il a déroulé le fil d’Ariane ayant inspiré la redéfinition des espaces de Notre-Dame. Il a évoqué notamment un « chemin catéchuménal » (*) dont le but serait d’évangéliser les touristes qui recommenceront à visiter la cathédrale après sa réouverture. Pour le prêtre, avant l’incendie, « douze millions de visiteurs » venaient chaque année à Notre-Dame avec des « motivations multiples », parmi eux beaucoup étaient « de culture non chrétienne » ou même « post-chrétienne ».
Quelques mois après la conférence en ligne, le choix du parcours est de plus en plus concret. En répondant aux questions que nous lui avons adressées par email, le père Drouin nous a confirmé par écrit que « le projet de parcours catéchuménal est plus que jamais d’actualité » en ajoutant « nous le présenterons à la Commission nationale du Patrimoine le 9 décembre prochain ».
Les changements les plus importants esquissés par le liturgiste, lors de son intervention en ligne, concernaient les chapelles latérales de Notre-Dame, remodelées en 1862 par l’architecte Eugène Viollet-le-Duc, qui fut aussi le “père” de la flèche effondrée lors de l’incendie de 2019. Le projet de restauration – montré par le liturgiste au printemps 2021 – prévoyait de réadapter des chapelles en s’inspirant de trois thématiques : les promesses, les saints et les continents. Les sept chapelles du côté nord de la cathédrale iront composer « l’allée des promesses » et seront consacrées à : la Genèse, Abraham, l’Exode, le Prophètes et au thème Cantique et Sagesse. Au milieu de celles-ci pourrait être ajoutée également une chapelle “continentale” dédiée à l’Afrique. Le côté sud devrait abriter « l’allée des saints ». Ici, les sujets des chapelles seront : foi et raison, la mystique, la charité, l’espérance, la mission et la création réconciliée. Cette dernière serait un clin d’œil à l’encyclique du pape François Laudato Sii. Parmi ces chapelles, une sera dédiée à un continent : l’Asie. Le projet des des allées nous a été confirmé par le père Drouin lors de notre échange par e-mail.
Actuellement, les fenêtres de ces chapelles sont décorées par des “grisailles”, un type particulier de vitraux, ajoutées par Viollet-le-Duc. Certaines d’entre elles abritent également des tombeaux de personnalités du passé. Sur les autels de chapelles se trouvent des sculptures et des statues de saints.
Lors de la conférence en ligne, le père Drouin avait dit qu’il voulait « habiter les chapelles par la voie de la culture » en articulant celle-ci par le culte. Le projet révélé au printemps 2021 par le liturgiste de Notre-Dame montrait l’aspect que les chapelles rénovées auraient pu avoir. Deux alternatives avaient été présentées : la conservation des vitraux de Viollet-le-Duc et l’apposition d’œuvres picturales abstraites sur les murs. Ou la substitution des anciens vitraux avec des nouveaux dédiés à des sujets modernes, tout en conservant l’apparence actuelle des murs.
L’éventuel remplacement des vitraux ne semblait pas tenir en compte les mots de la ministre de la Culture Roselyne Bachelot à ce sujet. « Si le clergé est habilité à apporter du nouveau mobilier cultuel, cela ne concerne pas les vitraux » avait -elle déclaré lors d’une intervention en visioconférence à l’Assemblée Nationale, en novembre 2020. A l’époque, Le Figaro avait déjà publié des indiscrétions sur le possible destin des vitraux de Viollet-le-Duc, une hypothèse jugée « irrecevable » par Mme Bachelot.
Finalement, dans son email, le père Drouin nous a confirmé que “des deux hypothèses envisagées, vitraux et murs, l’hypothèse “murs” a été conservée puisque les fenêtres sont garnies de grisailles de Viollet le Duc”. Pour le liturgiste “il s’agit de mettre en dialogue au service des thématiques du parcours : des œuvres classiques des œuvres d’aujourd’hui – en dépôt ou en création – le Verbe” ainsi que “de courts extraits bibliques ou de la tradition spirituelle”.
Dans une interview qu’il a accordé à l’émission « Le Jour du Seigneur » publiée le 11 juillet 2021 sur internet, l’architecte Patrick Rimoux avait évoqué des écrits lumineux, dédiés à des passages bibliques, projetés sur les murs. Ces projections pourraient être accompagnées par une diffusion sonore qui accompagnerait les visiteurs au long du parcours catéchuménal. Il en avait parlé le père Drouin au printemps. Ces inscriptions ont été aussi été aussi mentionnées par Christian Rousselot, le directeur général de la Fondation Notre-Dame qui a confirmé à nos confrères britanniques un “parcours de découverte pour les visiteurs”. Selon lui, les visiteurs admirent des tableaux et des symboles sans forcément en comprendre le sens, et les mots sont aussi importants que les images et les sculptures, il serait donc «prévu de projeter certains mots et expressions en mandarin, français ou espagnol et anglais ».
Pour la projection des passages bibliques, des projecteurs d’une puissance de 6.000 lumens devraient être installés. Cette information a été révélée – peut-être involontairement – par Patrick Rimoux lui-même lors de son interview. L’architecte a donné une autre importante information concernant le projet : de nouveaux bancs seront placés dans la nef principale de la cathédrale. Le sculpteur de lumière parle de la création « d’un système d’éclairage sur les bancs qui nous permettra d’accentuer ce qui est important, l’assemblée ».
Pour le Père Drouin, le peuple des fidèles ne semble pas être l’une des priorités de la restructuration de Notre-Dame. Dans son intervention sur la toile, le liturgiste a expliqué qu’il n’y avait pas de sièges jusqu’à il y a deux siècles, ajoutant que « les chaises cristallisent une assemblée et la privent de 80% de l’espace ». Selon lui, l’arrivée des bancs et des sièges dans les allées est due à la Réforme protestante « qui a transformé les églises en salles de classe universitaires » et à la Contre-Réforme catholique qui les a « transformées en salles de spectacle ».
De l’intervention du prêtre, on peut en déduire que les jours fériés, la nef centrale sera occupée par des bancs, qui seront ensuite enlevés pour les services hebdomadaires. Comment ces meubles “nomades”, équipés de lumières, seront connectés au réseau électrique ? On ne sait pas non plus où les bancs seront placés pendant les jours de semaine. Selon une source proche du dossier, le projet prévoit de réaliser une ouverture dans le sol permettant de descendre les bancs dans la crypte de la cathédrale à l’aide d’une sorte de monte-charges. Les fréquents déplacements de ces meubles pourraient en accélérer l’usure et on ignore si le coût d’entretien des bancs a été estimé.
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Un autre grand nom de l’architecture a fait part de ses inquiétudes à nos confrères de The Telegraph. Maurice Culot est un architecte, urbaniste et critique belge, récompensé avec plusieurs prix internationaux. Il s’est dit « étonné » par le projet en estimant que « ce qu’ils sont en train de proposer pour Notre-Dame n’aurait pu jamais être fait pour l’abbaye de Westminster ou Saint-Pierre de Rome ». « C’est comme si Disney rentrait à Notre-Dame » a conclu l’architecte. […]