Dans son dernier livre, l’historien Guillaume Cuchet pose la question de l’avenir du catholicisme en France. Syndic de faillite ? « La Croix » a choisi de le faire dialoguer avec Mgr Eric de Moulins-Beaufort, archevêque de Reims et président de la Conférence des évêques de France. Aucun échange sur le monde traditionaliste ni, plus largement, sur ce qui fonctionne encore dans l’Eglise en France… Extraits :
Le pape s’est inquiété récemment de la baisse de fréquentation des assemblées dominicales, estimant que le Covid avait accéléré le décrochage de la pratique. Qu’en est-il en France ?
G. C. : Il y aurait à ce jour 2 % des Français qui vont à la messe tous les dimanches. Dans les années 1950, le taux moyen était de 25 %, avec des variations de 0 à 100 dans les campagnes, sans équivalent ailleurs dans le monde. La pratique, au demeurant, n’a plus tout à fait le même sens culturel ou social. L’Église n’a plus les moyens de quadriller le territoire. L’unité de base du système n’est plus la commune mais le chef-lieu de canton, voire d’arrondissement : la pratique est devenue compliquée pour beaucoup. Le Covid n’a rien arrangé.
É. M.-B. : Il est un peu tôt pour mesurer les effets de la pandémie. Un certain nombre de fidèles âgés qui ont du mal à entendre ou à voir ont découvert qu’ils participaient mieux à la messe par la télévision. D’autres, de tous âges, ont vérifié combien la messe leur était indispensable. Nous aurions pu donner plus de moyens concrets, pour une pratique domestique active, même devant un écran. Quant à la baisse de la pratique religieuse, il est clair que tous ne peuvent pas de manière égale tous les dimanches faire les kilomètres nécessaires.
Jusqu’où peut-on encore modifier le maillage territorial ? L’Église sera-t-elle urbaine ou rurale ?
G. C. : Dans les villes, il y a toujours assez de monde pour faire vivre une communauté, même réduite, alors qu’à la campagne, on peut descendre à zéro. L’avenir du catholicisme français sera donc sans doute urbain, mais il faudra quand même inventer des modes de présence intermittents dans les zones où l’Église n’a plus les moyens du quadrillage.
É. M.-B. : Faut-il vraiment un maillage territorial ? La situation est très différente selon les diocèses, mais la raréfaction du nombre de prêtres ne nous permet plus de desservir les paroisses telles qu’elles ont existé et le recours à des prêtres étrangers ne suffit pas. Nous devons prendre les moyens de rejoindre les habitants de nos régions sans attendre qu’ils viennent à nous. D’autre part, chacun peut sanctifier le Jour du Seigneur même s’il ne peut aller à la messe. Nous devons profiter des moyens variés de soutenir la vie chrétienne ; par exemple, j’admire les Ardennais qui, ayant du mal à avoir une vie paroissiale intense dans l’année, se rendent au pèlerinage de Lourdes alors que les gens des villes y participent peu.
Il n’y a guère qu’une centaine d’ordinations chaque année… Va-t-on vers une Église sans prêtres ?
É. M.-B. : Il nous faut rendre grâce pour les quelques vocations sacerdotales, chacune est un peu un miracle. Elles sont le don que Dieu nous fait pour que nous avancions. Il y a, dans le christianisme, une assez grande plasticité pour que nous puissions vivre dans une organisation différente et un rôle des prêtres renouvelé par rapport à ce que nous avons connu. Dieu nous conduit à vivre des dimensions de la vie ecclésiale auxquelles nous résistons peut-être encore.
G. C. : Il ne faut pas oublier qu’au début des années 1960 encore, les trois quarts des prêtres français étaient issus de petits séminaires, c’est-à-dire que leur vocation avait été initialement discernée dans leur enfance dans un dialogue à trois entre eux, leur mère et Monsieur le curé, ce qui nous paraît bien exotique à distance !
É. M.-B. : J’ai découvert les prêtres issus des petits séminaires en arrivant à Reims. Cela a donné de très belles vies, différentes des vocations d’aujourd’hui. Nous sortons d’un monde où être prêtre était une possibilité parmi d’autres – et pas la plus dévalorisée -, alors qu’aujourd’hui, un jeune ne pense à entrer au séminaire qu’en ayant reçu une grâce très forte de Dieu.
Vus ses moyens en diminution, où l’Église peut-elle encore être présente ?
É. M.-B. : D’abord, nous n’allons pas déserter les lieux où nous sommes encore présents. Ensuite, puisque nous ne pouvons pas être présents partout tout le temps, nous devons l’être partout au moins de temps en temps. L’Église, d’ailleurs, n’est pas présente seulement à travers les prêtres et les institutions mais à travers des personnes. Comment accompagner et soutenir, ceux et celles qui, là où ils se trouvent, cherchent à vivre du Christ et en lui ? Des laïcs formés, nourris, soutenus, sont capables d’engagements de foi et d’actions au nom de leur foi.
G. C. : Il y a encore pour l’Église des lieux de contact massif avec la société. Par exemple, l’enseignement catholique qui voit passer 40 % des enfants en comptant les allers et retours. Ou les obsèques religieuses, qui continuent de concerner 70 % des défunts, parce que la mort est la dernière chose qu’on lâche dans ce domaine, mais aussi parce que les gens qui meurent aujourd’hui ont encore souvent reçu une éducation religieuse. Baptisés et enterrés à l’église, ils « bouclent la boucle », mais qu’en sera-t-il après eux ?
É. M.-B. : Si les gens s’habituent à ce que la prière des funérailles soit présidée par un laïc, il faut quand même que les prêtres soient confrontés à la douleur des gens et accompagnent les personnes. Cela fait partie de notre ministère. Nous, prêtres, nous ne pouvons pas nous tenir à distance de la souffrance et de la peine des autres. Nous servons le Crucifié qui est la résurrection et la vie.
G. C. : Comme historien, je vois bien que l’accompagnement du deuil constitue une opportunité pour rétablir le contact. S’il y a un domaine où le christianisme devrait avoir quelque chose à dire aux contemporains, c’est bien la mort. Or les conditions de la mortalité ont beaucoup changé. Son déni, qui est une sorte de réflexe naturel de l’esprit humain, s’en trouve renforcé. Les générations s’éliminent tour à tour de façon presque mécanique passé 60 ans, ce qui est complètement nouveau.
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