Article intéressant paru en français, sur un média polonais. On ne peut s’empêcher de penser à certaines affaires récentes de l’enseignement catholique en lisant ce texte :
Vous ne le saviez peut-être pas mais l’Enseignement catholique français scolarise près de 2 millions d’élèves de la maternelle à l’enseignement supérieur. Compte-tenu du patrimoine anthropologique de l’Église catholique, de la tradition des congrégations enseignantes, notamment françaises, on est en droit de se demander pourquoi la France ne se porte-t-elle pas mieux ?
Comment se fait-il qu’en formant la culture d’autant d’enfants depuis des décennies, l’Enseignement catholique ne parvienne pas à transformer le paysage français en facilitant l’émergence de bâtisseurs du Bien commun ou de vocations ? La Terre de France a donné naissance à saint Jean-Baptiste de la Salle, le saint patron des éducateurs, le fondateur de tant d’établissements pour notre patrie et pour le monde. Il serait fastidieux de donner ici lecture des innombrables prêtres, religieuses et religieux qui ont servi l’éducation des enfants dans l’histoire des siècles passés de nos territoires les plus reculés. Mais alors que s’est-il passé ? Où sont les trésors de ce patrimoine ? Comment se sont-ils perdus dans les arcanes de cette grande institution de l’Enseignement catholique ?
Il me semble que l’idéologie progressiste ne soit pas exempte de responsabilité dans cette situation. Encore un fois ! En effet, la volonté de provoquer une rupture dans les années 60/70 a conduit à l’annonce d’un nouveau monde, un monde libéré de toute forme d’autorité, un monde dans lequel l’homme se construira tout seul, un monde qui n’a pas besoin du passé pour bâtir le futur, un monde où la transmission des savoirs est remplacée par la découverte personnelle des connaissances, un monde dans lequel la loi naturelle disparait au profit de catégories sociologiques. L’Église, ouverte par essence sur le monde, aurait eu besoin à cette époque d’être forte et stable dans sa conception de la personne humaine pour ne pas souffrir de sa porosité. Certains appelaient « printemps » de l’Église ce qu’il eut été plus juste de considérer comme une période automnale.
C’est dans ce contexte que l’on perçoit les causes profondes de la perte d’efficience de l’éducation catholique sur la construction de la vie sociale et politique française. A court terme, cela n’a pas provoqué trop de dégât. En effet, l’inertie des 8000 établissements de l’enseignement catholique a permis d’assurer la mission durant quelques années, le temps de l’éducation est un temps long. En revanche, par le changement de génération des professeurs et des éducateurs, par les réformes successives de la formation des maitres, par le contenu de plus en plus idéologique des programmes et par la syndicalisation des personnels et des chefs d’établissement, on assista progressivement mais profondément à une immersion de l’enseignement catholique privé sous-contrat au sein du système général de l’enseignement public. Les Canadiens et les Belges ont intégré brutalement leur enseignement catholique au sein du système général. En France, nous avons lutté en 1984 en croyant sauver les murs porteurs de notre institution alors que nous n’avons sauver que les meubles et les bibelots.
Dans l’art de la guerre psychologique, on apprend que pour tuer discrètement un chat il suffit de poudrer son pelage avec un poison lentement mortel, il se lèche et se tue sans avoir le temps de comprendre ce qui lui est arrivé. L’histoire de l’enseignement catholique français des 40 dernières années ressemble étrangement à ce processus de mort lente. En conséquence du contrat initial et des moyens alloués, l’État a pu imposer au mammouth catholique d’absorber les poisons à dose régulière. Ce processus immersif a eu de nombreuses conséquences jusqu’à aujourd’hui : la tolérance est devenue la vertu fondatrice de son ouverture à tous, les professeurs n’ont plus qu’un seul maitre, il loge rue de Grenelle, les chefs d’établissement sont désormais des gestionnaires du système. Alors bien évidemment nous trouvons quelques exceptions, mais elles confirment la règle. En effet, quand un établissement catholique sous-contrat n’est pas totalement immergé, c’est qu’une audace personnelle s’est opposée aux embrassades de Marianne. Ils sont rares ceux qui osent émettre une musique discordante. C’est tellement vrai que désormais pour les clercs, l’Enseignement catholique est nécessairement sous-contrat ! Je me souviens d’avoir entendu un curé dire que le statut « hors contrat » d’une école était un signe de refus de l’unité ecclésiale. C’est oublier un peu vite l’origine de tous les établissements catholiques, ils sont nés de l’initiative privée et parfois personnelle des prêtres ou des religieux et non d’un contrat avec l’État. C’est oublier un peu trop vite aussi que les établissements catholiques d’enseignement assumaient un service public d’éducation avant-même la naissance de la république. C’est ce qu’a oublié la très grande majorité des directeurs de l’enseignement catholique dans les diocèses de France. Ces directeurs diocésains, pourtant nommés par leur évêque, sont devenus les exécutants des orientations nationales du Secrétariat général de l’Enseignement catholique et cherchent par tous les moyens à rester compatibles avec les exigences idéologiques du ministère de l’éducation nationale.
Cette regrettable décadence empêche l’Enseignement catholique d’être une véritable alternative au système général puisqu’elle en fait partie intégrante. La seule solution est à long terme, elle consiste à former des professeurs capables de transmettre une culture et à développer des établissements libres dans lesquels on puisse développer l’intelligence des enfants à partir des fondements littéraires et scientifiques.
« Pour comprendre l’école catholique dans sa mission spécifique, il convient de prendre comme point de départ une réflexion générale sur l’institution scolaire et de rappeler qu’elle ne peut être école catholique si elle n’est pas d’abord école et ne présente pas les éléments déterminants d’une école. »[1] Quels sont ces éléments déterminants d’une école, sinon la mission de transmettre une culture qui doit être assimilée pour la croissance intégrale de l’enfant ?
C’est non seulement un enjeu éducatif mais aussi et surtout un enjeu de société. Il eût été préférable que les évêques assument courageusement et constamment la mission éducative de l’Église, et la leur en particulier en tant que successeur des apôtres, mais force est de constater qu’il devient pratiquement impossible pour eux de reprendre la main sur les écoles de leur diocèse tant la machine administrative est devenue complexe et lourde.