Le contenu actuel de l’hebdomadaire Famille Chrétienne ne ressemble pas à celui de La Croix. Mais cependant…
Son charisme, il est vrai, a toujours été centriste. Mais ce modérantisme, certes voie de garage comme la suite de l’histoire l’a montré, avait jadis une certaine gueule, si on nous permet l’expression. Son fondateur Rémy Montagne (1917-1991), résistant, grand militant catholique, parlementaire centriste justement (il fut le « tombeur » de Mendès-France aux législatives de 1958 dans l’Eure), patron social, secrétaire d’État dans un gouvernement Barre, époux de Geneviève Michelin, avait fondé en 1981 le groupe Ampère, lequel devint Média-Participations en 1986, qui regroupa les éditions Fleurus-Mame, Dargaud, créa l’agence I.Média, à Rome, publia Magnificat, etc,, etc. C’est que Rémy Montagne venait de reprendre le titre Famille Chrétienne, dont il fit un organe de défense de la doctrine de l’Église en matière de mariage et de famille, à la suite du voyage de Jean-Paul II à Paris en 1980 (« France, Fille aînée de l’Église, es-tu fidèle aux promesses de ton baptême ? ») et, dit-on, d’un petit-déjeuner décisif qu’il avait partagé avec le pape Wojtyla à la nonciature apostolique.
Evoluer
Comme l’Institut Jean-Paul II, fondé à Rome, lui aussi en 1981, Famille Chrétienne était en somme la traduction pour tout un public de familles et de clercs catholiques de la ligne Humanæ vitæ¸ et l’un des éléments importants de la constitution en France d’un monde wojtylien (cardinal Lustiger à Paris ; séminaires de Paray-le-Monial, Ars, Toulon, Aix-en-Provence, qui accueillaient les vocations de la « génération Jean-Paul II » ; essai d’implantation de la revue Trente Jours ; etc.) Un catholicisme FC, carré Hermès, collier de perles, mais qui engendrait, à l’époque, des vocations.
Philippe Oswald, qui dirigea la rédaction depuis 1985, avait été professeur à l’Institut de Philosophie comparée d’André Clément. Il fut remplacé en 2010 par Aymeric Pourbaix, qui renforça la tonalité de catholicisme identitaire de l’hebdomadaire.
Mais Vincent Montagne, qui avait pris la suite de son père à la tête de l’empire éditorial familial, accompagnait l’évolution de son public catho centre droit, plus terne qu’à l’époque des Jean-Paul II, Jean-Marie Lustiger, Rémy Montagne, pour lequel la défense d’Humanæ vitæ était de l’histoire ancienne et qui se gardait plus que jamais de tout excès. Aymeric Pourbaix fut envoyé à Rome pour diriger l’agence I.Média (il sera recruté en 2018 par Vincent Bolloré et l’abbé Gabriel Grimaud pour doper la ligne éditoriale de l’hebdomadaire France catholique).
Antoine-Marie Izoard, précédemment directeur I.Média, lui succéda, et négocia une franche adaptation au climat du pontificat bergoglien. On trouve bien aujourd’hui dans FC quelques rubriques incisives de tel ou tel journaliste dont on devine qu’il aurait envie d’en dire beaucoup plus, mais il coule de page en page et de numéro en numéro une eau ni trop chaude ni trop froide (la poésie, un bien essentiel ; les études littéraires comme plus pour une embauche professionnelle). Mais il faut bien parfois s’engager, n’est-il pas vrai ? S’engager, c’est-à-dire être fermement et avec conviction du juste milieu. « Amoris lætitia, 5 ans après : quels fruits ? » : la famille, bien sûr… en sa diversité.
S’adapter
Le numéro du 6 mars – « Vatican, des femmes au cœur de l’Église – mérite un détour. Antoine-Marie Izoard se demande : « Évolution ou révolution ? » dans un article très pro, où les citations s’enchaînent pour lui permettre de dire sans que ce soit lui qui ait dit. Romilda Ferrauto, ancienne rédactrice en chef de l’édition française de Radio Vatican : « On voit au fil de ces nominations qui se succèdent […] une vraie volonté du pape de les associer [les femmes] aux processus de décisions ». Frédéric Mounier, ancien correspondant à Rome de La Croix : « La moitié des membres de la Commission biblique sont des femmes, alors que seuls des cardinaux en étaient membres ». Frédéric Mounier encore, qui estime que le texte qui va réformer la Curie pourrait être « révolutionnaire pour l’Église », dans la mesure où il va « extirper le cancer du cléricalisme », et puis aussi « transformer la pyramide hiérarchique en un “polyèdre synodal” ». Une petite phrase du cardinal Parolin, Secrétaire d’État : « En soi, une femme pourrait remplir le rôle de Secrétaire d’État, qui n’est pas lié aux sacrements et au sacerdoce ». Pas de marche vers le sacerdoce des femmes, mais « la possibilité pour les femmes de jouer un rôle dans la célébration liturgique » (toujours Mounier).
Pour autant, jure A.-M. Izoard, « le pape François n’entend pas renverser la table et ceux qui y voient une amorce de changement concernant la discipline de l’Église font fausse route ». Sauf que le même Izoard ressort comme coulant de source l’hénaurme déclaration de Mgr de Moulins-Beaufort dans un entretien qu’il avait accordé à la revue jésuite teilhardienne Noosphère, le 18 mai 2020 : l’archevêque de Reims, président de la CEF, ne verrait pas d’inconvénient, à titre personnel « que le Saint-Siège soit dirigé un jour par le pape entouré d’un collège de cardinaux dans lequel il y aurait des femmes ». Oui, des femmes cardinaux. Auxquelles on donnerait sans doute des paroisses de Rome comme titres cardinalices. Faut-il rappeler à MM. de Moulins-Beaufort et Izoard que les cardinaux représentent la part éminente du clergé romain, sénat du pape et collège électoral pour désigner l’évêque de Rome ? Pour le coup, Famille Chrétienne devient comme une petite sœur de La Croix.
Muer ?
Et puis, il y a plus fort encore. Famille Chrétienne, dans un article signé I.Média, paru ce 24 mars sur le site de la revue, fait chorus avec les médias progressistes à propos de l’attitude de François vis-à-vis de la récente réponse de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi du 15 mars dernier déclarant illicite la bénédiction des couples homosexuels : l’article rapporte les propos de deux vaticanistes amis de longue date de François, l’Irlandais Gerard O’Connell et l’Argentine Elisabetta Piqué, son épouse, qui affirment que le pape avait en privé «pris ses distances» avec la réponse de la CDF. En outre, « le pape a – sans que cela soit relié formellement à la note – critiqué publiquement à deux reprises en une semaine le pharisianisme existant au sein de l’Église». Et d’expliquer qu’il agissait comme il l’avait fait à propos des unions civiles homosexuelles : il les avait approuvées («Ce que nous devons faire, c’est une loi d’union civile [pour les homosexuels], car ils ont le droit à une couverture légale»), tout en déclarant par ailleurs que cela ne changeait rien à la doctrine de l’Église. Ici ce serait l’inverse : tout en ayant approuvé la doctrine rappelée par la CDF, le pape ferait ensuite savoir discrètement qu’il n’y pas lieu d’être trop «rigoureux» sur ce chapitre. Famille Chrétienne n’approuve pas platement une supposée entourloupette du Saint-Père qui confirmerait officiellement la doctrine morale et la contournerait pratiquement; elle explique que «son désaccord [avec la réponse de la CDF] porterait plus sur la forme que sur le fond». Ah ! qu’en termes dévots ces choses-là sont mises.