Communiqué de la CEF suite à son assemblée plénière, dédiée aux abus sexuels :
Du 22 au 24 février 2021, s’est tenue une Assemblée plénière extraordinaire des évêques de France. Inscrite par les évêques de France en plus de leurs deux assemblées habituelles, cette session avait pour objectif d’approfondir leur réflexion sur le terme de responsabilité dans le cadre des abus sexuels sur personnes mineures commis au sein de l’Église catholique.
Cette réunion, entièrement tenue en visio conférence, s’est élargie pour la moitié de sa durée à une trentaine d’autres personnes : des personnes victimes, des membres des groupes de travail mis en place en novembre 2018, des membres de cellules d’accueil et d’écoute, divers responsables ecclésiaux (directeurs de service nationaux de la Conférence des évêques de France, la présidente de la Conférence des Religieux et Religieuses en France).
Alternant des séquences plénières et des temps de travail en petits groupes, les participants ont travaillé le terme de responsabilité sous diverses acceptions et selon divers angles : psycho social, philosophique, théologique, biblique, historique. Ils ont notamment écouté les interventions de Mme Elisabeth Pelsez, ancienne Déléguée interministérielle à l’aide aux victimes, membre de la Mission de préfiguration du Musée-mémorial du terrorisme et de M. Henry Rousso, président de la Mission de préfiguration du Musée-mémorial du terrorisme. Ils ont aussi bénéficié de l’éclairage biblique apporté par Sœur Sophie Ramond, religieuse de l’Assomption, maître en philosophie et docteur en théologie.
Lundi soir (22 février), les participants ont assisté à la pièce de théâtre : « Pardon ? », spécialement enregistrée pour l’occasion.
À travers ces différents points de vue, la place et le rôle des personnes victimes dans cette réflexion s’est confirmée comme déterminante.
Durant cette Assemblée plénière extraordinaire, les évêques ont travaillé à la responsabilité vis-à-vis du passé, du présent et de l’avenir et ont posé un cadre pour leur réflexion à venir.
Cette session s’inscrivait ainsi dans la perspective de l’Assemblée plénière de printemps (23 – 26 mars 2021) dont le but sera d’engager l’Église en France pour plusieurs années dans un dispositif viable afin de la conduire hors de la crise des agressions sexuelles et des abus de pouvoir.
Cette Assemblée plénière se plaçait aussi dans la perspective de la réception du rapport de la Commission Indépendante sur les Abus Sexuels dans l’Eglise (CIASE) ; rapport qui devrait être rendu public en octobre 2021 selon M. Jean-Marc Sauvé, Président de la CIASE.
En même temps, le quotidien La Croix a publié un dossier à charge sur les frais Thomas et Marie-Dominique Philippe, condamnés dans les années 1950 par Rome, mais qui ont pu reprendre leur ministère, fonder ou cofonder deux communautés majeures en France, Saint-Jean et l’Arche, en dépit de leurs abus. La question a été abordée d’emblée :
Comment deux prêtres, frères de sang et frères prêcheurs, éminents théologiens, tous deux sanctionnés sévèrement par Rome durant les années 1950 dans une affaire trouble mêlant mystique et abus sexuels ont-ils pu, quarante ans plus tard, retrouver un rayonnement et une place telle dans l’Église qu’ils furent l’inspirateur, pour l’un, et le fondateur, pour l’autre, de deux communautés catholiques majeures et furent vénérés comme des saints jusqu’à leur mort ?
En effet, en 1951, des plaintes émanant de deux femmes accompagnées spirituellement par le père Thomas Philippe, une laïque et une novice, parviennent aux supérieurs du père Thomas Philippe. En avril 1952, il est sommé de venir à Rome où un procès s’ouvre, qui va durer quatre ans. Le 28 mai 1956, la sentence tombe, la plus grave avant le renvoi de l’état clérical : le père Thomas est condamné à la déposition, il n’a plus le droit de célébrer les sacrements, ni d’occuper un quelconque ministère. Selon des extraits significatifs présentés lors du chapitre général de la communauté Saint-Jean, en octobre 2019, Thomas Philippe fut condamné pour avoir abusé sexuellement de femmes en recourant à des justifications mystiques.
« Si le Saint Office, l’ancienne Inquisition, s’en est mêlé, avance un proche du dossier, ce n’est pas tant par intérêt pour ces femmes, victimes à une époque où ces affaires se réglaient plus volontiers en déplaçant les prêtres, mais parce qu’il y était question de fausse doctrine. »
De fait, le père Thomas avait tenu à se défendre lui-même et à les justifier théologiquement !
La même année, le père Marie-Dominique est lui aussi soupçonné et une enquête sub secreto lancée. Un an plus tard, il est interdit de confesser, d’accompagner, de séjourner ou de prêcher dans les couvents féminins.
Alors que les enquêteurs des années 1950 ont pris les choses très au sérieux, le suivi de l’affaire est en revanche beaucoup plus lâche après les années 1960. D’abord reclus dans un monastère italien, Thomas Philippe est autorisé à rentrer en France en 1963, et va reprendre son ministère, tandis que Marie-Dominique fondera la communauté Saint-Jean en 1975, en marge de l’ordre dominicain. D’où vient cette défaillance ? Le Croix admet :
Le climat post-conciliaire a sans doute joué dans l’indulgence dont il a bénéficié. Au lendemain de Vatican II, l’Église passe d’un modèle autoritaire à un modèle de « communion » et fait primer la miséricorde. « Le Saint Office contrôlait auparavant très étroitement l’Église de France et sanctionnait ses meilleurs théologiens (Congar, Chenu). Vatican II est perçu comme un renversement, il faut réinventer l’Église, analyse le sociologue Yann Raison du Cleuziou. L’idée que les normes instituées sont indépassables est balayée. La sanction perd de sa pertinence. » Ce manque de régulation prévaut d’autant plus chez les dominicains qu’ils sont pris par d’autres soucis – l’hémorragie qui frappe le clergé et les ordres religieux ainsi que la crise de l’autorité dans la province de France. L’Église n’est pas indemne non plus des changements d’une société où, après Mai 68, il est désormais « interdit d’interdire » .
Emblématique de ce climat, le provincial Nicolas Rettenbach (1967-1975) manifeste une grande sollicitude à l’égard des cas difficiles : « Pour sauver des vocations religieuses, il veut éviter l’humiliation d’une sanction, poursuit Yann Raison du Cleuziou. Le meilleur moyen à ses yeux de maintenir dans l’ordre les jeunes frères progressistes est de ne pas entraver leur liberté. Cette stratégie a-t-elle bénéficié aussi aux frères Philippe ? »
Le sujet revient dans les années 2000 :
Au début des années 2000, l’évêque d’Autun, dont dépend Saint-Jean, Mgr Raymond Séguy, qui avait reçu des plaintes sur des abus commis par des frères, « se désespérait de ne pouvoir “rien faire” », rapportent des témoins de l’époque. « Il envoyait des dossiers au nonce mais Rome ne bougeait pas », relate le dominicain Jean-Miguel Garrigues qui, lui-même, quitta les « petits gris » en 2002 après avoir reçu les confidences de victimes d’abus au sein de la communauté. « On pourrait se demander, avance-t-il, si, comme pour les Légionnaires du Christ, ce n’était pas le cardinal Angelo Sodano, alors secrétaire d’État du Vatican, ou Mgr Stanislaw Dziwisz, secrétaire particulier de Jean-Paul II, qui intervenaient pour que les dossiers n’avancent pas. Le cardinal Dziwisz comme le cardinal Franc Rodé à la Congrégation pour les religieux avaient beaucoup de mal à croire des dénonciations de personnes semblant défendre le pape et la bonne doctrine. »