Le Père Marc Lambret, aumônier des parlementaires, Directeur du Service Pastoral d’Etudes Politiques et Recteur de la basilique Sainte-Clotilde, a envoyé ce texte :
« Nous ne pouvons plus discuter avec des gens qui refusent d’écrire sur un papier que la loi de la République est supérieure à la loi de Dieu ». Ces mots d’un ministre, prononcés sur une antenne de grande écoute, ont de quoi surprendre. L’intention était probablement de combattre les résistances délétères des islamistes et sans doute ne faut-il donc pas en exagérer la portée.
Cependant, même si l’auteur n’entendait viser qu’une certaine frange d’une confession religieuse donnée, ces propos portent sur tous les croyants. Ils atteignent donc aussi l’Église catholique et c’est fort de sa tradition et de son expérience que je voudrais vous livrer quelques réflexions à cette occasion.
On pourrait d’abord remarquer que les termes employés par M. Darmanin font écho à certaines expressions d’Aristide Briand, le père de la loi de 1905, qui se félicitait d’avoir obligé l’Église à rentrer dans cette législation nouvelle, alors même que le pape Pie X avait refusé, avec les associations cultuelles, l’instrument primordial de la réalisation de la Séparation.
Mais, attention ! Pour amener l’Église, après la rupture de 1906, à la soumission aux termes de la loi républicaine, Briand avait su trouver en urgence les moyens juridiques d’organiser légalement l’exercice du culte dans des églises que le défaut de constitution d’associations cultuelles laissait en quelque sorte sans maîtres légaux. Il avait répondu au choix pontifical par une démarche qui, au regard de notre droit, était libérale. Il lui paraissait inconcevable que la messe fût hors la loi. On ne peut pas être absolument certain que la thématique révélée par le propos ci-dessus rapporté soit tout à fait de même inspiration.
Il y a cependant un point commun entre Aristide Briand et M. Darmanin. Tous deux pensent les relations avec les cultes et avec les institutions qui les représentent sous le mode de rapports de force purement politiques. L’Église de France est habituée à ce genre d’approximations et d’appropriations. Le monde politique est prompt à ne se représenter son fonctionnement qu’en termes de pouvoir clérical. Ainsi, après 1968, quand les parlementaires parlaient en séance de la crise de l’autorité, l’Église était la première institution qui leur venait spontanément à l’esprit.
Je voudrais encourager à sortir d’un enfermement plus ou moins conscient dans ces catégories de représentations. Si, pour un chrétien, la loi de Dieu ne saurait être “inférieure” à la loi de la République, elle n’est surtout pas du même ordre. En particulier, la loi divine selon l’Église ne se réduit pas au droit canon, fort utile au demeurant pour structurer sa vie. Le grand commandement dont tout le reste dépend, c’est l’amour : l’amour de Dieu et du prochain. Et cet amour s’inscrit dans la force de la conscience personnelle qui ne relève pas de l’ordre politique ou légal, mais de celui, à coup sûr supérieur, de la liberté essentielle de l’homme.
Alors, oui, les croyants peuvent et doivent être de bons citoyens, respectant les lois de la République, sans pour autant perdre les droits inaliénables de la conscience. Cette instance suprême, indépendamment de toute théorie sur l’autorité politique, permet à l’homme de se penser en être raisonnable et sociable, ce qu’aucune loi positive, si opportune ou sensée soit-elle, n’a vocation à accomplir. Tout au plus la loi humaine, en l’occurrence la loi de la République, peut-elle et doit‑elle assurer l’effectivité de ces droits, y compris en garantissant l’exercice individuel et collectif de la liberté religieuse.
Bien à vous, dans la foi en ce Dieu qui veut du bien à tous.