Dans le mensuel La Nef du mois de février, l’historien et sociologue Yann Raison du Cleuziou a été interrogé sur la nouvelle sociologie de l’Eglise en France. Interrogé sur l’écart qui se creuse entre la base des fidèles militants et les évêques, il répond :
Qui s’inquiète encore de l’opinion des évêques? Lors de mes entretiens réguliers avec des catholiques, je constate une forme de gêne et d’ennui quand j’évoque la question. La plupart des diocèses sont des cadres institutionnels en faillite dans la mesure où leurs principaux instruments de façonnement de l’unité locale de l’Église ont perdu une grande part de leur légitimé : la paroisse territoriale remplacée par une logique affinitaire dans les centres urbains ; le clergé séculier, remplacé progressivement par des communautés nouvelles ou des prêtres étrangers ; l’enseignement catholique contesté par l’essor du hors contrat ; l’autorité épiscopale souvent abîmée par les scandales de pédophilie. Les grandes métropoles résistent encore parce qu’elles bénéficient des migrations étudiantes ou professionnelles qui drainent les élites catholiques de toutes les provinces. Mais ces diocèses se gentrifient, ce qui est un autre problème. Les évêques qui disposent de quelque aura ne l’ont que parce qu’ils jouent des clivages intra-ecclésiaux et se positionnent comme des ressources de légitimité pour des courants de laïcs qu’ils ne contrôlent pas. Vous observerez que les paroles d’évêques sont d’autant mieux relayées sur les réseaux sociaux quand elles divisent le corps ecclésial en suggérant qui sont les bons et les mauvais. La confirmation de cette logique se trouve dans le recrutement des séminaires diocésains qui conservent des entrées : les séminaristes viennent d’autres diocèses et sont mus par des affinités.
Ensuite, s’il y a un écart qui se creuse toujours plus, c’est entre la société française et les pratiquants. Dans bien des paroisses, 30 % des paroissiens ne sont pas revenus après le confinement. On est là dans un mouvement quantitatif qui excède largement, je pense, le nombre des manifestants pour la messe. Sans doute, il y a des cohortes de personnes âgées prudentes qui ont basculé d’un coup vers Le Jour du Seigneur au lieu de le faire de manière étalée dans les cinq années à venir s’il n’y avait pas eu la Covid. Mais il y a aussi tous ceux qui étaient déjà des pratiquants fragiles et qui se sont rendus compte qu’ils se passaient très bien de messe ou que les rituels bricolés à domicile étaient plus propices à leur vie intérieure. N’oublions pas tous les mariages et baptêmes annulés. Leur public est constitué principalement de catholiques peu ou pas pratiquants. Vont-ils revenir ? Probablement pas tous. Qu’est-il fait pour aller les rechercher ? J’observe que les catholiques qui ont le plus de résilience et maintiennent la pratique sont ceux qui ont privatisé, au sein des familles, la transmission de la foi. Ceux qui s’appuient sur des structures collectives (paroisse, école, mouvement) décrochent plus ou moins rapidement quand ils perdent le contact.