Bruno D’Arcimoles, président de l’Association REPAR (Restaurons Ensemble le Patrimoine de Rueyres), déclare dans La Vie Quercynoise :
Le but de l’association est de remettre en état l’église, les calvaires, lavoirs, chemins, fours situés sur la commune. Et de mettre le culturel à la portée de la ruralité, comme le prochain concert de musique d’instruments anciens, ou l’exposition de photographies du village vers 1900. Sans oublier l’animation de l’annuelle fête du pain.
Forte de ses 100 adhérents (sur une population de 200 habitants), l’association, très active, a choisi cette année de remettre en état l’église qui était mal entretenue et de prendre la charge de maître d’œuvre des travaux, sous la responsabilité de M. Sicard, architecte des Bâtiments de France. Ainsi a été posé en juillet, le nouvel autel de pierre de Dordogne, sculpté au maillet par Jacques Deverdal de Souceyrac.
Quelle est la spécificité de l’église de Rueyres ?
« Dans cette église se concentrent les trois types d’architecture présents en France, l’art roman, l’art gothique et l’art moderne. Une époque complète l’autre sans la détruire » a résumé M. Sicard lors de sa visite à Rueyres. Situé au bord de la route entre Figeac et Saint-Céré, l’édifice du XIIe siècle a été en partie conservée lors des travaux de reconstruction et d’agrandissement du XIXe siècle. Possession de Saint-Martial de Limoges, la paroisse Notre Dame de l’Assomption revient par échange en 1180, à l’évêque de Cahors, qui la donne à l’abbaye de Leyme. D’où la présence de peintures murales du XVe siècle dans la chapelle romane.
Mgr Camiade, évêque Cahors, a consacré ce nouvel autel le 9 août. Homélie de Mgr Laurent Camiade :
Mes frères, la consécration d’un nouvel autel est un événement important. Même si ce n’est pas la première fois que la messe est célébrée dans cette église, il s’agit bien d’un commencement : la première fois que la messe sera célébrée sur cet autel. Lorsque nous prions devant l’autel, nous pouvons faire converger en Jésus notre offrande spirituelle, notre désir de nous unir à Jésus et de le laisser rendre gloire à Dieu pour nous. Nous faisons cela par lui, avec lui et en lui. Pour la gloire de Dieu et le salut du monde.
L’Evangile d’aujourd’hui nous montre les disciples dans la barque battue par les flot avec un vent contraire. C’est une image de l’Église d’aujourd’hui, faisant face à bien des vents contraires. Notre époque n’est pas la plus facile pour le christianisme en France. Nous sentons que nos communautés chrétiennes sont affaiblies, peu nombreuses, dispersées, parfois divisées ou affligées par des scandales ou des injustices. Nous ne pouvons plus célébrer la messe dans toutes nos belles églises, non pas tant par manque de prêtres, mais d’abord par manque de fidèles. La foi au Christ semble souvent éteinte dans les cœurs. Nous ne devons pas nous cacher cette réalité de la fragilité de l’Église en France et en Europe, fragilité d’autant plus criante qu’il y a un siècle, tout le monde semblait encore concerné par l’Église, presque tous les habitants de nos régions étaient baptisés. Dans nos églises, on célébrait souvent plusieurs messes par dimanche car elles étaient trop petites pour contenir tout le monde et cela, même sans les mesures de distanciation physiques actuelles. Alors la comparaison est redoutable ! Cela nous fait de la peine.
Dans la seconde lecture de ce matin, saint Paul exprime des sentiments de trouble qui peuvent ressembler aux nôtres. Lui qui a grandi dans la foi juive, il est profondément troublé de voir que ce peuple choisi par Dieu s’avère massivement incapable de reconnaître le Christ : « j’ai dans le cœur une grande tristesse, dit-il, une douleur incessante ». Et il ajoute, « moi-même, pour les Juifs, mes frères de race, je souhaiterais être anathème, séparé du Christ » (Rm 9,2). Comme saint Paul, un chrétien ne peut pas s’accommoder de sentir que ceux que Dieu a élus sont éloignés de lui. Il semble que dans le cœur de saint Paul, il y ait un profond déchirement qui lui fait quasiment désirer être damné —séparé du Christ— si cela pouvait servir au salut de ses frères de race. Se damner n’a jamais sauvé personne ! Mais nous ne devons pas éteindre en nous ce feu qui nous fait désirer que tous ceux que nous aimons connaissent le Christ et soient sauvés par Lui.
Mes frères, même face aux vents contraires, Dieu continue d’appeler tous les hommes à se laisser sauver par le Christ et à ouvrir leur cœur à l’Esprit Saint. Il ne nous sera peut-être pas donné de voir cela se réaliser. Mais nous ne devons jamais éteindre en nous ce désir.
Si nous osons consacrer aujourd’hui un nouvel autel dans une si petite église ou si peu de monde vient prier, n’est-ce pas pour témoigner de notre confiance dans cette capacité jamais éteinte, pour le Christ, de réveiller la foi dans les cœurs ?
Nous ne sommes pas maîtres de ce qui pourra se passer. Mais notre tâche de chrétiens est de rester attachés au Christ qui nous sauve.
Dans l’Évangile de ce jour, nous voyons Jésus marcher sur la mer. Les disciples n’en reviennent pas. Il fait quelque chose d’impossible. Mais lui, voici ce qu’il attend de ses disciples : « Confiance ! c’est moi ; n’ayez plus peur ! »
En regardant cet autel dans cette église, j’aimerais que chacun d’entre vous qui êtes ici, chaque fois que vous viendrez prier ici, vous ré-entendiez en vous-mêmes ces paroles de Jésus qui marchait sur la mer : « Confiance ! c’est moi ; n’ayez plus peur ! »
En célébrant l’eucharistie tout à l’heure, posez un acte de foi : c’est lui, c’est Jésus qui se rend présent sur l’autel. Nous pouvons le ré-entendre nous dire : « Confiance ! c’est moi ; n’ayez plus peur ! »
Saint Pierre, entendant ces mots n’a qu’un seul désir, rejoindre le Christ, se laisser lui-même guider par la foi : « Seigneur, si c’est bien toi, ordonne-moi de venir vers toi sur les eaux ». Et il se lance ! L’instant d’après, il doute. Mais qu’importe. Il crie vers Jésus : « Seigneur sauve-moi » et Jésus le rattrape.
Cela peut sembler vraiment irréaliste de contempler cette scène évangélique et de se dire oui, « Seigneur, si c’est bien toi, ordonne-moi de venir vers toi sur les eaux ». La foi chrétienne ne devrait pas nous conduire à perdre le sens du réel. Si je me jette à l’eau depuis une barque au milieu du lac de Tibériade, c’est sûr, je vais couler ! De même que si nous ne sommes pas prudents dans le contexte actuel d’épidémie, il est sûr que nous participerons à la reprise de la pandémie et cela peut s’avérer criminel non seulement pour nos proches mais à l’échelle mondiale. C’est pourquoi nous supportons la tristesse de laisser vides nos bénitiers car la bénédiction de l’eau ne l’immunise pas contre les virus. Comme le disait déjà le concile Vatican I en 1870, « bien que la foi soit au-dessus de la raison, il ne peut jamais y avoir de vrai désaccord entre la foi et la raison, étant donné que c’est le même Dieu qui révèle les mystères et communique la foi, et qui fait descendre dans l’esprit humain la lumière de la raison : Dieu ne pourrait se nier lui-même ni le vrai contredire jamais le vrai » (Constitution dogmatique sur la foi catholique Dei Filius, IV).
Alors que veut dire cette scène d’Évangile ? D’abord qu’il s’est produit un miracle : Jésus a marché sur les eaux et ensuite Pierre. Mais, par définition, le miracle est exceptionnel. Ce qui nous concerne ici dans notre vie de tous les jours, c’est de garder confiance en Jésus qui, en marchant sur les eaux, nous apprend qu’il s’est rendu maître de la mort, qu’il l’a vaincue. La mer, dans la symbolique biblique est un espace inquiétant, symbole de mort. La résurrection et la victoire du Christ sur la mort n’ont pas modifié les risques humains dans ce monde-ci, mais ont ouvert aux hommes l’espérance d’une vie toute autre, après la mort, après la fin de ce monde. Voilà, ce dont nous devons être témoins et qui est plus essentiel que tout. Même réduite à de toutes petites communautés que le sociologue dit « résiduelles », l’Église est appelée à témoigner de sa fidélité envers Dieu, de sa joie et de son espérance. Nos petites communautés, parce qu’elles continuent de croire d’espérer et d’aimer, sont des communautés qui marchent sur l’eau. Contre toute attente, elles ne sombrent pas et elles sont porteuses d’une force étonnante. On continue de venir à l’église pour les funérailles car nous restons à peu près les seuls à pouvoir dire une parole d’espérance devant la mort, cette mort que la société contemporaine passe son temps à nier, à chercher à ne pas voir, à ne pas affronter. Des jeunes ou des adultes, aujourd’hui encore, découvrent le Christ et sont attirés par Dieu.
Si nous consacrons un autel, n’est-ce pas pour dire que malgré le pari improbable que cela suppose, nous croyons encore que la messe sera célébrée dans les siècles à venir ? Là, nous marchons sur les eaux. Vraiment. Mais en réalité, dans notre époque matérialiste, le patrimoine religieux n’a pas perdu sa capacité de toucher les cœurs car il n’a de sens que pour rendre gloire à Dieu.
Nos communautés, même petites et confrontées aux contradictions actuelles, ont un avenir si elles restent ouvertes sur le monde qui les entoure. Si elles ne cherchent pas tant à subsister comme des vestiges du passé, qu’à témoigner de leur foi en l’avenir. Si elles entendent et si elles ré-entendent chaque jour le Christ leur dire : « Confiance ! c’est moi ; n’ayez plus peur ! »
Amen.
+ Laurent Camiade, évêque de Cahors.