En ce dimanche 14 juin, l’Eglise (notamment en France puisque le jeudi de la Fête Dieu n’est pas un jour chômé) nous invite à solenniser le Saint-Sacrement. Dom Pius Parsch, chanoine régulier de l’abbaye de Klosterneuburg (Autriche) (1884-1954), nous livre ses réflexions sur cette grande fête dans le Guide de l’année liturgique.
Que fêtons-nous, aujourd’hui ? Le nom le dit : Festum Sanctissimi Corporis Christi — la fête du Très Saint Corps de Jésus-Christ. C’est donc la fête du corps du Christ dans l’Eucharistie ou, plus précisément, la fête de l’institution de l’Eucharistie, ce qu’indique bien notre désignation française : la fête du Saint-Sacrement. Cette fête est, en même temps, un hommage au Christ qui, par l’institution de l’Eucharistie, a fait à son Église le plus grand présent. A vrai dire, le jour de l’institution de l’Eucharistie est le Jeudi-Saint. Mais le souvenir de la Passion du Christ ne permet pas une joie festivale ce jour-là. C’est pourquoi une fête spéciale du Saint-Sacrement nous permet de célébrer l’aspect joyeux du Jeudi-Saint. On a choisi, pour cette célébration, le jeudi qui suit la conclusion du cycle pascal.
La liturgie de notre fête a été composée par le grand docteur de l’Église, saint Thomas, sur l’ordre du pape Urbain IV, en l’an 1264. Il est incontestable que nous avons là une œuvre classique de la liturgie. Nous remarquons, cependant, une grande différence entre l’Office de la fête du Saint-Sacrement et celui des fêtes plus anciennes. L’office des fêtes anciennes ressemble à un parc grandiose, mais sauvage ; l’office de la fête du Saint-Sacrement peut être comparé à un artistique jardin à la française. Les fêtes anciennes respirent l’esprit puissant de l’ère des martyrs, mais n’ont pas, d’ordinaire, une construction aussi délicate et artistique. Les fêtes modernes se distinguent par une construction systématique et diverses formes artistiques. La fête du Saint-Sacrement est une fête moderne et elle tient le premier rang parmi ces fêtes. C’est un véritable chef-d’œuvre artistique. Tant dans la prière des Heures que dans la messe, nous rencontrons sans cesse de nouvelles beautés architecturales. Examinons de près cet office classique.
Les Matines commencent par un hommage au Christ-Roi : « Le Christ, le Roi, le Souverain des nations… » Depuis que nous célébrons la fête du Christ-Roi, nous sommes plus attentifs aux textes liturgiques qui proclament sa royauté. Nous le voyons, la Fête-Dieu est aussi une fête du Christ-Roi, un hommage au divin Roi qui, dans l’Eucharistie, règne sur les peuples.
Puis, vient l’hymne. Les hymnes de la Fête-Dieu attestent toutes le grand talent poétique de saint Thomas. Malgré toute son originalité, saint Thomas, dans le rythme et la rime, suit les traces des célèbres compositions lyriques qu’Adam de Saint-Victor (1192) nous a laissées et qui forment l’héritage spirituel de l’abbaye royale des chanoines réguliers de Saint-Victor. Signalons seulement l’hymne des Laudes (Verbum supernum), dans laquelle se trouvent ces vers qui sont un vrai « monument » :
Se nascens dedit socium,Convescens in edulium,Se moriens in pretium,Se regnans dat in præmium.Il naît et se fait notre compagnon,Il mange avec nous et nous donne un aliment délicieux,Il meurt et sa mort est notre rançon,Régnant au ciel, il se donne en récompensa.C’est à propos de cette strophe que le poète Santeuil disait qu’il aurait donné toutes ses œuvres pour être l’auteur de ces quatre vers.
Les trois nocturnes des matines doivent marquer une progression.
Le premier représente l’Ancien Testament, et, par suite, nous offre souvent une figure ou un type ; le second traite des pensées de la fête ; le troisième, avec l’Évangile, est le point culminant.
Dans les matines du Saint-Sacrement, les leçons du premier nocturne ne sont pas empruntées à l’Ancien Testament, mais au Nouveau. Par contre, les trois répons nous présentent trois des plus belles figures de l’Eucharistie : l’agneau pascal, la manne et le pain cuit sous la cendre, présenté à Élie. Saint Thomas montre une véritable maîtrise dans le choix des psaumes et dans le cadre des antiennes, qui semble se présenter de lui-même.
Les leçons du deuxième nocturne ont été composées par saint Thomas lui-même. Elles sont de ces écrits dont le Christ en personne aurait dit : « Tu as bien écrit de moi, Thomas ». Dans les répons de la fête du Saint-Sacrement, nous trouvons une forme artistique spéciale. Tous (à l’exception d’un seul) ont cette particularité qu’une partie est tirée de l’Ancien Testament et l’autre du Nouveau. Dans les répons du premier nocturne, la première contient la figure et l’autre l’accomplissement.