Nous sommes réunis en cet après-midi pour une manifestation. Une manifestation qui ne nécessite aucune déclaration préalable en Préfecture. Une manifestation qui n’est pas celle de l’installation de votre nouvel archevêque ici à Tours.
Nous sommes réunis pour une manifestation qui scinde l’histoire en un avant et un après. Il s’agit de « l’épiphanie », c’est à dire au sens précis du terme, la manifestation ou l’apparition dans l’histoire, de l’entrée dans l’humanité de Jésus, l’enfant de la crèche que certains reconnaissent et confessent comme étant Dieu lui-même qui vient nous visiter. Cette manifestation, cette épiphanie dit l’originalité de la foi chrétienne, se fait par une modalité particulière et veut éclairer un but.
1 – Cette manifestation, cette épiphanie vient en effet avant toutes choses remettre en pleine lumière l’originalité de la foi chrétienne offerte à tous.
Car il est parfois bon de rappeler – nous faisons parfois des erreurs de perspectives si nous observons tout uniquement à partir de notre situation occidentale – que l’humanité aujourd’hui est composée d’hommes et de femmes qui dans leur grande majorité croient en une réalité transcendante, à une ou des divinités voire en un Dieu personnel.
Les chrétiens eux aussi mettent leur foi en un Dieu personnel, mais ils croient aussi, et cela nous est rappelé en ce temps de Noël et de l’Epiphanie, que ce Dieu personnel – celui à qui on peut dire « tu » – est entré dans notre histoire et à pris notre condition humaine ; il est entré dans notre chair. Il s’est fait l’un de nous comme le dit notre foi, excepté le mal, le péché.
Et cela dit immédiatement l’attention, l’estime, « la tendresse de Dieu » – pour reprendre les propos du Pape François dans un texte récent sur le signe de la crèche – oui la tendresse de Dieu pour l’humanité. L’humanité, malgré ses fragilités est belle, aimée de Dieu qui vient la visiter. Et s’il fait ainsi c’est « pour nous les hommes et pour notre salut », c’est à dire pour nous communiquer sa vie. Comme le dira Jésus au cœur de sa mission : « Je suis venu pour que les hommes aient la vie et qu’il l’aient en abondance ». C’est ce mystère que récapituleront dans une formule forte les Pères de l’Eglise, des contemporains de saint Martin en disant qu’en Jésus, « Dieu s’est fait homme pour que l’homme devienne Dieu ».
En se faisant l’un d’entre nous, Dieu nous manifeste en pleine lumière ce que veut dire « être homme ». Il est le modèle de l’humanité. Mais s’il veut partager notre humanité c’est aussi pour nous partager sa vie divine, aujourd’hui, ici et maintenant et jusque dans l’éternité. Et cela, il le fait par pure grâce, gracieusement, gratuitement, par amour. C’est la raison pour laquelle les célébrations du temps de Noël osent parler d’un « admirable échange » entre nous et Dieu. Dieu prend notre condition humaine et nous rend participant de la sienne. Et ce don, ce partage, le mystère de l’Epiphanie nous l’a rappelé s’adresse à tous les hommes, est universel. Les mages représentent cette diversité de l’humanité invitée à entrer dans la joie de la vie de Dieu offerte à tous désormais.
2 – Si l’Epiphanie est la manifestation de Dieu dans notre humanité, c’est aussi une manifestation qui se fait d’une manière toute particulière. Dieu vient vers nous en se faisant, petit, enfant ; en se faisant petit enfant.
En effet, Celui qui est l’origine et la fin de tout, Celui qui est tout de même Dieu, pour paraphraser Maurice Clavel, ne va pas se manifester dans sa gloire et sa splendeur, mais dans la petitesse. Et s’il agit ainsi c’est pour se rendre accessible.
Le Pape François dans un texte essentiel pour la mission, « Evangeli Gaudium », nous rappelle, reprenant les propos de son prédécesseur Benoit XVI, que la foi chrétienne n’est pas d’abord une affaire de morale (même) ou une question intellectuelle (même si) ; la foi chrétienne est avant toutes choses une rencontre, la rencontre avec une personne, celle de Jésus qui bouleverse notre vie et ouvre l’horizon de l’existence et lui donne sens. Il ajoute même que cette rencontre, si elle est authentique, produit la joie qui est la source de la mission ; car personne ne peut garder égoïstement cette joie en lui. Mais encore faut-il que cette rencontre de Jésus soit possible, encore faut-il que Dieu soit accessible. Et il le devient en se faisant l’un d’entre nous, en se faisant accessible par son abaissement, sa petitesse, sa vulnérabilité. Qui aurait peur de s’approcher d’un enfant ?
Parce que Dieu veut nous rencontrer pour partager sa vie avec nous, il se rend accessible et surtout va nous donner, nous communiquer sa vie, son Esprit. C’est par ce don qu’il nous fait de lui-même qu’il instaure une certaine égalité avec nous qui permet l’amitié vraie, l’amour véritable. L’amour vrai bannit la crainte.
Mais s’il se fait ainsi petit pour se rendre accessible, pour qu’une relation d’amour, d’amitié soit possible, ce passage par la petitesse est aussi une leçon de vie. On interrogeait il a quelques mois sur France culture, Yuval Harari, l’auteur de « Sapiens » et « Homo Deus » deux ouvrages de vulgarisation sur l’histoire de l’humanité jusqu’à nous et après nous, c’est à dire sur les temps qui viennent. Observant son pessimisme face à l’avenir de notre civilisation, un journaliste lui demandait alors : « Combien de temps donnez-vous encore à notre civilisation et pour quelle raison ? » Et il répondait : « environ 150 ans, 3 ou 4 générations ». Et il ajoutait « parce que les hommes veulent toujours plus et qu’ils ne pourront jamais se contenter de moins ». (150 ans sur l’échelle des temps, guerre de 1870 ; 900 ans pour cette cathédrale).
Face à la démesure, à l’obsession du toujours plus, l’évangile nous rappelle aujourd’hui par l’enfant de la crèche une leçon essentielle, voire vitale. Celle de la petitesse, de l’humilité, de la sobriété qui est une clé pour rencontrer l’autre mais aussi une clé du salut et de l’avenir.
3 – En ce dimanche nous vivons une manifestation qui nous rappelle l’originalité de la foi chrétienne ; une manifestation qui s’opère par la petitesse, la modestie. Enfin, cette manifestation nous invite à un changement, à une conversion.
Car nous l’avons entendu, des mages venus d’Orient sont venus à la crèche, signe que la lumière du Christ Jésus est pour toute l’humanité. Mais s’ils sont arrivés devant l’enfant s’est par le moyen de deux livres par lesquelles Dieu nous parle (Saint Bonaventure). Ils sont venus en mettant en œuvre leur raison, leur intelligence, en observant les astres, le livre de l’univers, de la création. Mais il leur faudra un autre livre et les annonces des prophètes pour rejoindre précisément Béthléem.
Cela signifie que toute l’humanité est appelée à la rencontre transformante avec l’enfant de la crèche. Et cette rencontre mobilise tout notre être, notre cœur qui écoute la Parole et notre intelligence qui cherche la vérité comme les mages autrefois. Comme le dira le Pape Benoit XVI devant les parlementaires britanniques en 2010 l’intelligence et la foi ont a s’éclairer mutuellement : la foi a besoin de l’intelligence pour ne pas céder au fanatisme et au sectarisme ; l’intelligence doit être sans cesse questionnée par la sagesse de la foi pour éviter de se retourner contre l’homme comme cela a été le cas pour les grandes idéologies totalitaires du XX° siècle aux effets dramatiques. L’homme est appelé à cherche le bien le bon le vrai de tout son être. Et s’il le fait, de bonne volonté, alors, comme les mages qui repartiront chez eux par une autre chemin, par une route, il peut changer sa vie, se convertir pour agir et vivre mieux. Ce chemin est aussi le beau combat de la grâce. Michel Serres dans on ouvrage posthume, qui s’ouvre avec Jésus, évoque d’abord la foi aisée de son enfance, puis le long chemin de la connaissance rationnelle pour dire dans la lumière de Blaise Pascal et du besoin de la grâce : « Ô Seigneur qui me voit Te chercher, ne tarde point à ouvrir la porte que ma raison ferme ».
Frères et sœurs, chers amis,
L’Epiphanie, la manifestation de ce jour nous éclaire. Dieu se manifeste pour nous partager sa vie, pour nous rencontrer; il le fait sobrement, modestement ; il le fait pour une transformation. Voilà un programme lumineux, un beau chemin spirituel : pour chacun d’entre nous et pour l’évêque que je suis désormais avec vous. Prenons ce chemin ensemble, ce chemin qu’éclaire Jésus commence ici bas et nous conduira à la lumière éternelle. Amen.
Mgr Vincent JORDY, archevêque de Tours
Mgr Jordy a reconduit la mission du père Christophe Raimbault, comme vicaire général, et les missions des membres du Conseil épiscopal.