Le défi de l’évangélisation
Chers frères et sœurs, chers amis,
1er décembre 2019 1er dimanche de l’Avent
Au moment d’entrer en temps d’Avent et d’inaugurer une nouvelle année chrétienne, je suis heureux de vous rejoindre pour vous adresser à tous mes meilleurs vœux. C’est l’occasion de vous redire comment je vois se dessiner l’avenir de notre diocèse et d’exprimer ce que je souhaite pour vous sur le chemin qui s’ouvre à nous.
Je n’ignore pas que beaucoup d’entre vous et de nos concitoyens sont déstabilisés dans un monde qui connaît de gros bouleversements depuis plusieurs décennies. Les repères communs demeurés stables pendant longtemps ont maintenant disparu et, de ce fait, beaucoup se trouvent désorientés. Par ailleurs les sujets dont les médias nous rabattent constamment les oreilles suscitent l’inquiétude, entretiennent les peurs de toutes sortes et génèrent l’angoisse, dans une société dépourvue d’horizon spirituel.
D’aucuns sont tentés de se lamenter sur ce qui n’est plus, d’entretenir la nostalgie d’un passé idéalisé et de se replier sur eux-mêmes. Mais cela se révèle totalement stérile et contraire à notre identité missionnaire. Il convient plutôt d’écouter ce que nous inspire l’Esprit Saint dans cette situation inédite et de nous interroger : comment sommes-nous appelés à vivre notre foi dans un contexte nouveau ? Imaginez plutôt ce que vous feriez si demain vous deviez débarquer sur un continent qui vous est totalement étranger et vous trouver soudain immergés dans une culture radicalement différente de celle dans laquelle vous avez grandi !
Dans notre diocèse nous avons la chance de bénéficier de l’exemple de grands saints qui ont précisément su s’adapter pour annoncer l’Evangile dans des circonstances nouvelles. Je pense à saint François de Sales confronté au protestantisme ; à saint Vincent de Paul rencontrant des pauvretés multiformes ; à saint Jean-Marie Vianney dans l’univers post-révolutionnaire ; ou bien encore à saint Pierre Chanel abordant en Océanie. Vous remarquerez le point commun à tous : ils ont été initiateurs d’un véritable renouveau parce qu’ils ont commencé par se convertir eux- mêmes ! Inspirez-vous donc de ce qu’ils ont fait à leur époque, afin d’inventer, vous aussi, la réponse adaptée à notre temps !
Quelques jalons pour progresser sur ce chemin
Je vous propose quelques jalons destinés à vous aider à progresser sur ce chemin inconnu. La première exigence qui nous incombe est deposer un regard bienveillant sur toutes les personnes rencontrées, spécialement celles qui nous inquiètent parce qu’elles ne nous ressemblent pas, par exemple les jeunes générations, ou bien les personnes qui ont d’autres orientations morales, religieuses ou politiques. Il y a un véritable combat à mener pour résister à la tentation de les diaboliser en raison de la médiatisation à outrance de certains événements et sous la pression des réseaux sociaux. Nous oublions trop souvent que la création est bonne. Il serait absurde de nier qu’elle est abîmée et déformée par le péché, tant cela est évident ; mais cela ne doit jamais nous faire cesser pour autant d’affirmer qu’elle est fondamentalement bonne, car le monde est créé par un Dieu bon et l’homme est créé à l’image et à la ressemblance de ce Dieu. Il est donc impératif d’accueillir ce qu’il y a de bon chez autrui et de porter un regard d’espérance sur tout être humain, en considérant que, même quand celui-ci a emprunté des chemins de mort, il demeure néanmoins toujours capable du meilleur s’il se laisse atteindre par la grâce.
Deuxièmement, comme on le fait dans une situation d’urgence, il est vital d’abandonner l’accessoire pour se consacrer à l’essentiel. Cette exigence appelle une conversion personnelle. Car nous sommes avertis que s’il n’est pas cohérent, notre témoignage n’est pas recevable. En étudiant la vie des saints vous pouvez vérifier que c’est en payant très concrètement de leur personne que ceux- ci ont touché leur entourage et ont eu un rayonnement qui dure encore. Pensez par exemple à saint Pierre Chanel que les futuniens avaient surnommé « l’homme au cœur bon ». Ou bien encore à saint Jean-Marie Vianney dont un pèlerin avait déclaré après l’avoir rencontré : « J’ai vu Dieu dans un homme ».
Troisièmement, cela nous oblige à repenser de manière juste le rapport entre l’Eglise et le monde. D’une part, si nous omettons un troisième terme, qui est le Royaume de Dieu, notre regard s’en trouve limité et donc faussé. L’Eglise n’est pas une société parfaite ; elle n’est pas identifiable au Royaume qu’elle a pour vocation d’annoncer ! D’autre part, si nous ne considérons pas l’Eglise pour ce qu’elle est, savoir l’Epouse du Christ et le Corps du Christ, nous nous laissons enfermer par le regard partiel et souvent partial des sociologues, des politiciens et des journalistes. Méditons plutôt sur le mystère de cette Eglise à laquelle le Christ s’est uni et dont on ne peut le dissocier sans dénaturer la Révélation !
Quatrièmement, il est nécessaire de garder à l’esprit que l’évangélisation est d’abord l’œuvre de Dieu et que le premier acteur de la mission est l’Esprit Saint, comme le manifeste clairement la lecture des Actes des Apôtres. Nous risquons de nous essouffler et de nous épuiser vainement si nous prétendons maîtriser la mission3. Le pape François nous exhorte à ne pas faire partie de ceux qui tombent dans le pélagianisme, c’est-à-dire ceux qui «en définitive font confiance uniquement à leurs propres forces et se sentent supérieurs aux autres parce qu’ils observent des normes déterminées ou parce qu’ils sont inébranlablement fidèles à un certain style catholique ».
Cinquièmement, pour être témoins de l’espérance chrétienne, il est capital dese souvenir que le Christ est victorieux des puissances des ténèbres et que nous participons déjà à sa victoire : « Dans le baptême, vous avez été mis au tombeau avec lui et vous êtres ressuscités avec lui par la foi en la force de Dieu qui l’a ressuscité d’entre les morts » (Colossiens , ). Nous devons nous garder de nous laisser impressionner par le dragon menaçant, car celui-ci a déjà été vaincu par le Christ. Si nous demeurons unis au Christ, le Malin ne peut plus nous vaincre au cours du combat dans lequel nous sommes engagés. Nous vivons certes dans un monde encore chaotique, mais nous avons à y être des témoins passionnés et paisibles du monde qui vient (voir Apocalypse ) et à adopter le style de vie résolument prophétique exigé par saint Paul : « Si donc vous êtes ressuscités avec le Christ, recherchez les réalités d’en-haut »(Colossiens 3, ).
Trois orientations concrètes
Je vous propose trois orientations concrètes à mettre en œuvre pour répondre à ce que Dieu nous demande dans le contexte présent. Pour commencer, je vous exhorte à vivre votre foi en petites fraternités locales de disciples missionnaires. Les membres de celles-ci ont pour vocation de se réunir régulièrement pour méditer la Parole de Dieu dans les Ecritures, puisque « La Bible est le livre du peuple du Seigneur qui, dans son écoute, passe de la dispersion et de la division à l’unité. ». Il s’agit aussi de prier ensemble, vivre l’échange fraternel et rayonner par la charité concrète. Je vous invite à imiter l’exemple des saintes femmes et des apôtres qui s’édifient mutuellement en racontant ce qu’ils ont vécu avec le Christ Ressuscité (voir Luc 4, 9- et 33-35) : que chacun apprenne à témoigner très simplement et humblement de ce Dieu fait pour lui, sans crainte de montrer ses fragilités et d’exprimer son expérience de salut.
Ces fraternités doivent être ouvertes à tous. Vous entendez comme moi la plainte de ceux qui déplorent la déshumanisation des rapports sociaux et aspirent légitimement à davantage de fraternité (c’est l’une des revendications perceptibles à travers le mouvement des « gilets jaunes »). D’une part, j’attire votre attention sur la présence à développer auprès des personnes les plus fragiles et les plus isolées, afin de leur manifester la charité du Christ. D’autre part, je vous suggère d’animer des temps de prière dans vos églises et de mettre en place des missions d’évangélisation pour visiter les personnes à domicile, notamment les populations d’implantation récente.
La paroisse peut se définir comme la communion de ces petites fraternités de proximité. Comme vous l’entendez bien, il ne s’agit certes pas de concentrer la vie paroissiale en désertant les villages et les quartiers périphériques, mais d’assurer une présence chrétienne de proximité en s’appuyant sur un pôle missionnaire. Le curé qui est nommé au service de la communauté paroissiale n’a pas vocation à être partout pour assurer une espèce de service du religieux, mais les baptisés doivent être des disciples-missionnaires là où ils vivent.
Ensuite, il est indispensable de valoriser le sens du dimanche et de l’Eucharistie dominicale. Celle-ci a pour vocation de rassembler largement les petites fraternités locales dans un lieu qui constitue le cœur de ce que j’appelle un pôle missionnaire. Vous n’êtes pas sans savoir que ce qui caractérise les chrétiens depuis toujours, c’est d’abord leur rassemblement dominical pour célébrer le Christ Ressuscité et rendre gloire à Dieu. Il ne fait donc pour moi aucun doute que dans les années à venir, les disciples authentiques du Christ se distingueront par le choix qu’ils feront de se donner les moyens de prendre part à la messe dominicale. Ils ne mettront pas en balance la priorité de l’Eucharistie avec une autre activité plus ou moins attrayante ; ils ne négocieront pas un horaire qui leur conviendrait mieux ou un style de chant qui rejoindrait davantage leurs goûts. Ils ne s’effrayeront pas de quelques kilomètres à parcourir, mais ils organiseront le co-voiturage et prendront en charge ceux qui ne peuvent se déplacer seuls (personnes âgées et enfants), sans omettre de rendre visite à ceux qui ne peuvent plus bouger, pour aller prier avec eux et leur porter la Communion.
Enfin, dans tout ce que vous faites, ayez toujours en tête les repères donnés par Actes 2, 42 : prière, formation, fraternité, service, annonce. Ayez le réflexe de vérifier que ces cinq essentiels de la vie chrétienne sont constamment pris en compte dans tout ce que vous mettez en place, que ce soit en famille (ce qu’on appelle l’Eglise domestique), dans un groupe, une fraternité locale ou dans un pôle missionnaire.
Ce que nous avons à vivre est une aventure délicate mais passionnante. Les habitudes sont certes difficiles à bousculer, mais l’appel à changer est en fin de compte une chance : nous voici conviés à prendre davantage au sérieux l’Evangile et à manifester en quoi la rencontre personnelle avec Jésus Christ est un événement qui révolutionne notre existence, ouvrant des horizons nouveaux, créant un dynamisme certain et générant l’espérance.
Vous avez pu constater que j’ai progressivement supprimé des services diocésains pour lesquels nous n’avons plus les moyens humains nécessaires et qui, surtout, ne correspondent plus aux besoins présents. En revanche j’ai institué un conseil diocésain pour l’évangélisation, qui a pour rôle de se mettre au service des paroisses, à leur demande, pour les aider à entrer résolument et avec confiance dans la conversion à laquelle nous appelle l’Esprit Saint. Nous inscrivant dans la dynamique impulsée par Pentecôte 0, nous nous orientons maintenant vers la célébration des 200 ans du diocèse dans sa configuration actuelle (2022-2023). En relisant notre histoire, nous percevrons comment nos prédécesseurs ont relevé les défis missionnaires de leur époque et cela nous inspirera pour relever ceux du présent. Avec une assurance renouvelée, nous ferons retentir la Bonne Nouvelle de Dieu « Voici que je fais toutes choses nouvelles » (Ap. , 5).
+ Pascal Roland