Suite à cet article, un lecteur nous écrit :
A. D’une manière générale, ce à quoi vous faites allusion n’est “étrange” que pour ceux qui ignorent que bon nombre de théologiens catholiques, notamment chez les dominicains et chez les jésuites, ne sont plus avant tout des théologiens catholiques depuis longtemps, en ce qu’ils ne font plus avant tout de la théologie catholique, dans l’acception orthodoxe et réaliste de ce terme, depuis la fin des années 1960 ou le début des années 1970.
B. Cela ne signifie pas que ces théologiens catholiques sont devenus des théologiens proto-hérétiques, ou des théologiens crypto-protestants, mais cela signifie que ces théologiens catholiques sont devenus avant tout des herméneutes postmodernes, disciples ou héritiers d’autres théologiens catholiques, devenus, avant eux, des herméneutes postmodernes, donc des théologiens catholiques qui subordonnent la théologie catholique à un mode de raisonnement philosophique pleinement propice à la soumission de la théologie catholique à une approche avant tout actualisatrice et interprétante, et non avant tout explicitatrice et objectivante, l’approche herméneutique postmoderne étant fréquemment à la fois adogmatique ad intra et oecuméniste ad extra.
C. Le fait de dire que bon nombre de théologiens catholiques d’aujourd’hui ne sont pas, dans les faits, avant tout des théologiens catholiques, mais sont, de facto, avant tout des herméneutes postmodernes, ou le fait de dire que ces théologiens catholiques ne font plus avant tout de la théologie catholique, depuis longtemps, mais font, en réalité, avant tout de l’herméneutique postmoderne, depuis la fin des années 1960, découle d’un constat, et ne résulte pas du tout d’une insulte ou d’un jugement, d’autant plus que leurs réflexions débouchent parfois sur des ouvrages d’un extrême intérêt.
D. D’ailleurs, certains de ces théologiens catholiques, devenus avant tout des herméneutes postmodernes, et non des moindres, ont affiché et assumé, dès le début des années 1970, ou affichent et assument, encore aujourd’hui, en cette fin des années 2010, cet assujettissement ou cette subordination de leur théologie catholique à de l’herméneutique postmoderne, donc à un mode de raisonnement à caractère anti-métaphysique ou post-métaphysique.
E. Que ceux qui ne voient pas ce qui est en jeu ici lisent donc les livres du dominicain Claude GEFFRE (photo) et ceux du jésuite Joseph MOINGT, et ils comprendront la signification de ce constat : ces auteurs ont été (Claude GEFFRE est décédé en 2017) ou sont toujours (Joseph MOINGT est encore vivant), officiellement, avant tout des théologiens catholiques, mais ne font plus, d’une manière effective, avant tout de la théologie catholique, dans la mesure où ils ne font plus de la théologie catholique non asservie à de l’herméneutique postmoderne et à une approche adogmatique et oecuméniste, depuis la fin des années 1960 ou le début des années 1970 ; Claude GEFFRE l’a même légitimé et théorisé, même s’il ne l’a bien sûr pas explicité ainsi.
F. Il faut bien comprendre que certains de ces théologiens catholiques, qui sont devenus avant tout des herméneutes postmodernes, ou dont la théologie catholique est devenue avant tout de l’herméneutique postmoderne, sont, depuis un demi-siècle, des inspirateurs de formateurs de futurs évêques et de futurs théologiens, ce qui explique que certains évêques et certains théologiens d’aujourd’hui, même s’ils pressentent le problème, ne soient pas en mesure de comprendre l’ampleur et la portée de la différence de nature entre la théologie catholique qui n’est pas asservie et la théologie catholique qui est asservie à l’herméneutique postmoderne,… au point de ne plus être avant tout de la théologie catholique, dans l’acception ante-conciliaire de ce terme.
G. Il n’y a aucune rigidité, aucun sectarisme, dans ce propos : depuis que certains clercs catholiques, institutionnellement importants et intellectuellement influents, mais aussi inspirateurs de nombreux autres clercs catholiques, ont commencé à adhérer et à faire adhérer à ce que Claude GEFFRE a appelé, dès 1972, “un nouvel âge de la théologie”, il arrive fréquemment que nous ne soyons plus en présence d’une production intellectuelle avant tout caractéristique de la théologie catholique, dans l’acception de ce terme antérieure à l’apparition de ce “nouvel âge”, mais il arrive très souvent que nous soyons en présence d’une production intellectuelle avant tout caractéristique d’une “refonte” de la théologie catholique par l’herméneutique postmoderne.
H. D’ailleurs, c’est l’une des raisons pour lesquelles ce que l’on appelle “la crise de l’Eglise” n’est pas près de se terminer, puisque le nouveau mode de raisonnement dont il est question ici, et qui est bien plus philosophique et postmoderne (inspiré, notamment, par Gadamer, Levinas, etc.) que théologique et catholique, dans l’acception non adogmatique ni oecuméniste de ce terme, est devenu, ici ou là, un mode de raisonnement presque exclusif et quasiment officiel, dans l’Eglise, ce mode de raisonnement ayant d’abord été presque anti-thomiste, avant de devenir, en aval de sa victoire, quasiment post-thomiste, le même mode de raisonnement rendant difficile la vigilance et la résistance doctrinales et spirituelles des catholiques face au confusionnisme, au consensualisme, à l’égalitarisme, dans le domaine de la religion, et face au relativisme et au subjectivisme, dans celui de la morale
Il ne peut pas en être autrement, parce que nous sommes fréquemment en présence d’une production intellectuelle, non avant tout catholique, mais avant tout postmoderne, qui n’a pas avant tout un caractère régulateur ad intra, au bénéfice de la foi catholique et de la foi des catholiques, mais qui a avant tout un caractère sympathisant ad extra, notamment au bénéfice du ralliement des catholiques à telle conception dominante des religions non chrétiennes, et au bénéfice du ralliement des catholiques à telle conception dominante d’au moins une partie des valeurs contemporaines.
Encore une fois, ce qui précède ne signifie pas que les futurs évêques et les futurs théologiens qui s’en remettent ou se soumettent aux composantes et aux conséquences du remplacement, ou, en tout cas, de la transformation de la théologie catholique par l’herméneutique postmoderne (au point de puiser une partie de leur inspiration au sein d’une partie de la philosophie allemande ou de la théologie protestante libérale) sont des “apostats” ou des “hérétiques”, mais signifie que ces clercs catholiques subissent les effets d’un “changement de paradigme”, apparu autour de 1969, qui est encore plus “décatholicisateur” du regard et du discours des clercs que celui apparu autour de 1939 (cf. Chenu, Congar, Rahner, Teilhard), ce qui n’est pas peu dire.