L’évêque de Nanterre a été interrogé dans Le Figaro sur le projet de révision des lois de bioéthique :
Le gouvernement vient d’examiner en Conseil des ministres le projet de révision de la loi de bioéthique. L’extension de la PMA aux couples de femmes et aux femmes seules inquiète l’Eglise catholique. Pourquoi?
L’Église n’est pas obnubilée par la bioéthique. Sa mission essentielle est de vivre et d’annoncer l’Evangile, d’ouvrir à la rencontre spirituelle et vivante avec Jésus-Christ. Mais, dans cette lumière, elle est appelée à témoigner en faveur de la dignité de toute personne humaine, la personne fragile en particulier. La «PMA pour toutes» n’est pas d’abord une question de sexualité mais une question de société. Comme l’ont déclaré unanimement les évêques de France en septembre dernier *, «la mise en œuvre de ce projet institutionnaliserait d’emblée l’absence de père». Certes, beaucoup d’enfants grandissent déjà, malheureusement, en l’absence de père ou avec un père défaillant voire malfaisant. Mais le drame de la «PMA pour toutes» serait de créer délibérément ce traumatisme et de supprimer a priori toute référence paternelle, même négative, alors même que la psychologie et les sciences de l’éducation n’ont cessé, depuis des années, de revaloriser la mission indispensable des pères.
Quel est l’enjeu majeur, en définitive, de ce débat sur la PMA?
La question centrale est celle de la filiation. Une société dont les repères fondamentaux sont brouillés est une société en danger. Je crois profondément que les transgressions éthiques engendrent à terme de la violence sociale. La violence croissante de notre société française ne le manifeste-t-elle pas déjà? Au-delà de la question même de la filiation, il y a celle de la «marchandisation» de la procréation, comme l’a indiqué le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) lui-même: la remise en cause du principe de gratuité des éléments du corps, menacé par une demande croissante de gamètes, «déstabiliserait tout le système bioéthique français». Par ailleurs, comme l’expriment de nombreux médecins, cette réforme transformerait assez radicalement la médecine en la faisant passer d’une réponse thérapeutique à une fourniture de prestations. Comme le déclare le CCNE, les moyens de la collectivité, qui ne sont pas illimités, devraient être «concentrés sur la réponse aux situations pathologiques et la réduction des inégalités de santé».
Voyez-vous un risque de passage, une fois la PMA élargie, à la GPA?
Il faudrait être très naïf pour ne pas le voir! Depuis des années, un agenda législatif apparemment inexorable brandit des verrous qui deviennent des cliquets, des refus affichés qui deviennent des portes ouvertes (pacs, mariage, PMA…). Déjà, des membres de la majorité se sont prononcés en faveur de la «GPA éthique», véritable oxymore, contradiction dans les termes. Chacun devrait lire ce qu’écrit Sylviane Agacinski dans son dernier ouvrage: L’Homme désincarné. Du corps charnel au corps fabriqué (Gallimard). Depuis longtemps, je suis impressionné par la vigueur de cette philosophe du féminisme contre ce qu’elle a pu qualifier de réinvention de l’esclavage au XXIe siècle. Que ceux qui s’imaginent pouvoir berner les citoyens par une fermeté de façade contre la GPA prennent garde: ils contribuent à fragiliser une démocratie déjà bien malade.
Y a-t-il, dans ce projet de loi, d’autres points éthiques qui soucient l’Eglise catholique?
Il y a, dans ce texte, des points d’accord, sur les greffes par exemple, que la réflexion chrétienne encourage. Il y a également des domaines nouveaux, à la jonction de l’intelligence artificielle et de la médecine, que tous, quelles que soient leurs convictions, ont encore à défricher. Il y a, au-delà de la bioéthique elle-même mais dans le contexte global de l’exercice de la médecine dans notre pays, une attention des chrétiens engagés sur le terrain de la fragilité sociale à ce que la médecine de base pour les pauvres ne soit pas sacrifiée sur l’autel de la transgression éthique pour les riches. Enfin, certaines dispositions concernant le diagnostic prénatal semblent renforcer une dérive eugénique de notre société.
L’Église catholique, en intervenant sur cette question, est-elle dans son rôle? Certains lui reprochent son interventionnisme…
Dans son discours au collège des Bernardins en avril 2018, le président de la République lui-même a encouragé l’Eglise à questionner sans cesse notre société pluraliste sur le sens profond de ses décisions. Les différentes instances publiques chargées de préparer le projet de loi (Conseil d’Etat, mission parlementaire…) ont elles-mêmes sollicité l’intervention de l’Église comme des autres traditions spirituelles. Ce dialogue constant entre l’Eglise et l’Etat, sur beaucoup d’autres sujets que la bioéthique (migrants, éducation, patrimoine…), fait partie de la respiration de notre démocratie. L’émotion suscitée par l’incendie de Notre-Dame a bien montré d’ailleurs à quel point nos concitoyens perçoivent qu’une part d’eux-mêmes a partie liée avec l’humanisme chrétien.
L’Église encouragera-t-elle des manifestations contre cette réforme de la PMA? N’est-ce pas un combat d’arrière-garde ou un combat perdu d’avance?
L’excellente formule du cardinal Vingt-Trois en 2012 demeure d’actualité: chacun est appelé à se manifester, de la manière qui lui semble la plus opportune. La parole et l’action en faveur de la dignité profonde de la personne humaine sont toujours un combat d’avant-garde, quoi que puisse en penser un certain conformisme ambiant. La seule véritable défaite serait de renoncer à se mobiliser au service du principe de dignité et de fraternité, au service du principe d’humanité.
Pensez-vous, sur ces sujets bioéthiques, que toutes les opinions ont été réellement écoutées lors du grand débat ou lors des états généraux de la bioéthique?
Le grand débat national, auquel beaucoup de paroisses et de mouvements chrétiens ont pris part, avait une visée plus large que la bioéthique, même si, durant le grand débat des intellectuels, j’ai été frappé de la condescendance avec laquelle ont été évoquées les interrogations éthiques concernant la procréation. En revanche, il n’est pas acceptable que les résultats des états généraux de la bioéthique, dont la tenue est inscrite dans la loi, soient mis de côté au prétexte qu’ils ne correspondent pas à ce qui était attendu.
Comment, plus globalement, l’Eglise envisage-t-elle la prise en compte des requêtes de l’égalité des droits des femmes qui émerge partout et sur tous les sujets, dans les sociétés occidentales?
Avec la «PMA pour toutes», ce qui est d’abord en cause, c’est le droit des enfants, comme le manifeste d’ailleurs la question sensible de l’accès à l’identité des donneurs de gamètes. Cela dit, le féminisme est un mouvement chrétien! Il faudrait un peu de temps pour le démontrer mais j’en suis convaincu. Le défi pour l’Eglise aujourd’hui est de progresser encore dans l’articulation entre égalité de place et distinction des missions. Cela dit, je souhaite à beaucoup d’organisations de profiter autant de la parole des femmes que mon conseil épiscopal!
Quelles leçons tirez-vous de ce que l’on a appelé l’affaire Lambert? Pensez-vous qu’elle a ouvert indirectement une porte dans l’opinion pour une législation à venir sur une forme d’euthanasie?
Vincent Lambert n’est pas une affaire mais une personne. Le sac de nœuds juridique et la tornade médiatique qui ont accompagné la fin de sa vie si dramatique montrent bien que notre société demeure taraudée par le mystère de la vie et de la mort. Personne, par exemple, ne peut dire de quiconque qu’il est «un légume»: toute personne humaine, même très diminuée dans sa vie relationnelle, mérite un complet respect. Ce qui se vit dans l’accompagnement des grands handicapés et les soins palliatifs est vraiment à l’honneur de notre société. La question de la fin de la vie demeurera discutée jusqu’à la fin des temps. A chacun de contribuer à y faire triompher le principe d’humanité.