L’évêque de Nanterre répond à Famille chrétienne :
En quoi l’Église peut-elle accompagner de manière invisible et discrète tous ceux qui sont affectés par la mort de Vincent Lambert ?
L’Église – c’est-à-dire tous les baptisés – est appelée à porter dans la prière Vincent Lambert lui-même, sa famille et tous ses proches. Je pense aussi à ceux que ces mois de débat ont blessé ou découragé. Il faut que chacun retrouve la paix et l’espérance, non pas d’abord en « tournant la page » mais en s’interrogeant toujours plus profondément sur le mystère de la vie et de la mort, sur la manière de respecter et d’accompagner les personnes en grande fragilité.
Quel était le problème éthique majeur dans l’arrêt des soins de Vincent Lambert ?
Il résidait dans deux confusions : la confusion entre fin de vie (ce qui n’était pas, de l’avis de médecins qualifiés, la situation de Vincent Lambert) et situation de grave handicap ; la confusion entre traitements (qu’il est légitime d’interrompre lorsqu’ils sont disproportionnés) et soins de base (alimentation et hydratation) qui sont toujours dus, même à une personne très diminuée, dans une logique de véritable respect de la personne humaine. J’ai été impressionné par les interventions très fermes sur ces points de soignants et d’experts non catholiques et non croyants.
Est-ce que la parole de l’Eglise sur Vincent Lambert a été entendue ou caricaturée ?
Elle n’a manifestement pas été pleinement entendue et, pour ceux qui l’ont relayée avec courage et délicatesse, c’est une grande souffrance. En même temps, il y a eu un débat, il y a eu des occasions de faire entendre une autre voix que l’opinion ambiante. À titre personnel, j’ai été abondamment invité dans les médias et toujours accueilli avec respect. Mais le travail de pédagogie éthique à fournir est gigantesque tant les esprits sont brouillés et tant notre rapport à la fragilité est lui-même fragilisé.
Que faut-il retenir de cette bataille juridique et médicale sans précédent ?
La situation personnelle et familiale de Vincent Lambert était particulièrement douloureuse et compliquée. Sa judiciarisation et sa médiatisation surabondantes ont pu la compliquer encore. Mais quoi qu’il en soit, Vincent Lambert a posé à notre société une question essentielle, la question heureusement indépassable de la vie et de la mort, de la fragilité, de ce qui fonde la dignité de toute personne humaine.
Est-ce que la mort de Vincent Lambert, dans les circonstances que nous connaissons, constitue un basculement du point de vue anthropologique ?
Nous traversons un basculement anthropologique global et diffus qui s’exprime notamment dans notre rapport à la transmission de la vie, à l’accompagnement de la fragilité et de la souffrance, et à la fin de vie. La mort de Vincent Lambert s’inscrit donc dans ce contexte de remises en cause assez fondamentales qui appellent, de la part des chrétiens, une réflexion non seulement sur le questions éthiques les plus vives mais aussi sur l’anthropologie implicite de nos contemporains.
Qu’avez-vous envie de dire à l’épouse de Vincent Lambert et à tous ceux qui étaient favorables à l’arrêt de soins ?
Le temps est sans doute au silence pour l’instant, le silence du respect inconditionnel des personnes et de la prière. J’espère qu’il y aura plus tard des occasions pour chacun d’approfondir son interrogation et sa réflexion sur le mystère de la vie.
Le rôle de l’Église est-il de prendre position dans la querelle familiale qui a entouré l’affaire Lambert ?
La mission de l’Eglise est de se faire, en toutes circonstances, l’avocate des plus pauvres et des plus fragiles, sans outrance ni complaisance, avec le désir permanent de mettre d’abord en lumière la beauté du mystère de la vie.
La médiatisation énorme du cas Vincent Lambert était-il un moyen de mettre sur la table le débat sur l’euthanasie en France ?
Certains s’en sont servis pour cela. Mais il y avait d’abord une réalité humaine extrêmement compliquée et douloureuse. Respecter Vincent Lambert en vérité enjoint de ne pas l’instrumentaliser. C’est une personne ; ce n’est pas un cas d’école.
Est-ce que la mort de Vincent Lambert va faire jurisprudence pour tous ceux qui partagent un état similaire au sien ? Peut-on imaginer un changement à terme de la loi Leonetti sur la fin de vie ?
Beaucoup de familles de personnes cérébrolésées espèrent bien qu’il n’y aura pas de jurisprudence menaçant la vie de ceux qu’ils aiment et accompagnent. Il y a sûrement un impératif de vigilance sur ce point. Quant à la loi Léonetti, elle a déjà été modifiée en devenant la loi « Claeys-Leonetti » et a toujours suscité l’interrogation critique de l’Église quant à sa position sur l’interruption possible des soins de base. Il faut cependant redire que la situation de Vincent Lambert ne relevait pas, en rigueur de termes, de la fin de vie.
Est-il possible d’enrayer, à terme, la légalisation de l’euthanasie en France ?
Les pressions sont évidemment très fortes mais la qualité de ce qui est mis en œuvre de façon positive avec les soins palliatifs est également extraordinaire. Il est impressionnant aussi d’entendre des voix inattendues dénoncer la violence de la mentalité euthanasique. Je pense à Michel Houellebecq par exemple. Une écologie bien comprise ne peut pas non plus ne pas s’interroger sur ce qui est vraiment digne de l’homme. Encore faut-il que les chrétiens – avec d’autres – gardent leurs consciences éveillées et progressent dans leur capacité à témoigner de « l’évangile de la vie ». […]