La cathédrale de Rennes était lumineuse ce 12 juin pour l’inauguration de son Trésor et la bénédiction des statues des Quatre Vivants. Cette cérémonie fut l’occasion de mettre en valeur le nombre impressionnant d’acteurs d’un tel projet et de les remercier.
Cécile Oulhen, conservatrice des monuments historiques, a pris d’abord la parole, témoin de l’implication de la DRAC Bretagne dans la restauration du retable flamand du XVIe siècle et de la création de la salle du Trésor, qui sera ouverte au public à la fin du mois de juin.
Le retable restauré est présenté avec un dispositif pédagogique, ainsi que plusieurs armoires d’objets liturgiques de grande valeur
Le père Bernard Heudré, curé du lieu, a rappelé la longue histoire du bâtiment et s’est réjoui de la façon dont aujourd’hui encore il touche les croyants et de nombreux visiteurs. Le sculpteur de Quatre Vivants, Laurent Esquerré, s’est exprimé, avant que soient lues les extraits des textes des évangiles qui ont servi d’inspiration à l’artiste. Puis un prêtre a lu une prière de bénédiction pour les quatre statues de terre cuite, spécialement éclairées pour l’occasion au dessus de l’assemblée.
La maire de Rennes, Nathalie Appéré, a témoigné de l’attachement de la ville et de ses habitants à ce lieu emblématique alors que cet évènement « clôt une décennie de réhabilitation parfaitement exemplaire. » Le retable est « sans doute l’une des plus belles œuvres d’art présentent sur le territoire de la ville. » Elle a enfin insisté sur l’implication de la ville de Rennes dans la réhabilitation du patrimoine local, annonçant un projet pour les orgues rennais.
Le préfet de Bretagne, Michèle Kerry, concluait l’évènement, représentant l’État qui a permis la mise en place du Trésor et la restauration des deux chapelles latérales les plus proches du chœur : celle dédiée à saint Melaine, retrouvant son magnifique tableau, et celle comportant la majestueuse chasse de saint Amand.
Intervention de Mgr Pierre d’Ornellas, Archevêque de Rennes :
En prenant la parole ce soir, je tiens à exprimer ma gratitude pour celles et ceux qui ont permis à la Cathédrale Saint-Pierre de Rennes de trouver un nouvel élan après une sorte de pause de plus d’un siècle.
En premier lieu, je voudrais remercier le curé de la Cathédrale, le père Bernard Heudré, qui, de façon infatigable, a accompagné de ses avis pertinents, de sa collaboration intelligente et de son dévouement sans borne celles et ceux qui ont été à l’initiative de la restauration de la Cathédrale. La première tranche de cette restauration a commencé en 2009 et donne aujourd’hui de beaux signes de son achèvement, alors même que des travaux demeurent encore nécessaires pour que tout soit accompli.
Cette restauration trouve en effet un point d’orgue dans l’inauguration du Trésor qui permet à tous de voir les objets de culte et de vénération en dehors des célébrations cultuelles elles-mêmes. Pour inaugurer un tel Trésor, il fallut restaurer le célèbre retable flamand, ce qui fut fait grâce aux études patientes et aux travaux minutieux de toute une équipe à Vesoul. Le livre qui a été réalisé à son sujet est très éclairant. Merci à vous Madame Céline Oulhen pour votre passionnante étude et pour votre engagement en faveur de ce Trésor. Que tous ceux qui ont activement travaillé afin que ce Trésor voit aujourd’hui le jour soient vivement remerciés pour la qualité de leur investissement qui se perçoit en constatant la qualité avec laquelle le retable et les divers objets y sont exposés.
Cette restauration trouve aussi son achèvement dans l’installation des quatre statues à la croisée du transept. Elles rehaussent la Cathédrale de quatre physionomie de Jésus telles qu’elles apparaissent dans les quatre Évangiles. Je remercie M. Henry Masson qui a permis qu’un concours soit organisé avec les services de la DRAC autour d’une commande de l’affectataire de ce lieu. La commande était assez simple : après une période où l’Église a surtout mis l’accent sur les sacrements, comme en témoigne la décoration de notre Cathédrale, l’Église a mis en lumière la richesse inestimable des Écritures, en particulier des quatre Évangiles, comme cela est manifeste au concile Vatican II. Il fallait donc le signifier ici à la croisée du transept qui offre quatre emplacements.
Je remercie Laurent Esquerré qui a relevé le défi de répondre à la commande. Laurent, vous avez parfaitement inscrit quatre attitudes de Jésus dans ces quatre voûtes de la croisée du transept. Celles-ci, anciennes, accueillent avec bonheur ces quatre nouveauté, comme si elles les attendaient. Mais Laurent a innové de façon spectaculaire et unique ! Ici, dans notre Cathédrale de Rennes est inaugurée une iconographie entièrement nouvelle des évangélistes. Si la représentation des quatre symboles représentant Matthieu, Marc, Luc et Jean, les quatre évangélistes, est traditionnelle même si elle a connu des variantes dans les premiers siècles de l’ère chrétienne, il est parfaitement original de demander à chacun de ces symboles de porter une représentation d’une scène évangélique propre à l’évangéliste figuré par son symbole. Merci donc à Laurent Esquerré de s’être situé dans la tradition iconographique des évangélistes en innovant de façon si merveilleuse. Nous avons tous l’impression que ces quatre statues avec leur quatre support sont depuis toujours logées dans ces quatre voûtes.
Ici, ce n’est pas le moment de préciser la signification des quatre textes qui ont été magnifiquement lus, selon ce qu’on appelle le « sens littéral » des Écritures, en particulier du Nouveau Testament. On sait que le sage saint Grégoire le Grand a pensé que le Nouveau Testament était le meilleur commentaire de l’Ancien Testament, qu’il vaut mieux appeler Premier Testament étant donnée la fraternité particulière qui relie (ou qui devrait relier) le Peuple juif et le Peuple chrétien. Le moment mémoriel que nous allons vivre à Rennes au sujet de ce qui a été appelé « l’affaire Dreyfus » sera certainement une occasion de rappeler cet élément essentiel du christianisme nourri des quatre Évangiles.
À l’occasion de cette inauguration, il me semble plus opportun d’esquisser une réflexion sur l’art. En effet, quelle cohérence entre le retable flamand du XVème siècle, le calice du XIXème siècle de Mgr Brossey Saint-Marc, tous les deux visibles au Trésor, et les quatre nouvelles statues du XXIème placées à la croisée du transept ?
On le sait, l’art a vocation à rendre visible l’invisible. Grâce aux artistes qui ont le génie de faire parler la matière, les couleurs et les sons, nous découvrons dans leurs œuvres des sensations invisibles à l’œil naturellement orienté vers l’immédiatement visible de la matière. Les aspirations les plus secrètes et les plus hautes de la liberté, du cœur et de l’esprit humain ont ceci de particulier qu’elles ne trouvent de repos qu’en des objets où elles se reconnaissent et où elles grandissent en s’apaisant. Les artistes ont vocation à nous offrir ces objets. Leur mission au milieu de nous tous et pour nous tous est indispensable et fondamentale.
Ces aspirations ou ces vibrations de l’esprit humain sont marquées, de génération en génération, par l’appel de la transcendance comme si le désir de vie invinciblement ancré dans le cœur des hommes s’éprouvait dans la renaissance jamais définitive mais toujours vivante de l’infini. Et le Peuple hébreu apporta au monde et à l’histoire la révélation et la présence de Dieu, l’unique. Le monothéisme a appelé sa représentation, non pas dans son visage ce qui est interdit, mais dans le culte qu’il inspire. Les descriptions artistiques contenues dans la Bible le montrent à l’envie, sans oublier que les Écritures d’Israël sont une immense œuvre d’art où les accords musicaux et littéraires les plus divers se font entendre à l’oreille attentive.
Avec le christianisme, ces aspirations les plus secrètes et les plus tenaces, les plus belles aussi, ont trouvé un visage humain pour s’exprimer pleinement : le visage de Jésus – le plus beau des enfants des hommes, comme le prophétise la Bible – uni aux visages de tous les personnages historiques qui l’entourent de sa conception à sa résurrection en passant par sa naissance, sa vie et sa mort telles que celles-ci nous sont narrées par les quatre évangélistes. Plus encore, l’histoire d’Israël avec tous les personnages les plus inouïs qui la composent et que les récits bibliques nous rapportent forme autant de visages qui préparent celui de Jésus.
Aussi les artistes ont-ils cherché à exprimer les variations les plus hautes et les plus complexes de ces aspirations qui tenaillent et taraudent le cœur, tout à la fois malade et magnifique de l’homme, telles que ces visages humains les représentent. De la joie la plus entière et sereine à la souffrance la plus extrême, de l’amour le plus grand et le plus délicat à l’agonie la plus ténébreuse, de la paix la plus étonnante à la violence la plus injuste, de l’étonnement devant les merveilles de Dieu à leur attente impatiente, les vibrations et les soifs de l’être humain se dévoilent sur le visage humain de Jésus. Le représenter d’une manière ou d’une autre, voilà l’œuvre par excellence qui a donné à l’art une de ses plus nobles expressions. Non pas que l’art soit chrétien, mais plutôt que le christianisme, en raison même du mystère de l’Incarnation auquel il croit, soit un objet intarissable d’art, voilà la convergence entre le retable aux centaines de silhouettes, le calice aux dizaines de visages et les quatre statues donnant à voir quatre visages de Jésus qui sont désormais ici un pont entre le ciel et la terre.
Ma gratitude est grande en ce jour où nous achevons à Rennes la Cathédrale. Cette gratitude s’exprime joyeusement, tout en étant teintée d’un sentiment particulier, celui du souvenir du feu qui abîma dramatiquement la Cathédrale Notre-Dame de Paris, la mère géographique de toutes les cathédrales en France. Ainsi va la vie : le patrimoine ne cesse de s’enrichir par le souvenir, par la restauration et par la création artistique. Cela n’est possible qua par le génie d’hommes et de femmes qui, de génération en génération, donnent à voir l’invisible pour lequel nous vivons tous.