Explications de Pierre Hardon sur Smart Reading Press :
Créée en 1965, la conférence des évêques de France se réunit deux fois par an en assemblée plénière, en général à Lourdes. C’est l’occasion pour ses membres de débattre sur de multiples sujets, parfois d’affronter une grave crise, comme c’est le cas aujourd’hui. Mais qu’est-ce au juste qu’une conférence épiscopale ? Attention aux fausses symétries entre l’Église et la société civile !
Réunie à Lourdes pour sa traditionnelle assemblée plénière du printemps, la conférence des évêques de France vient d’élire comme nouveau président Mgr de Moulins-Beaufort, archevêque de Reims. La Croix titre sur un «vent de jeunesse à la tête des évêques de France ».
Est-ce véritablement le rôle d’un président de conférence épiscopale d’être «à la tête des évêques» ? Le président de la conférence épiscopale n’est précisément pas «à la tête des évêques». Il est celui qui préside la conférence, c’est-à-dire la réunion des évêques, qui conservent chacun leur autorité dans leur diocèse. Il n’est pas non plus un échelon hiérarchique entre le pape et les évêques. L’autorité de la conférence vient, avant tout, de son objectif : soutenir l’expression de la «plénitude du sacrement de l’ordre» donné à l’évêque par une réflexion menée collégialement pour «le bien commun des Églises particulières d’un territoire grâce à la collaboration des pasteurs».
Il n’en demeure pas moins que, dans la crise des agressions sexuelles, de la condamnation et du retrait du cardinal Philippe Barbarin et de l’accusation d’agression sexuelle à l’encontre du nonce apostolique Luigi Ventura, l’arrivée de cet homme «libre d’esprit», âgé de 57 ans (un des plus jeunes évêques de France), apporte un vent nouveau.
RÔLE, CONSTITUTION ET FONCTIONNEMENT DE LA CONFÉRENCE ÉPISCOPALE
Le motu proprio de Jean-Paul II du 21 mai 1998 «sur la nature théologique et juridique des conférences des évêques» explique le rôle de cette assemblée.
La conférence épiscopale vient réaliser une «forme concrète de l’application de l’esprit collégial» que le droit canon décrit comme «la réunion des évêques d’une nation ou d’un territoire donné, exerçant ensemble certaines charges pastorales pour les fidèles de son territoire, afin de mieux promouvoir le bien que l’Église offre aux hommes, surtout par les formes et moyens d’apostolat adaptés de façon appropriée aux circonstances de temps et de lieux, selon le Droit.». Elle est une «institution permanente».
Le motu proprio affirme que son objet est une «collaboration», une «coopération» sur des sujets «qui invitent […] à une action conjointe des évêques» : par exemple, la sauvegarde de la foi et des mœurs, la traduction des livres liturgiques, les relations avec les autorités civiles, la défense de la vie humaine, etc.
Elle se compose des évêques diocésains du territoire (métropole et DOM-TOM), des évêques auxiliaires et coadjuteurs, et des évêques titulaires qui exercent dans ce territoire une charge spéciale confiée par le Siège apostolique ou par la conférence elle-même (par exemple, l’évêque aux armées). Tous ses membres n’ont pas les mêmes droits de vote : les évêques diocésains et coadjuteurs ont une voix délibérative aux réunions (les statuts de la conférence ne peuvent y déroger) ; les évêques titulaires et auxiliaires ont, en fonction des statuts, une voix délibérative ou consultative (sous réserve que leurs voix cumulées ne soit pas supérieures à celles des évêques diocésains) ; les évêques émérites ont uniquement une voix consultative.
Chaque conférence élabore elle-même ses statuts, qui doivent être reconnus par le Siège apostolique (recognitio).
L’ÉVÊQUE : PASTEUR DE L’ÉGLISE LOCALE ET SERVITEUR DE L’ÉGLISE UNIVERSELLE
Comme le rappelle la constitution dogmatique Lumen gentium à propos des évêques : «Qui les écoute, écoute le Christ, qui les rejette, rejette le Christ et Celui qui a envoyé le Christ.»
«Par la consécration épiscopale, est conférée [cette] plénitude du sacrement de l’ordre, que la coutume liturgique et la voix des saints Pères désignent en effet sous le nom du sacerdoce suprême, la réalité totale du ministère sacré.»
L’évêque est investi des trois munera (charges) : gouverner, sanctifier, enseigner. Pour réaliser sa mission, il dispose de deux pouvoirs : le pouvoir d’Ordre et le pouvoir de juridiction. Le pouvoir d’Ordre donne la puissance d’opérer le rite sacramentel de façon valide ; le pouvoir de juridiction porte sur les charges d’enseignement et de gouvernement.
Dans son paragraphe 23, Lumen gentium ajoute que «tous les évêques, en effet, doivent promouvoir et servir l’unité de la foi et la discipline commune de l’ensemble de l’Église, former les fidèles à l’amour envers tout le Corps mystique du Christ, surtout envers ses membres pauvres, souffrants, et envers ceux qui souffrent persécution pour la justice (cf. Mt 5, 10), ils doivent enfin promouvoir toute l’activité qui est commune à l’ensemble de l’Église, surtout en vue du progrès de la foi et pour que la lumière de la pleine vérité se lève sur tous les hommes. D’ailleurs, il est bien établi que, en gouvernant leur propre Église comme une portion de l’Église universelle, ils contribuent efficacement au bien de tout le Corps mystique qui est aussi le Corps des Églises.»
L’exercice du ministère épiscopal s’inscrit dans la communion avec l’Église, pour le progrès de la foi et la lumière de la vérité. C’est la coopération, la concertation avec les autres évêques pour réaliser cet objectif qui explique l’utilité d’une conférence épiscopale.
L’AUTORITÉ DE LA CONFÉRENCE
Elle a un champ bien défini : «L’autorité de la conférence épiscopale et le champ de son action se trouvent en rapport étroit avec l’autorité et l’action de l’évêque diocésain et des prélats qui lui sont équiparés (de même niveau)». Elle ne lui est pas supérieure. À l’intérieur même de la conférence, «les évêques exercent conjointement leur ministère épiscopal en faveur des fidèles du territoire». Les évêques ne peuvent pas, seuls ou réunis en conférence, «limiter leur pouvoir sacré au bénéfice de la conférence épiscopale, et moins encore d’une de ses parties, que ce soit le conseil permanent, ou une commission ou le président lui-même».
Ajoutons que la conférence ne peut pas porter des décrets généraux, sinon pour «les affaires dans lesquelles le droit universel l’a prescrit», et que la compétence de chaque évêque dans son diocèse «reste entière».
Les évêques restent également «les authentiques docteurs et maître de la foi des fidèles». Dans la conférence, ils doivent veiller à suivre le Magistère de l’Église universelle, sauf en cas d’unanimité et en lien avec le pape – leurs déclarations n’ont pas le caractère d’un magistère universel – et éviter «par conséquent soigneusement de gêner l’œuvre doctrinale des évêques d’autres territoires.»
LE PRÉSIDENT DE LA CONFÉRENCE N’EST PAS UN SUPER-ÉVÊQUE !
L’autorité de la conférence peut se résumer dans une parole de Lumen gentium : «Les conférences épiscopales peuvent, aujourd’hui, contribuer de façons multiples et fécondes à ce que le sentiment collégial se réalise concrètement».
Le rôle du président de la conférence est d’administrer, de gérer, et de favoriser la collégialité entre les évêques afin qu’ils prennent, dans le respect du Magistère de l’Église, les orientations propres à l’épanouissement de la foi et à la révélation de la vérité à tous les hommes. Il n’est pas à la tête des évêques, bien que son rôle soit essentiel pour une bonne coopération et action de l’Église sur son territoire. Il n’est pas non plus un échelon entre l’évêque et le pape : le président, par son titre d’évêque, est le subordonné du pape. Au même titre que les autres évêques, il fait partie du collège apostolique et participe à l’Église universelle.
La conférence épiscopale, quant à elle, n’a pas vocation à édicter une doctrine propre à son territoire. Son pouvoir est limité, puisque le titulaire des pouvoirs d’ordre et de juridiction, dans une Église particulière, est justement l’évêque. La conférence n’a d’autorité que sa force de proposition, qui est de démarrer un mouvement pour une bonne application du Magistère.
Si l’élection de Mgr de Moulins-Beaufort à la tête de la conférence est une bonne nouvelle pour la conférence, il ne s’agit pas, comme La Croix semble le croire, de l’élection d’un «jeune» qui va prendre la «tête» des évêques de France et leur imposer des orientations nouvelles, car tel n’est pas son rôle.