D’un lecteur de Perepiscopus :
Le catholicisme “3.0” évoqué ici est le catholicisme du troisième millénaire ou, en tout cas, du XXI° siècle, donc le catholicisme “contemporain”, non avant tout dans l’acception chronologique, mais avant tout dans l’acception axiologique ou idéologique de ce terme : il s’agit du catholicisme des clercs qui veulent faire en sorte que les catholiques adhèrent, plus ou moins pleinement, à bien des idées et à bien des valeurs dominantes du monde contemporain, aussi anti-chrétiennes ou post-chrétiennes soient-elles, ou aussi inspirées par la mentalité libérale-libertaire ou la mentalité mondialiste-progressiste soient-elles.
Ce catholicisme “3.0” est le catholicisme des docteurs et des pasteurs qui ne veulent pas que les catholiques soient avant tout catholiques, mais qui veulent que les catholiques soient avant tout postmodernes, dans la mesure où ils veulent que les fidèles soient bien installés, en position Assise, donc en position plus du tout debout et pas encore couchée, dans l’antichambre de l’approbation du confusionnisme, du consensualisme, du relativisme, du subjectivisme, du sentimentalisme, non seulement dans le domaine de la foi, mais aussi, et c’est plus récent, dans celui des moeurs.
Ce catholicisme “3.0” a été précédé, notamment dans les années 1980-1990, par au moins deux décennies au cours desquelles on a banalisé et légitimé, dans l’esprit des catholiques et dans la vie de l’Eglise, la vision d’après laquelle il convient désormais de penser et de vivre dans le respect total pour les convictions religieuses de ceux qui croient autrement, alors que ce n’est que depuis le début de la décennie actuelle que l’on commence à banaliser et à légitimer à ciel ouvert la vision selon laquelle il convient aussi de penser et de vivre dans le respect total pour les conduites morales de ceux qui vivent autrement, pour ainsi dire dès lors que ceux qui ne respectent ni le bien commun, ni la loi naturelle, ni la personne humaine, ni la recherche de la vérité, dans l’acception catholique de ces quatre expressions, respectent au moins le consensus sociétal et les droits de l’homme.
Nous sommes ce mois-ci en janvier 2019, c’est-à-dire soixante ans après le mois au terme duquel le pape Jean XXIII a annoncé la convocation du Concile qui a débouché sur le Concile Vatican II. Cela justifie et mérite un premier regard, vers l’arrière, puis un second regard, vers l’avant.
A. Voici ce qui a été abandonné, bazardé, défenestré, liquidé, en soixante ans, entre autres choses (dans les domaines de la dogmatique, de la catéchèse, de la liturgie et des sacrements), ce qui ne veut bien sûr pas dire qu’il n’y a eu que du négatif, par ailleurs, dans la vie de l’Eglise :
- l’aristotélico-thomisme, qui a commencé à être contesté, contourné, délaissé, dépassé, dès le début de l’apparition de la “nouvelle théologie”, ou dès le début de l’avant-Concile, sous Pie XII,
- l’ecclésiologie controversiste, qui a commencé à être abandonnée au bénéfice d’une ecclésiologie consensualiste, ou d’une ecclésiologie oecuméniste, lors du Concile Vatican II,
- le christocentrisme exclusiviste, qui a commencé à être abandonné au bénéfice d’un christocentrisme allusif, inclusif ou unitif, comme on l’a vu, notamment, à Assise, en octobre 1986.
B. En d’autres termes, nous sommes aujourd’hui en présence d’une Eglise catholique ou, en tout cas, d’hommes d’Eglise qui, en soixante ans, ont abandonné l’instrument de pensée qui a été, officiellement, celui de leurs prédécesseurs (notamment de 1879 à 1958), la conception des confessions chrétiennes non catholiques et des relations avec les confessions chrétiennes non catholiques qui a été celle de leurs prédécesseurs, ainsi que la conception des religions non chrétiennes et des relations avec les religions non chrétiennes qui a été celle de leurs prédécesseurs. Continuité…
C. Et pendant cinq décennies et trois pontificats, c’est-à-dire de 1963 à 2012 et du pontificat de Paul VI à celui de Benoît XVI, nous avons eu trois papes qui ont été, notamment, à la fois conciliaires et conservateurs : conciliaires ad extra, dans le cadre du dialogue oecuménique, du dialogue interreligieux, de la prise en compte et de la mise en oeuvre du Concile, et conservateurs ad intra, dans le cadre de la foi et dans celui des moeurs.
D. Mais le fait nouveau, depuis le début des années 2010 (et il est probable que ce fait nouveau se serait produit même si Jorge Mario Bergoglio n’était pas devenu le pape François), est qu’il est absolument flagrant que nous sommes aujourd’hui en présence d’hommes d’Eglise qui ne sont plus
- ni conciliaires, dans la mesure où ils considèrent que le Concile, Paul VI, Jean-Paul II et Benoît XVI ne sont pas allés assez loin, dans le cadre de la pratique des dialogues ad extra et dans celui de l’adaptation et de l’évolution, dorénavant “synodales”, des structures et des relations dans l’Eglise, et dans la mesure où le Concile Vatican II stricto sensu, en tant qu’ensemble de documents, ne constitue plus le coeur de leur culture doctrinale,
- ni conservateurs, que ce soit dans l’ordre de la foi ou dans celui des moeurs, notamment dans la mesure où ils considèrent que l’intégralisme personnaliste qui a été, globalement, commun à Paul VI, à Jean-Paul II et à Benoît XVI, peut et doit être actualisé, ou plutôt démantelé, au profit d’un dialogue interconvictionnel et d’un inclusivisme périphériste en matière morale dont il n’a jamais été officiellement question, de 1963 à 2012.
E. En d’autres termes, nous sommes aujourd’hui en présence de cardinaux et d’évêques qui sont à la fois “post-conciliaires” et “post-conservateurs”, ce qui amène à s’interroger de la manière suivante sur les matières suivantes :
- quelle est donc la culture doctrinale de ces hommes d’Eglise, puisqu’elle n’est pas conciliaire, ni montinienne, ni wojtylienne, ni ratzingérienne, non dans le sens où elle n’est pas du tout conciliaire, montinienne, etc., mais dans le sens où elle n’est conciliaire, montinienne, etc., qu’à condition que le Concile Vatican II et le Magistère pontifical d’inspiration conciliaire puissent donner lieu à un contournement, ou à un dépassement, par toute une dynamique langagière inclusiviste périphériste qui ne prend appui, d’une manière normative et prescriptrice, ni sur ce Concile, ni sur ce Magistère ?
- pourquoi donc faudrait-il que cette dynamique langagière ait de l’autorité, ou fasse autorité, dans la durée et en profondeur, puisqu’elle n’a jamais eu, officiellement, d’autorité, ou puisqu’elle n’a jamais fait, officiellement, autorité, dans les textes du Concile Vatican II (à commencer par les constitutions dogmatiques) et dans ceux du Magistère pontifical postérieur (à commencer par les lettres encycliques) qui, de par leur nature, devraient avoir le plus d’autorité, ou devraient faire le plus autorité, dans l’esprit des clercs, dans celui des fidèles, et dans la vie de toute l’Eglise ?
- les uns et les autres se rendent-ils bien compte du fait que le positionnement “post-conciliaire” et “post-conservateur” est aujourd’hui en mesure de menacer le maintien en vigueur de l’intégralisme personnaliste qui a été, globalement, commun à Paul VI, à Jean-Paul II, à Benoît XVI, mais aussi celui de la conception catholique la plus éclairante, exigeante, orthodoxe, réaliste, structurante, tonifiante qui soit de l’anthropologie chrétienne ?
- de même, les uns et les autres se rendent-ils bien compte du fait que, parmi les hommes d’Eglise qui souscrivent à cette dynamique langagière, prétendue évangélique, ou soi-disant évangélique, certains sont responsables de la formation et de la sélection des séminaristes d’aujourd’hui, des prêtres de demain, et des évêques d’après-demain, ce qui signifie que nous sommes en présence d’hommes d’Eglise qui ont quasiment tout pouvoir, pour faire en sorte que la poursuite du démantèlement de la fidélité des catholiques aux fondamentaux du catholicisme, et pour que celle de la pérennisation de l’adhésion ou de la soumission des catholiques à la dynamique langagière qui est à l’oeuvre, soient irrémédiables et irréversibles ?
F. Il a été question, ci-dessus, d’un fait nouveau, depuis le début des années 2010, mais il convient de rappeler que c’est dès le début des années 1980 que des théologiens catholiques ont commencé à contourner, à dépasser, à ringardiser, à stigmatiser les fondements mêmes de la conception catholique de l’anthropologie chrétienne et de l’intégralisme personnaliste, et que c’est face à cela que Jean-Paul II a publié Veritatis splendor (1993).
G. Mais peu importe : ce n’est pas parce que la dynamique langagière évoquée ici (partisane et promotrice de la domination ou du remplacement de l’intégralisme personnaliste par le dialogue interconvictionnel et par l’inclusivisme périphériste, en matière morale) a commencé à sévir, en théologie morale, dès les années 1980, qu’il faut minimiser le fait que la même dynamique langagière (favorable à un néo-catholicisme ou à un pseudo-catholicisme qui serait, notamment, “pro-LGBT”), a pris une ampleur considérable, à l’intérieur de la “pastorale”, à partir du début des années 2010.
H. Jusqu’où tout cela ira-t-il ? Parmi les conséquences les plus constatables de cette tragédie (il est proprement tragique que des hommes d’Eglise, catholiques, partent du “principe” d’après lequel moins on est fidèle au catholicisme et plus on est en mesure d’avoir confiance en Jésus-Christ), il en est une qui crève les yeux, et qui commence à inquiéter certains clercs “conciliaires”, dans l’acception néo-moderniste ou néo-progressiste du terme, ces clercs redoutant un “retour de balancier” ultérieur, susceptible de se manifester davantage, depuis l’intérieur du catholicisme dit “identitaire”.
I. Cette conséquence, la voici : nous sommes aujourd’hui témoins de l’amplification de la remise en cause explicite et spécifique de la fécondité auto-proclamée des “intuitions prophétiques” du Concile Vatican II, par bien des fidèles catholiques nés à partir du début des années 1970 ou 1980.
J. Si l’on préfère, nous sommes aujourd’hui témoins du fait que bien des fidèles catholiques qui auront, au maximum, 50 ans, en 2020, commencent à s’interroger ouvertement, au contact du fait que le Concile (que bien des clercs ont voulu faire passer pour un Concile vraiment fructueux) a commencé puis continué à déboucher sur un après-Concile dans la corbeille duquel se sont multipliés plusieurs “fruits”, plus ou moins vénéneux.
K. Il est vrai qu’il y a de quoi se poser des questions, en présence d’hommes d’Eglise qui semblent vouloir que l’Eglise de Jésus-Christ devienne une Eglise porteuse de “l’accueil inconditionnel” de la conception dominante et de la relation dominante à la thématique des “migrants”, mais qui semblent également vouloir que l’Eglise de Jésus-Christ soit propice à “l’accueil inconditionnel” de la conception dominante et de la relation dominante aux catholiques qu’il convient d’avoir, dans l’Eglise, pour que ces catholiques commencent puis continuent à être de véritables “mutants”.
L. En effet, il n’y a vraiment plus besoin, il n’est vraiment plus nécessaire de rappeler le constat d’après lequel certains veulent que l’Eglise catholique devienne, notablement, une “Eglise des migrants”, c’est-à-dire, notamment, une Eglise qui accueille en elle la conception dominante, mondialiste ou onusienne, de l’accueil des migrants, mais en revanche il y a besoin et il est nécessaire de préciser ce qui suit : d’autres ou les mêmes veulent aussi que l’Eglise catholique devienne, demain, une “Eglise de mutants” : une Eglise de fidèles qui auront tellement modifié, perturbé, subverti, transformé le catholicisme, qu’ils seront devenus eux-mêmes de véritables mutants, dans les domaines de la foi, des moeurs, de la liturgie, des sacrements, etc.
Conclusion provisoire : les mêmes cardinaux, les mêmes évêques, qui n’ont que les mots “dialogue” et “unité” à la bouche, sont aujourd’hui les prédécesseurs d’autres cardinaux, d’autres évêques qui seront chargés de “gérer”, ou pas, dans l’Eglise de demain, les conséquences d’une bipolarisation intra-ecclésiale, entre des catholiques dits “humanitaires” et des catholiques dit “identitaires”, alors que le “dialogue” entre les uns et les autres sera de moins en moins envisageable, et alors que “l’unité” entre les uns et les autres sera de moins en moins réalisable. Beau résultat…
D’où la mise en garde qui figure au début de ces éléments de réflexion : “Catholicisme “3.0” : Attention – Danger” : il y a aujourd’hui un vrai risque de marginalisation de la réception, de la transmission, du respect et du souci des fondamentaux du catholicisme, au sein même de l’Eglise catholique, et un vrai risque d’assimilation de la réception, de la transmission, du respect et du souci des fondamentaux du catholicisme à une “sensibilité” INADEQUATEMENT CONCILIAIRE ET ILLEGITIMEMENT CONSERVATRICE, “réfractaire”, dans l’esprit de certains catholiques, et “résiduelle”, dans la vie d’une partie de l’Eglise, donc un vrai risque d’assimilation de la fidélité au catholicisme à une sensibilité estimée assez peu légitime, dans l’Eglise…
Et il est fort possible que, depuis l’intérieur de ce catholicisme “3.0”, on nous fasse comprendre ou laisse entendre de plus en plus souvent qu’un catholique qui essaie d’être et de rester fidèle aux enseignements de Paul VI, de Jean-Paul II, de Benoît XVI, dans le domaine de la foi et dans celui des moeurs, est un fidèle catholique qui manque de discernement évangélique, de sens de la miséricorde, et d’ouverture vers les périphéries…