Mgr Luc Crépy est évêque du Puy-en-Velay, chargé de la lutte contre les abus sexuels dans l’Église en France. Alexandre Dussot-Hezez est cofondateur de l’association la Parole libérée qui rassemble des victimes de prêtres pédophiles, et lui-même victime du père Preynat à Lyon, dans son enfance. La Vie les a interrogés :
La récente démission des évêques chiliens, à la suite de nombreux scandales de pédophilie dans leur pays, a marqué le monde entier. Qu’en avez-vous pensé ?
Mgr Luc Crepy. Tout un épiscopat qui donne sa démission au pape, c’est un événement surprenant. Au-delà du geste, ce qui vient de se passer est très fort : le pape lui-même a reconnu avoir fait une erreur. Il a rencontré les victimes, puis convoqué les évêques, et ceux-ci ont remis leur démission. À lui de voir s’il en accepte certaines ou non. Au regard de la « tolérance zéro » que François évoque souvent, l’exemple chilien est parlant. Moi qui suis responsable en France sur cette question de la lutte contre la pédophilie, je trouve que cet épisode montre qu’au plus haut sommet de l’Église il n’y a pas que des paroles, mais que des actes sont posés. Cela va marquer les Églises locales.
Alexandre Dussot-Hezez. Le Chili est important pour nous, à la Parole libérée, parce que nous y étions au moment du voyage du pape, en janvier dernier. Fondée par trois victimes il y a environ six ans, l’association Para la Confianza (qui rassemble des victimes chiliennes d’abus sexuels perpétrés par des clercs, ndlr) nous avait invités à un séminaire avec plusieurs associations internationales pour parler de la pédophilie dans l’Église. Une fois sur place, ça a été un choc : avec un groupe de victimes, on s’est retrouvés à manifester sur la place de la Libération de la ville de Santiago pour dénoncer les méfaits de certains prêtres. Dans ce pays encore très catholique, j’ai senti une défiance envers l’Église : j’ai vu des églises taguées « pedophilia » !
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Pourtant, en France, les évêques n’ont pas voulu recevoir une victime lors de leur assemblée plénière à Lourdes en mars dernier. Pourquoi ?
L.C. Il faut rappeler qu’en novembre 2016, à Lourdes, nous avons fait une demande de pardon de l’ensemble de l’épiscopat par rapport à la question des abus sexuels. Tous les évêques sont entrés dans cette démarche pour reconnaître les dysfonctionnements ecclésiaux, condamner les pratiques et le silence coupables autour de ces crimes que constituent les actes pédophiles. Je pense que nous accueillerons, la prochaine fois à Lourdes, des victimes d’abus sexuels, mais les modalités doivent être fructueuses pour tous. Je préconise par exemple des groupes de travail rassemblant les uns et les autres. Du côté des évêques, cela peut être très riche. Mais du côté des victimes aussi : cela peut permettre de comprendre de l’intérieur ce qu’on ne perçoit pas toujours. C’est une question qui prend du temps et qui est aujourd’hui en discussion.
A. D.-H. Certes, mais aux débuts des années 2000, il a déjà été dit qu’un travail était fait. Il y a eu des déclarations, un fascicule, des premières actions… Puis on a dit que c’était bon, que c’était fini, et on a enterré les dossiers dans les diocèses. Des victimes, à l’époque, s’étaient mobilisées, pour le résultat qu’on connaît. C’est pour cela qu’au départ, à la Parole libérée, nous étions sans concession devant des actes terribles. Or le travail des victimes pour amener à une prise de conscience, à une action, à libérer la parole sur un tel sujet – un engagement qui a un impact sur notre vie familiale, professionnelle… – tout cela demande une énergie folle ! C’est épuisant. D’autant que, lors de cette fameuse rencontre de 2016, les évêques ont certes décidé de jeûner une journée, mais ce même après-midi, le programme annonçait une conférence de Mgr Pican sur les prêtres aînés… Incroyable !