Homélie de Mgr Touvet, évêque de Châlons-en-Champagne, sur sainte Geneviève, patronne des gendarmes :
Chers Frères et Sœurs,
Nous entrons dans une période de l’année où tout le monde s’agite pour préparer Noël. Il y aura bien sûr tous les préparatifs matériels, cadeaux, repas ou festins… il y a déjà les décorations ou illuminations, les marchés de Noël … on voit même apparaître des calendriers de l’Avent nouvelle mode qui distribuent des savons ou de la nourriture pour chats … !
Dans une semaine débutera le temps liturgique de l’Avent. Il nous est donné par la Sainte Eglise pour nous préparer à l’essentiel : accueillir Jésus le Sauveur, Prince de la Paix, Dieu fait homme, dans notre vie personnelle et dans notre monde si troublé et incertain. L’Avent nous est offert pour préparer nos cœurs et rendre belle cette part invisible de nous-même qui contient et révèle ce que nous avons de plus digne : notre ressemblance avec Dieu. Mais c’est là aussi que peut se loger ce qu’il y a de plus laid et vil. Pour accueillir Celui qui vient et s’invite chez nous, en nous, nous sommes appelés à nous convertir, à changer notre comportement, notre façon de penser, nos paroles, pour que notre cœur puisse devenir la demeure de Dieu.
Dieu aurait pu rester extérieur au monde qu’il avait créé. Il aurait pu le regarder de loin et observer la vie des personnes humaines se débattant avec les difficultés de la vie. Non, nous, chrétiens, croyons que notre Dieu est venu vivre en ce monde, partager nos joies et nos épreuves, en se faisant semblable à nous en toute chose excepté le péché. C’est Jésus-Christ, l’Emmanuel, Dieu-avec-nous. Lui, l’immortel, l’éternel, il s’est même abaissé jusqu’à la mort afin de nous arracher à elle par la résurrection au matin de Pâques à laquelle nous sommes appelés.
C’est pourquoi, dans une période de notre histoire où, comme à d’autres époques, certes, mais d’une façon bien particulière, les épreuves, les difficultés, les inquiétudes, les angoisses ne manquent pas, il nous est bon de célébrer aujourd’hui sainte Geneviève, modèle de dévouement pacifique au service de la population. Elle nous ouvre à l’espérance que la paix de Dieu triomphe de l’horreur du mal, elle nous stimule dans notre propre engagement au service des autres, elle nous rappelle que le nom de Dieu ne doit en aucun cas être manipulé pour faire l’œuvre du diable.
Quand elle se donna totalement dans l’organisation de la défense des parisiens contre l’invasion des barbares qui menaçaient de tout détruire et piller, elle devint une flamme d’espérance. Nous avons entendu cette parole dans le livre de Judith : « Jamais l’espérance dont tu as fait preuve ne s’effacera du souvenir des hommes, mais ils se rappelleront éternellement la puissance de Dieu ». Quand elle déploya toute son énergie pour permettre le ravitaillement de la population par le fleuve, elle fut une source d’espérance.
Quand l’Eglise catholique, aujourd’hui – comme elle l’a fait au long des siècles dans notre cher pays, en mettant en place bien des services sociaux et éducatifs dont nous bénéficions tous – continue d’agir pour l’accueil des migrants, pour la solidarité avec les plus pauvres, pour l’éducation des enfants et des jeunes, pour le soutien aux familles en difficulté, pour la protection de l’institution familiale (berceau d’amour), pour l’accueil de tous les enfants à naître, pour l’accompagnement de la vie jusqu’à la mort, pour la présence auprès des malades, pour l’entretien du lien social, pour le respect de la personne humaine, elle est prophète d’espérance. Elle est dans sa mission profonde : au service de l’humanité que Dieu a justement choisie comme demeure.
Eh bien, quand les gendarmes se donnent au service de la sécurité de tous, quand ils se rendent au secours des victimes de la violence, quand ils interviennent pour pacifier les esprits au sein d’une famille divisée, quand ils font respecter le droit et la justice, quand ils veillent à la sécurité de tous, même celle des chrétiens dans leurs églises, on en est arrivé là (!), ils sont aussi des artisans d’espérance. Ils agissent pour le bien, le droit, la paix, la justice, la vie. Ils font renaître la confiance, la sérénité, ils contribuent à l’entente et au respect mutuels. Dans l’Évangile, Jésus ne nous demande pas autre chose que de nous aimer les uns les autres comme il nous a aimés, de nous pardonner mutuellement, de ne pas rendre le mal pour le mal, de porter de bons fruits, d’être artisans de paix, d’accueillir et accompagner les plus fragiles.
Réunis sous le regard de Sainte Geneviève, dont le courage et la force furent exemplaires, nous voulons ensemble demander pour nous tous la force d’âme, la puissance invisible de l’Esprit-Saint pour agir dans le sens de l’espérance. Dans l’Evangile, l’attitude de Marie qui écoute le Seigneur alors que Marthe est très affairée, nous rappelle la nécessité pour nous de puiser à la source la force dont nous avons besoin. Nous aurons beau faire des tas de choses… si nous ne nourrissons pas nos cœurs et nos intelligences de tout ce qui est beau, vrai, grand et digne, nous brasserons de l’air, nous ne porterons pas de fruit. Les gendarmes et leurs chefs, parfois frappés par le découragement ou le désespoir, mobilisés comme tous nos chers soldats, plus qu’une famille ne peut normalement le supporter, ont besoin de cette force de Dieu pour demeurer toujours « en service » ; les responsables de l’Etat et les élus locaux au service de la collectivité en ont besoin aussi pour toujours œuvrer au service du bien commun et non des intérêts particuliers ; chacun d’entre nous, baptisé dans le Christ, en a besoin pour accomplir sa mission dans l’Eglise et dans le monde et rendre témoignage de sa foi.
Ainsi, nous contribuons à la naissance de Dieu dans notre pauvre humanité, nous permettons son enfantement dans la vie de nos contemporains. Noël n’est pas une fête comme les autres, ni un simple anniversaire, mais le mystère divin à accueillir dans la vie des hommes d’aujourd’hui. C’est à nous de faire en sorte que ce soit Noël tous les jours. Une fête de l’espérance.
Que Sainte Geneviève nous aide à écarter les ténèbres et laisser jaillir la lumière de Dieu en devenant, gendarmes ou non, des agents de l’espérance pour notre monde.
Charles Péguy, qui chanta l’espérance avec des mots d’une rare beauté, nous aide à remercier Dieu pour le témoignage de la patronne des gendarmes qui veille sur nous tous et que nous aimons prier. Nous lisons ces vers dans « La Tapisserie de Sainte Geneviève », écrits en 1912 :
Elle avait jusqu’au fond du plus secret hameau/La réputation dans toute Seine et Oise/Que jamais ni le loup ni le chercheur de noise/N’avaient pu lui ravir le plus chétif agneau.
Tout le monde savait de Limours à Pontoise/Et les vieux bateliers contaient au fil de l’eau/Qu’assise au pied du saule et du même bouleau/Nul n’avait pu jouer cette humble villageoise.
Sainte qui rameniez tous les soirs au bercail/Le troupeau tout entier, diligente bergère,/Quand le monde et Paris viendront à fin de bail
Puissiez-vous d’un pas ferme et d’une main légère/Dans la dernière cour par le dernier portail/Ramener par la voûte et le double vantail
Le troupeau tout entier à la droite du père.
Amen.