Editorial de Mgr Jean-Pierre Ricard, archevêque de Bordeaux, suite au débat annoncé pour 2018 sur l’ouverture de la PMA aux femmes et femmes célibataires. Paru dans le journal diocésain de novembre 2017.
L’assistance médicale à la procréation (AMP), ou procréation médicalement assistée (PMA), consiste à manipuler un ovule et/ou un spermatozoïde pour procéder à une fécondation.
Elle permet de pallier certaines difficultés à concevoir, sans nécessairement traiter la cause de l’infertilité. En France, en 2014, 25.208 enfants (sur 800.000 naissances) sont nés grâce à une AMP.
Aujourd’hui, la législation actuelle en réserve l’usage pour remédier à des infertilités d’origine pathologique chez des couples formés d’un homme et d’une femme vivants et en âge de procréer. Ce sont ces dispositions législatives qu’un certain nombre voudrait voir aujourd’hui modifiées, en particulier pour répondre aux demandes de couples de femmes ou de femmes seules. La récente loi autorisant le mariage entre personnes du même sexe a ouvert la voie à cette revendication.
Ceux qui prônent l’extension de l’AMP à ces nouvelles demandes soulignent que ces femmes ont droit à avoir un enfant, à pouvoir enfanter sans passer par l’union sexuelle, puisque la technique aujourd’hui le permet. Leur refuser ce droit peut s’assimiler à de la discrimination. De plus, on souligne qu’un certain nombre de pays ont déjà libéralisé cet usage de l’AMP et que les françaises qui se rendent dans ces pays sont pénalisées, l’argent étant un facteur de sélection.
Cette évolution et ce discours ne sont pas étonnants. Nous sommes dans une société qui a mis l’individu au cœur de ses préoccupations, l’individu avec son désir d’épanouissement, ses besoins et ses aspirations. Celui-ci demande à la société de répondre à ses désirs qui lui paraissent légitimes. Pourquoi des femmes ne pourraient-elles pas avoir des enfants quand elles le veulent et comme elles le veulent ? Pourquoi ne pas faire confiance au projet des femmes qui souhaitent accéder à la maternité en bénéficiant de procédures auxquelles, auparavant, elles n’avaient pas accès ? Ce projet de concevoir un enfant puis de l’éduquer n’est-il pas un projet souvent longuement réfléchi, concerté, qui fait de la grossesse un événement programmé et désiré ? Pourquoi ne pas répondre à ces désirs ?
Or, le désir de chaque individu, si puissant soit-il, se heurte au désir de l’autre et des autres. Ici, le droit à l’enfant se heurte au droit de l’enfant lui-même. Peut-on volontairement et en toute conscience priver un enfant de père ? C’est là la question fondamentale. Certes, il ne s’agit pas d’affirmer qu’une femme seule, ou en couple avec une autre femme, est incapable d’élever ou d’aimer un enfant, mais d’attirer l’attention sur le fait qu’un enfant élevé ainsi va se trouver dans une situation plus complexe que s’il nait d’un couple hétérosexuel. On sait, en effet, combien le rôle d’un père, en intersection et en coopération avec celui de la mère, est essentiel dans la construction de la personnalité d’un enfant et de son rapport à la diversité de la société, dont en particulier l’altérité masculin-féminin. De plus, l’enfant conçu dans ces conditions n’aura pas non plus accès à ses origines dont on sait qu’elles sont un élément important de son identité. Combien d’adultes sont taraudés par le désir de pouvoir un jour connaître le géniteur inconnu dont ils sont nés ! Certes, des enfants se trouvent aujourd’hui dans des situations où ils n’ont pas de père, en particulier quand il y a abandon ou perte des parents. Mais autre chose est d’essayer de remédier au mieux à des situations qui n’ont pas été choisies, autre chose de les créer volontairement !
Non, l’enfant n’est pas un dû. Il est un don.
Il n’est pas un objet au service de nos désirs, même fort respectables. Il est un sujet vulnérable, une personne qui doit être respectée dans sa conception, dans son origine et dans son développement.
Certes, ces convictions sont aujourd’hui mises en question par ceux et celles qui vivent une homoparentalité : est-on sûr que les enfants soient perturbés par le fait de n’avoir pas de père ? On reproche à un couple homosexuel un manque d’altérité, mais n’y a-t-il pas avec deux parents dualité de référence et de lignage ? Ne faut-il pas accepter qu’il y ait de nos jours une pluralité de modèles familiaux et non plus un modèle unique de famille ? Le relativisme rejoint ici le primat donné à l’individualisme.
Cette approche qui milite pour cette extension de l’AMP se défend pourtant d’ouvrir la porte à la gestion pour autrui (GPA). Mais, qui ne voit que cette approche développe des arguments qui ne pourront qu’amener à l’acceptation de la GPA. Si on autorise des couples de femmes ou des femmes seules à bénéficier de l’AMP, pourra-t-on refuser aux couples d’hommes ou aux hommes seuls d’avoir des enfants en bénéficiant du service d’une mère porteuse ? Si cela n’était pas autorisé, n’y aurait-il pas là discrimination et injustice ? Pourquoi aller à l’étranger pour cela ? De plus ne trouvera-t-on pas des témoignages touchants de femmes disant qu’elles ont voulu rendre service à des hommes et leur avoir fait le plus beau des cadeaux en mettant au monde un enfant et en le leur confiant ? Ne nous faisons pas d’illusion : après l’AMP, la GPA sera à coup sûr l’étape suivante. Le Comité national d’éthique qui préconise l’extension de l’APM (malgré l’avis divergent de onze de ses membres) refuse la GPA. Mais pour combien de temps ? En 1994, les lois de bioéthique avaient énoncé le principe de réserver la procréation médicale assistée à des couples formés d’un homme et d’une femme. Lors de leur révision en 2004 puis en 2011, ce principe n’avait pas été modifié. Aujourd’hui, il risque de l’être. Cela démontre la fragilité des garde-fous que la législation se donne devant des évolutions de notre société.
Devant cette fragilité, il est important que nous puissions témoigner des convictions qui sont les nôtres, en particulier veiller au bien de l’enfant qui risque toujours de passer après le bien des adultes. Dans les débats qui vont s’ouvrir en 2018 lors de la révision des lois de bioéthique, n’hésitons pas à prendre la parole et à défendre le droit qu’a tout enfant d’avoir un père et une mère. Dans une société de la performance et de la satisfaction des désirs individuels, il nous faut développer une « éthique de la vulnérabilité », une éthique soucieuse de protéger le plus faible, le plus vulnérable, en l’occurrence l’enfant à naître et à aider à grandir. C’est à l’attention à ces formes de vulnérabilité que l’on peut juger de l’humanité d’une société !