Monseigneur Jacques Habert, évêque de Séez, responsable du groupe de travail : « Les églises, un nouvel enjeu pastoral » a réfléchi pendant deux ans à l’utilisation des églises.
Pouvez-vous m’expliquer la genèse de ce projet ? Pourquoi avoir intitulé ce document : « Les églises, un enjeu pour tous ? »
Tous les deux ans, les évêques de France mettent en place un groupe de travail autour d’une question. En 2009, un premier groupe de réflexion avait été ouvert sur la question des églises désaffectées mais celui-ci avait surtout une dimension canonique. Nous avons alors voulu aborder la problématique des églises sur un plan pastoral. Le colloque au Collège des Bernardins, le 10 mars 2017, a permis de montrer que les évêques de France s’intéressent à cette question. Comment utiliser nos églises dans les années qui viennent ? Comment pouvons-nous les aménager au mieux pour être signe d’évangélisation dans la société d’aujourd’hui ? Comment élargir notre réflexion à la dimension culturelle ?
Dans la première partie du document, vous établissez un état des lieux : il y a 42258 églises et chapelles paroissiales en France en soulignant le nombre d’églises construites et aussi celles démolies ? Comment peut-on expliquer ce phénomène d’églises démolies ?
La question des églises est liée à la question démographique. Certaines zones rurales sont de plus en plus désertifiées. Même si le pourcentage de destruction d’églises reste très marginal (0,60%), cela reste toujours un échec d’en démolir une ! La nécessité de détruire ces édifices apparait, hélas, de temps en temps (NDLR. 255 depuis 1905) mais nombre d’entre elles sont restaurées, soignées, ouvertes et utilisées !
L’intervention du Père Olivier de Cagny intitulé : « Nos églises, lieux publics, lieux mystiques » a pour but de rappeler l’identité même du bâtiment église. Pourquoi est-il si important de réfléchir à l’avenir de nos églises ?
C’est une question numérique. Mon diocèse est composé de 550 églises. Il y a cent ans, ces 550 églises étaient rythmées par des célébrations de mariages, de baptêmes et d’enterrements. Aujourd’hui, j’ai trop d’églises. Je n’aime pas utiliser cette expression ! Mais si nous ne sommes pas vigilants, nous risquons d’avoir des églises abandonnées, abîmées ou détériorées, ce qui serait contreproductif ! La désertification du monde rural nous amène à anticiper ce phénomène, c’est un enjeu qui va se jouer dans les dix, vingt ou trente années. N’attendons pas les bras croisés que les églises s’écroulent ou soient abandonnées. Ce ne serait pas responsable d’agir ainsi…
Dans quel cas l’exécration (1) des églises est-elle envisagée dans le Code de droit canonique de 1983 ?
Les églises construites avant 1905, (ie. Avant la loi de séparation des l’Églises et de l’État), appartiennent aux communes, tandis que les cathédrales appartiennent à l’État. Avant qu’elles ne soient désaffectées, il faut que l’évêque prononce un décret d’exécration. Quand la décision est prise, c’est un acte authentique qui reconnait que le bâtiment n’est plus une église. Mais il est très rare qu’une église ne serve plus. Outre l’aspect canonique, il y a aussi une démarche liturgique où sont retirés également les autels, les croix ou les statues. Une fois que nous n’avons plus l’affectation, le bâtiment peut bénéficier de nouvelles fonctions et la commune en fait ce qu’elle veut. L’Église souhaite cependant que le bâtiment soit dédié à des activités qui respectent le caractère originel du lieu.
L’Église est un lieu consacré qui accueille du public. En quoi la sécurité des églises est-elle un enjeu important ?
De nombreux curés ne veulent pas ouvrir leurs églises par peur des vols. Cet argument peut s’entendre. C’est pourquoi, nous avons mis en place dans le document une information sur la sécurité pour protéger les biens des églises : les statues, les vitraux ou autres objets religieux. Nous avons aussi évoqué la sécurité des bâtiments pour les jours de célébrations, avec la problématique de vétusté. Enfin, il y a aussi par rapport à l’actualité récente le plan antiterroriste qui nous oblige à mettre en place des mesures de sécurité pour évacuer et protéger les fidèles.
Depuis de nombreuses années, des manifestations culturelles sont aussi organisées dans les églises. Ces évènements constituent-ils une richesse pour l’Eglise ?
Un dialogue entre la culture et la foi a toujours été engagée. L’Église, au sens du bâtiment, est une œuvre culturelle. Nos églises sont des lieux où se déploient une vie culturelle. Le deuxième point de notre appel, était d’être vigilant, pour que les églises restent des lieux affectés au culte, à la prière, pour le peuple de Dieu. Quand les églises s’ouvrent pour des opérations culturelles, l’Église reste dans une grande tradition car elle dialogue avec les cultures que sont la musique, la peinture ou la sculpture.
Les églises peuvent être des charges financières et matérielles, vous invitez les diocèses à se doter de cellule de veille et de vigilance dans le suivi des bâtiments. Quelles sont les enjeux d’une si forte mobilisation ?
Cette cellule de veille composée de laïcs très compétents en matière de questions immobilières, de sécurité ou d’entretien du bâtiment aide le prêtre dans sa charge pastorale. Que les laïcs s’engagent et se forment, c’est une réelle attente des diocèses. En revanche, il peut arriver qu’une association patrimoniale restaure une église, une chapelle ou un clocher et que le curé soit malheureusement le dernier prévenu, ce qui crée des dissensions néfastes car le lieu est affecté au culte. Il faut que l’affectataire soit bien prévenu des opérations réalisées dans le bâtiment.
Vous soulignez que « les églises ne sont pas devenues des musées » ? Pensez-vous qu’il faille dépasser le regard purement esthète, ne pas se limiter à une approche historique ?
Quand une personne rentre dans l’église, il peut venir comme chrétien, chercheur de sens qui vient se recueillir ou amoureux du patrimoine. Celui qui viendrait simplement sous un plan esthétique, nous devons lui manifester que ce lieu est vivant, où des gens prient et célèbrent…Qu’il ne se dise pas que le lieu a été vivant ; il y a quelques siècles, et qu’aujourd’hui c’est un musée. C’est l’une de nos grandes préoccupations. Concernant les églises fortement visitées, nous sommes heureux de voir des lieux réservés à la prière, que l’accueil soit réalisé par des chrétiens et que soit proposés des horaires de célébrations. Bienvenue à tous les visiteurs qui en comprennent l’âme et la signification.
Vous évoquez alors les initiatives comme la mise en place d’une « pastorale du tourisme pour les monuments religieux » qui permettent de développer de nouvelles approches avec les différents acteurs du tourisme religieux…
Il y a parfois des parcours proposés dans de petits villages avec de belles églises. Cela parait très simple en théorie à mettre en place. Mais cela exige des bénévoles qui s’engagent et qui soient compétents pour donner des informations historiques et religieuses. La Pastorale des réalités du tourisme et des loisirs (PRTL) doit être présente dans ces églises où les touristes passent. Plus nous annoncerons aux touristes où ils entrent, plus nous serons dans la vérité du lieu.
En évoquant l’évolution du tourisme, est-il important de dépasser la dichotomie touristes-pèlerins ?
Nous ne portons pas de jugements pour dire que certaines personnes seraient uniquement un pèlerin ou un touriste ; les deux sont mélangés. Une personne peut être touchée par la beauté d’un lieu – un Christ en croix ou la statue de Marie – et ressentir un moment inédit. Si les touristes rentrent dans les églises pour les visiter, aidons-les à en comprendre tous les sens et la grâce de Dieu y fera son œuvre. La beauté est un chemin d’accès à Dieu. Avec de belles œuvres, on peut remonter à l’origine, à savoir le Dieu créateur.
Comment avez-vous vécu ces sessions ?
Nous avons vécu ce travail dans un climat très positif. Cela nous a permis de nouer des relations de confiance avec le monde de la culture et du patrimoine. Ces personnes étaient très honorées que nous les écoutions. Il faudrait – en tant qu’Église – aujourd’hui, être attentif à tout ce monde qui s’est parfois un peu éloigné de l’Église. Du côté de la communauté chrétienne : les prêtres, les fidèles et les paroissiens, il faut se préoccuper de ce patrimoine qui nous a été confié par ceux qui l’ont construit. Encore une fois, ne restons pas les bras croisés à regarder les choses se dégrader sans rien faire.
Avez-vous déjà eu des retours depuis la parution du document ?
J’espère que ce document aura un impact. Je voudrais donner des exemplaires aux maires des communes de mon diocèse, aux curés et aux équipes pastorales. J’aimerais commencer une initiative qui encourage tous ceux qui sont engagés dans cette pastorale.
(1) La désaffectation résulte, en général, d’un arrêté préfectoral pris à la demande du propriétaire après accord de l’autorité religieuse concernée – l’évêque diocésain prend, préalablement, un décret dit « d’exécration » qui fait perdre au bien son caractère sacré.