Monseigneur Michel Dubost, évêque d’Evry-Corbeil-Essonnes et Président du Conseil pour les relations interreligieuses et nouveaux courants religieux, intervient à son tour au sujet du père Hamel :
Soyons clairs : l’assassinat du Père Hamel n’a rien changé de fondamental. Certes, ce fut un choc. Énorme. Mais, après ce choc, d’autres attentats ont été commis ou préparés. L’état d’urgence a été prolongé. Les musulmans de France ont continué à être blessés profondément par le soupçon qu’ils pensent exister à leur égard. Une partie importante de la population continue à dénoncer le communautarisme maghrébin, et à refuser de considérer la plupart des musulmans comme des concitoyens comme les autres. Une infime minorité a tenté de récupérer l’évènement pour alimenter sa suspicion. Mais cette suspicion était antérieure. Le Conseil français du culte musulman (C. F. C. M) qui, pourtant, a été écouté dans les heures qui ont suivi l’attentat, n’est pas mieux reçu aujourd’hui qu’hier par beaucoup de musulmans et beaucoup de non musulmans en France. L’émotion passée, on ne peut pas dire qu’existe une véritable flambée de rencontres et d’actions en commun. Ici et là, quelques personnes sont venues s’ajouter à celles qui se rencontrent habituellement. C’est tout.
Pourtant, l’atmosphère n’est plus la même. Des chemins semblent pouvoir s’ouvrir. Il n’y a rien de vraiment nouveau, mais l’assassinat – et les réactions qui l’ont accompagné- ont permis de mettre en lumière des évolutions qui existaient mais n’étaient pas conscientes.
Le Père Hamel a été reçu comme la figure d’une certaine France chrétienne, bonne, ouverte, simple, une France que l’on avait oubliée dans le fracas des affaires médiatisées, et dont l’existence a été soudain rappelée. La réaction des catholiques a impressionné par son calme, son sens de la responsabilité, son caractère pacifique, mais cette attitude est, depuis longtemps, celle des évêques de France et du Pape François : cette « sagesse » a pu être admirée sur le coup, mais elle n’était pas nouvelle. Il y a longtemps, par exemple, que la conférence épiscopale s’était dotée d’un service de relation avec l’islam !
L’horreur du meurtre d’un homme de Dieu a poussé beaucoup de musulmans à manifester avec davantage de force leur dégoût d’être assimilés aux assassins… et leurs visites aux catholiques le dimanche suivant ont rendu leur solidarité plus visible. Monsieur Kbibech n’aurait jamais pu lancer cette invitation – et n’aurait jamais été écouté – si, depuis longtemps, n’avaient pas existé de multiples liens entre musulmans et chrétiens. Dans les mois qui ont suivi l’attentat, les médias semblent avoir été davantage attentifs aux recherches qui traversent le monde musulman, et à la lente progression de son acceptation de la liberté de conscience (liberté pour les chrétiens en pays à majorité musulmane, égalité des droits dans les mariages mixtes, etc…).
Les discours peuvent être grandiloquents, ils ne changent pas la réalité de notre pays fracturé, où chacun vit à côté de l’autre, quelquefois en bonne intelligence, quelquefois en méfiance…. La mort de Jacques Hamel a cependant convaincu – et devrait convaincre encore davantage – qu’il faut aller au-delà des mots pour bâtir notre société… En maints endroits, de petits groupes catholiques et musulmans se sont réunis (autour du 25 mars) pour être « ensemble avec Marie ». Bien entendu, la prière ne gomme ni les différences, ni même certaines hostilités, mais, pour des croyants, cette prière est un chemin sûr vers une fraternité certaine. Le Père Hamel est mort pendant une messe. C’est un signe et peut-être un appel.