Voici la fiche de l’Observatoire Foi et Culture sur Tintin, reporter au grand coeur et Hergé, son créateur, par Mgr Hubert Herbreteau, évêque d’Agen et président de l’OFC, alors que se tient au Grand Palais (Paris) une exposition sur Hergé, jusqu’au 15 janvier 2017. Un bel exercice de récupération du politiquement correct sur le racisme, le colonialisme (forcément mauvais), l’accueil de l’étranger et tout et tout…
Tintin fait partie des bons souvenirs de notre enfance. Au patronage, beaucoup ont lu les albums d’Hergé et apprécié la projection des films fixes racontant les aventures du grand reporter. C’était un moment attendu après avoir joué dans les bois et participé à des activités sportives.
Pour des générations entières, les aventures de Tintin ont été l’occasion d’une véritable découverte de terres inconnues. Hergé, comme Jules Verne, a fait voyager en imagination beaucoup de gens, à une époque où n’existaient ni la télévision ni les magazines de connaissance du monde. Les déplacements de Tintin ont ouvert pour les jeunes une fenêtre sur les paysages et les phénomènes naturels les plus spectaculaires de notre terre. Des sables du Sahara aux glaciers himalayens, en passant par les forêts d’Amazonie et les landes de l’Ecosse, les vignettes en couleur d’Hergé foisonnent de détails, font parcourir une planète pleine de surprises, de pièges et de traquenards. Le lecteur de 7 à 77 ans ne pouvait que se réjouir d’un monde aussi passionnant.
Grâce à Tintin le reporter, au capitaine Haddock le marin, à Tournesol le savant, aux deux détectives Dupond et Dupont, Hergé ouvre ses lecteurs à la botanique, à l’astronomie, à l’histoire et même à l’opéra. Des mots étranges pour des enfants apparaissent, soudain au fil des albums. Par exemple, « sigillographie » dans Le Sceptre d’Ottokar (planche 2, case 7) n’est pas d’emblée compréhensible mais en bon pédagogue, Hergé explique le sens ce mot savant. Ou encore « sommeil léthargique ou hypnotique » (planche 18, case 1) dans Les sept boules de cristal donne un vocabulaire nouveau aux jeunes lecteurs.
Au moment où le Grand Palais à Paris accueille une exposition sur Hergé, jusqu’au 15 janvier 2017, c’est un plaisird’évoquer Hergé et ses célèbres personnages. De nombreux livres ont été écrits sur cet auteur exceptionnel. Signalons deux ouvrages récents : Le Dictionnaire amoureux de Tintin (Plon, 2016) écrit par le tintinophile Albert Algoud et le beau récit de Michel Serres, Hergé, mon ami (éditions Moulinsart et Le Pommier 2016).
Hergé est avant tout un graphiste et un coloriste de génie. Il est considéré comme le père de la bande dessinée moderne. Né le 22 mai 1907, dans une famille modeste et catholique, Hergé a vécu une enfance heureuse et paisible. Lorsqu’il découvre le scoutisme, un tournant se produit dans sa vie. Ce mouvement lui apprend l’amour de la nature, l’esprit d’équipe, la camaraderie, la B.A., la promesse. Avec son crayon, il dessine des croquis résultant de ses observations. Il signe ses premiers dessins G. Rémi, puis R.G.
Les aventures de Tintin, éditées tout d’abord en noir et blanc dans un quotidien catholique Le Petit Vingtième, le seront ensuite en couleur à partir de 1934 chez Casterman. Le premier L’Étoile mystérieuse est un chef d’oeuvre chromatique.
Hergé est très marqué par ses lectures, en particulier les dessins pour enfants de Benjamin Rabier. Celui-ci livre jusqu’en 1919 des histoires courtes mettant en scène animaux ou enfants farceurs qui s’amusent dans la bonne humeur. Hergé fait partie des nombreux admirateurs de Rabier : « J’ai été immédiatement conquis. Car ces dessins étaient très simples. Très simples, frais, robustes joyeux, et d’une lisibilité parfaite. En quelques traits bien charpentés tout était dit : le décor était indiqué, les acteurs en place ; la comédie pouvait commencer. » Le voyage de Rabier à moto jusqu’à Moscou inspira Hergé qui le prendra comme modèle de Tintin.
Le cinéma muet est également source d’inspiration. On peut reconnaître dans Dupont et Dupond, la gestuelle de Charlot. Le gorille dans L’île noire ressemble à King Kong. Dans certaines planches des albums, on retrouve les mouvements de caméra : plans rapprochés, généraux, gros plans, panoramiques, travellings. Dans Tintin au Tibet, pour montrer le temps qui passe et la marche épuisante de Tintin et de ses amis à la recherche de Tchang, la chaîne de montagne se prolonge d’une vignette à l’autre. Les vignettes sont bien séparées par un espace blanc mais le paysage se poursuit et donne l’impression que le lecteur lui-même est en marche (planche 35, cases 7, 8 et 9).
De même, dans Le sceptre d’Ottokar, pour traduire le travail d’investigation de Tintin, la planche 5 (cases 4 à 9) le montre en train de monter et descendre un escalier avec empressement, d’écouter aux portes et de faire semblant d’être égaré dans les couloirs lorsqu’on l’interroge sur sa présence dans ce lieu. Dans ce même album, la chute de Tintin en parachute avec Milou (planches 20 et 24, cases de 8 à 18) donne vraiment l’impression d’être au cinéma.
On trouve le même procédé dans Le Temple du Soleil (planche 40 et 41), avec le passage d’un torrent et d’une cascade.
Ce qui est frappant dans les albums d’Hergé, c’est l’étonnante actualité de certaines scènes. Albert Algoud souligne, par exemple, que bien avant la circulaire Hortefeux de septembre 2010 au sujet de « l’évacuation des campements illicites » le capitaine Haddock se révolte en apprenant que des tziganes ont été contraints par la police de s’installer dans un lieu insalubre : « Obliger des êtres humains à vivre dans un tel dépotoir, c’est révoltant » (Les Bijoux de la Castafiore, planche 4, case 10). Tintin, quant à lui est touché et persuadé de l’humanité profonde des tziganes et ne veut pas se résoudre à les croire voleurs des bijoux de la cantatrice : « Les pauvres gens !… Je suis persuadé qu’ils sont innocents » (planche 48, case 2).
Autre exemple d’actualité : dans Coke en stock, Tintin et le Capitaine se déguisent en porteuses d’eau, la tête couverte d’une capuche et le visage masqué jusqu’aux yeux par un foulard. Ils rencontrent près d’un puits, une femme vêtue du niqab qui les interpelle rudement en langue arabe et arrache leur voile (planche 26, case 1). En colère, le capitaine Haddock s’écrie : « Pourriez pas parler français comme tout le monde, espèce de fatma de Prisunic ?! » Certains dialogues de cet album publié en 1958 furent jugés xénophobes, avec des relents colonialistes, et portant atteinte à la dignité de la femme. Dans les versions suivantes de Coke en stock Hergé modifia les termes litigieux de certains dialogues. La phrase du Capitaine devint : « Pourriez pas parler français comme tout le monde, espèce de bayadère de carnaval ?! »
Une rencontre importante se produit pour Hergé dans les années 1930 : celle de Tchang Tchong Jen, un chinois passionné de peinture, de dessin et de bandes dessinées. Il est catholique. Une amitié profonde se noue alors. Deux albums naîtront de cette rencontre : Le Lotus bleu (1934) et Tintin au Tibet (1960). Tintin au Tibet traduit un changement important, pour Hergé, dans sa vision de l’homme. Plusieurs points sont à souligner.
• Hergé considère les peuples non européens de manière résolument positive. On est ici très loin de Tintin au Congo.
• Son ouverture à l’Autre et à la différence s’étend même au yéti. Pour reprendre les mots du philosophe Michel Serres, « Tintin au Tibet dit le plus limpidement du monde la morale la plus forte et la plus profonde qui ait jamais été dite sous le ciel et pour les hommes : que l’abominable est bon et qu’il se conduit comme aucun civilisé ne le ferait, avec douceur et charité » (p. 116).
• De plus, dans une certaine mesure, cet album apporte une nouvelle raison à l’aventure : le voyage humanitaire.
• Le thème de l’amitié entre Tintin et Tchang, mais également entre Tchang et le yéti, renvoie à la compassion et à l’altérité. Hergé est convaincu qu’il faut dépasser la peur de la différence de l’autre pour découvrir les forces d’amour et de bonté qui résident en lui.
• C’est enfin un album qui traduit la recherche de spiritualité. Parmi tous les personnages d’Hergé, Tintin est bien entendu celui qui exprime sans doute le mieux sa personnalité (curiosité, esprit d’aventure, humour). Mais celui de Foudre Bénie, dans Tintin au Tibetmérite une mention spéciale. Michel Serres qui est devenu ami d’Hergé affirme que ce moine tibétain correspond tout à fait à la psychologie et à la manière de vivre d’Hergé : « Lumineux, diaphane, éblouissant mais calme. Adepte ou inventeur de la ligne claire, dans le travail, il habitait une maison aux couleurs légères et un corps limpide et pur. Je me souviens de lui comme d’une transparence, son intelligence lévitait, je savais déjà quand nous parlions ensemble que j’avais commerce avec un ange » (p. 21).
Albert Algoud fait remarquer très justement que la première case, en haut de la planche 62, à la fin de Tintin au Tibet, est pleine de finesse et de signification. Elle présente le monastèrede Khor-Biyong. Une longue caravane de mulets et de chevaux, ramène Tintin, Milou, Haddock, et Tchang enfin retrouvé. Le groupe progresse vers la gauche et s’éloigne du monastère. Dans les aventures de Tintin, les déplacements vont en général de la gauche vers la droite, selon la dynamique habituelle de la lecture. Ici, il s’agit d’un retour lent et méditatif. Dans le dessin, à droite au-dessus du monastère, se trouve une minuscule silhouette, à peine visible, en suspension dans les airs. C’est Foudre Bénie en lévitation qui fait ses adieux à Coeur pur (Tintin) et à Tonnerre Grondant (Haddock). Albert Algoud conclut : « En le dessinant si microscopique, à l’intention de ceux qui savent voir au-delà des apparences, sa démarche est empreinte de spiritualité » (p. 274).
C’est un bonheur de se replonger dans l’oeuvre admirable d’Hergé. On y apprend beaucoup sur nous-mêmes et sur la beauté de l’aventure.
Mgr Hubert Herbreteau, évêque d’Agen
Président de l’Observatoire Foi et Culture