Le 5 octobre, l’évêque aux Armées et le Ministre de la défense ont fêté les 30 ans du diocèse aux Armées françaises. Les quatre aumôneries sont fortes de 198 aumôniers militaires d’active et 70 de la réserve opérationnelle. A ces aumôniers militaires, il convient d’ajouter 33 aumôniers ou « ministres du culte » sous statut civil et 4 aumôniers sous statut concordataire en Alsace-Moselle. L’aumônerie du culte catholique, qui représente plus de la moitié des effectifs en aumôniers, à une répartition sur l’ensemble du territoire national en différents secteurs pastoraux
Voici le discours de Mgr Ravel :
L’importance de cette célébration est à souligner : des événements tragiques où la religion est nommément impliquée conduit nos contemporains à s’interroger sur la place des religions dans la société. Même si cette place n’est pas directement remise en cause, elle suscite de la méfiance : une religion peut-elle collaborer utilement à la paix et au bonheur de notre pays ? Dans ce contexte, je vous remercie, monsieur le ministre, de votre invitation à fêter les trente ans du diocèse aux armées. Elle manifeste que les religions et les croyants peuvent contribuer au soutien de chacun et forger un esprit de cohésion nationale. En quelques mots, j’aimerais évoquer la longue histoire de l’aumônerie militaire catholique.
Des aumôniers oui, une aumônerie non. Voilà en résumé l’idée maîtresse qui a guidé le rapport des aumôniers militaires français à l’Etat comme à l’Eglise. Le besoin évident pour tous de faire accompagner les troupes ou les navires par des chapelains, des hommes chargés du culte, ne consonnait pas avec l’idée d’une organisation de ces aumôniers en corps constitué. Ce lien des aumôniers avec l’Eglise recèle donc des complexités inattendues. L’aumônerie militaire vécut pendant les siècles passés dans une situation de fait qui ne fut jamais sous-tendue par aucune organisation ecclésiastique. Ainsi la Grande Aumônerie ne gérait que les aumôniers des régiments de la Maison du Roi. Les autres dépendaient des évêques du lieu où ils étaient situés.
La première véritable institution de l’aumônerie militaire catholique par l’Eglise date du 23 avril 1951. Le pape Pie XII crée la notion de « vicariat aux armées » par l’Instruction Solemne semper qui accorde enfin un statut aux organismes érigés localement pour subvenir aux besoins spirituels des militaires. Le Pape se considère alors comme le seul évêque des armées de tous les pays : il délègue ses pouvoirs à un prélat qui devient son vicaire pour chaque pays.
Par le décret Obsecundare votis du 26 juillet 1952, Pie XII organise, à la demande de l’épiscopat français, l’aumônerie militaire de notre pays selon les principes de son Instruction de 1951. L’archevêque de Paris est alors désigné comme vicaire aux armées françaises au nom du pape. En fait, l’archevêque de Paris se décharge de l’aumônerie militaire sur un prêtre qui exerce la fonction d’« aumônier général des armées ».
Ce sera d’abord, de 1952 à 1964, un prêtre résistant, l’abbé Jean Badré. Ancien vicaire à la paroisse Saint-Antoine de Padoue et aumônier adjoint du lycée Janson-de-Sailly à Paris, il avait été, dès 1945, aumônier de la première région militaire de Paris puis aumônier national de l’Armée de Terre. À partir de 1952, il devient aumônier général des Armées. Il participe au concile Vatican II en prenant part à la rédaction de la constitution Gaudium et Spes. L’archevêque de Paris trouve qu’il est plus pratique que l’aumônier général soit évêque. Il fait nommer l’abbé Badré évêque auxiliaire de Paris en 1964. Désormais l’aumônier général est en pratique lui-même le vicaire aux armées. Mgr Badré devient évêque de Bayeux et Lisieux en 1970.
C’est Mgr Gabriel Vanel (1970-1983) qui lui succède. C’est lui-même un aumônier militaire qui occupait les fonctions d’adjoint de Mgr Badré. Il devient évêque titulaire et occupe le poste d’aumônier général des armées jusqu’en 1983, époque où il part pour Rome comme recteur de St Louis des Français avant de devenir en 1985 archevêque d’Auch.
Mgr Jacques Fihey (1983 à 1986) est le premier aumônier général qui n’ait pas été aumônier militaire auparavant. Il est durant trois ans vicaire aux armées ; le processus d’indépendance de l’aumônerie militaire s’achève avec la constitution apostolique Spirituali militum curae promulguée par Jean-Paul II le 21 avril 1986. Ce changement de statut couronne la réussite de l’expérience lancée par Pie XII. Aux termes de cette Constitution le vicariat aux Armées devint le diocèse aux Armées françaises et fonctionne depuis lors comme n’importe quel autre diocèse de France. Il se dote des mêmes services et institutions que n’importe quel diocèse. Mgr Fihey devient premier évêque aux armées jusqu’en 1989. Arrivée des premiers aumôniers non prêtres (religieuses, religieux, laïcs et femmes) mais et décision de ne pas incardiner.
Ensuite ce sera Mgr Michel Dubost (1989-2000), fils de général – Premier à donner des responsabilités à des non-prêtres et notamment aux femmes. Puis Mgr Patrick Le Gal (2000-2009) – confirme la tendance de son prédécesseur – avec les premières incardinations et l’accueil des premiers séminaristes.
Depuis 2009, votre serviteur s’efforce de poursuivre et d’amplifier le mouvement. Cette évocation rapide dessine une figure étonnante : celle d’un rapport inédit et remarquable entre l’Eglise et l’Etat. Il en existe d’autres, nous le savons. Celui de la « séparation » qui, au contraire de ce que le mot indique, est une véritable relation où prédomine l’indépendance entre l’Etat français et les églises. Celui du concordat qui touche l’Alsace-Moselle. Mais ce rapport, confirmé par le temps, entre un diocèse aux armées et le ministère de la Défense est suffisamment singulier pour qu’il puisse intéressé bien au-delà du cercle de nos armées. Avec les autres aumôneries militaires, nous ne pouvons que souhaiter qu’une telle relation forme exemple et, peut-être, source d’inspiration en cette France que nous aimons.
Et voici le discours du ministre :
Messieurs les représentants des autorités religieuses,
Monsieur le chef d’état-major de l’armée de l’air,
Monsieur le major général des armées,
Mesdames et Messieurs les officiers généraux,
Messieurs les aumôniers en chef et les aumôniers,
Mesdames et Messieurs,
Je suis heureux d’être parmi vous ce soir, pour fêter les trente ans d’existence du diocèse aux armées. Cet anniversaire qui nous rassemble aujourd’hui est l’occasion pour nous tous de mesurer le chemin parcouru depuis 1986. C’est également l’occasion de nous rappeler, s’il en était besoin, la singularité de la condition militaire et, ce faisant, ce qui fait la singularité des armées comme institution de la République.
Car c’est bien afin de garantir la liberté de culte, que la République reconnaît à tous comme un droit fondamental, et en conformité avec la loi de 1905 portant séparation des Eglises et de l’Etat, que le diocèse aux armées existe, comme l’ensemble des aumôneries militaires qui sont représentées ce soir. L’historien de formation que je suis se souvient que la longue histoire commune des armées françaises et de l’Eglise catholique commence avec le roi Clotaire II, qui appela Sulpice à sa cour de Chalon-sur-Saône pour « remplir dans les camps du roi la fonction d’abbé pour le salut de sa personne et celui de son armée ». Dans ses attributions, Sulpice avait une double mission : faire porter devant les troupes une cape merveilleuse – c’était le manteau de saint Martin – et distribuer les aumônes du roi. Sulpice reçut ainsi la charge et le nom d’aumônier. Ce nom, vous le portez encore aujourd’hui. En ce qui concerne la charge, ce sont désormais plutôt les commissaires du SCA qui l’assurent, en procurant nourriture et habillement à nos militaires. Bien plus près de nous, pourquoi la création d’un diocèse aux armées, il y a de cela trente ans ? Il s’agissait alors de répondre, une nouvelle fois, à une question récurrente au cours des siècles : les prêtres catholiques qui exercent un ministère auprès des soldats tiennent-ils leur pouvoir canonique de l’évêque du lieu où ils officient ? Ou bien le reçoivent-ils d’un Grand Aumônier, en vertu d’un privilège accordé par Rome ?
Après bien des évolutions, c’est cette dernière organisation qui a été retenue par Jean-Paul II. Avec la constitution apostolique du 21 avril 1986, Spirituali militum curae transforme ainsi le vicariat aux armées en ordinariat aux armées. Dès lors, les dénominations de diocèse aux armées, d’évêque aux armées, que nous connaissons aujourd’hui, prennent place au sein de notre institution. Et Mgr Jacques Fihey sera le premier évêque aux armées.
J’ai tenu à rassembler aujourd’hui toutes les aumôneries de l’armée française – en charge des cultes catholique, protestant, israélite et musulman -, et avec elles les représentants des différentes autorités religieuses. L’anniversaire que nous fêtons est en effet l’occasion de rappeler, de façon plus générale, combien le Ministère de la Défense a pris la mesure des enjeux religieux qui traversent notre pays : il s’offre donc aujourd’hui comme un exemple – dont nous pouvons être fiers – dans la prise en compte du fait religieux.
A ce propos, il y a un autre changement important, et que je tiens à rappeler : depuis le décret de 2008, les aumôniers militaires ne sont plus des ministres des cultes attachés aux forces armées, mais bien « des militaires servant en vertu d’un contrat », soumis par conséquent à la double hiérarchie cultuelle et militaire, je vais y revenir. C’est donc à la fois l’organisation des aumôneries et le statut de l’aumônier qui nous permettent aujourd’hui de garantir au mieux la possibilité d’un accompagnement religieux, au sein même des opérations que mènent nos armées, sur notre sol comme à l’étranger, dans des missions permanentes comme dans des opérations extérieures.
L’objectif premier des différentes aumôneries militaires, c’est de permettre aux soldats de pratiquer leur religion dans le cadre de leur engagement. Elles assurent ainsi un soutien moral, cultuel et spirituel aux hommes et aux femmes de nos armées. Ce soutien peut d’ailleurs dépasser son cadre d’origine, tout en respectant l’identité religieuse de chacun. Ainsi, lorsqu’un aumônier est embarqué sur l’un de nos bâtiments, quelle que soit son appartenance cultuelle, il est au service de tous. A bord comme à terre, en opérations comme au sein des unités, l’aumônier est avant tout un homme ou une femme de dialogue, d’écoute, de discrétion aussi. Il témoigne au quotidien de l’ouverture d’esprit des aumôneries militaires, qui œuvrent fréquemment de concert, dans un esprit d’œcuménisme religieux exemplaire, que je tiens à saluer. Et je crois que leur statut militaire aide concrètement nos aumôniers dans leur tâche : ils partagent ainsi au plus proche la fraternité d’armes de celles et ceux qu’ils soutiennent. En opérations en particulier, nos aumôniers jouent un rôle crucial. Ils peuvent conseiller le commandement, notamment pour faire comprendre l’environnement religieux du théâtre où ils sont déployés. Mais dans ces circonstances où nos soldats se retrouvent souvent, face à eux-mêmes, placés devant la vérité de leur engagement, ils sont surtout là pour aider à faire face à l’éloignement, à la blessure ou à la mort. Ils sont là, encore, cette fois loin des théâtres, pour accompagner les familles qui le veulent durant l’absence, et soutenir tous ceux qui sont revenus meurtris par les combats qu’ils ont livrés, par la violence du monde dont ils sont les premiers témoins. Et j’ai bien sûr à l’esprit leur action au quotidien dans les hôpitaux militaires, où ils accompagnent si patiemment nos blessés en opérations, et leurs familles, sur le chemin long et difficile de la guérison. Car le lien des aumôneries militaires avec le service de santé est historiquement fort.
Que les praticiens du corps et du psychisme, et les docteurs des âmes participent ainsi à une œuvre commune au service de nos soldats, c’est un profond témoignage d’humanité. Les uns et les autres, vous « allez où la patrie et l’humanité vous appellent », pour reprendre la formule du baron Percy, père des chirurgiens militaires. Chacun le mesure, cette tâche est difficile. C’est pourquoi je tiens à saluer chaleureusement celles et ceux qui ont le courage d’aller au bout de cette vocation. A travers leur action, ils contribuent à la constitution d’une véritable communauté fraternelle qui rassemblent les militaires, les civils de la Défense et leur famille. Cette communauté apporte bien sûr l’aide morale et le soutien spirituel dont le combattant peut avoir besoin ; elle participe également à la cohésion du milieu militaire. Je veux donc profiter de l’occasion qui m’est donnée ce soir pour remercier les aumôniers des quatre cultes – catholiques, israélites, musulmans et protestants – , qu’ils soient d’active ou de réserve, pour leur action de soutien de nos soldats dans le quotidien de leurs missions, à l’étranger et sur notre sol. Je pense notamment à Sentinelle : vous êtes bien placés pour connaître l’exigence de cette opération à laquelle vous répondez présents.
A ce propos, vous pouvez compter sur ma volonté de poursuivre le travail d’amélioration de votre statut, et de reconnaissance de votre action. Si le statut d’aumônier militaire est de loin le plus favorable des trois aumôneries de l’Etat, la comparaison avec les autres statuts militaires est en effet plus contrastée. Nous cherchons à progresser, par exemple en vous intégrant dès le 1er janvier 2017 dans la manœuvre indiciaire du PPCR (parcours professionnels, carrières et rémunérations) au même titre que les autres officiers. A ces mesures s’ajoute la mise en place d’un diplôme technique pour les aumôniers appelés à tenir des postes de responsabilité. Il en va de même pour la formation initiale des aumôniers militaire, qui est désormais bien rodée. Cette formation initiale pourrait prochainement incorporer le module de formation civile et civique souhaité par le Premier ministre, opportunité pour les plus jeunes aumôniers militaires de se rencontrer et de se nourrir de la richesse du dialogue interreligieux au sein de notre institution. J’y vois une démonstration de la pédagogie militaire, chère à saint Augustin : docere verbo et exemplo, enseigner par la parole et l’exemple. C’est dans cet esprit de reconnaissance que j’ai décidé de confier au collège des inspecteurs généraux des armées un mandat sur la gouvernance des aumôneries. Ces travaux ont pour objectif d’administrer les aumôneries et les aumôniers militaires avec une qualité de service de même niveau que pour les autres fonctions et corps du ministère ; ils me seront remis prochainement.
Messieurs les aumôniers en chefs,
Ce soir, je me réjouis de l’exemplarité de la mise en œuvre dans le Ministère des principes de laïcité et de liberté religieuse, avec une pratique donnant toujours priorité à l’opérationnel sur les obligations cultuelles. Il faut que cela perdure. C’est bien la force de notre République que de procurer un soutien spirituel à ceux de nos militaires et à leurs familles, qui le souhaitent. C’est un signe d’humanité. Dans cette terrible réalité qu’est la guerre, au lointain comme au plus proche, c’est cette humanité que vous, aumôniers militaires contribuez à apporter à ceux de nos soldats qui en ont besoin. Vous êtes de ceux qui nous permettent de comprendre un mot de René CASSIN, dont nous fêtons l’anniversaire en ce jour : « je tiens de ma patrie un cœur qui la déborde et plus je suis français, plus je me sens humain. » Je vous remercie.