Notre confrère a souligné l’ambiguïté des propos de Mgr Sako, patriarche des chaldéens catholiques, sur l’islam. En effet, le patriarche entend distinguer Daech du reste de l’islam. Nous proposons de donner un décryptage complémentaire, en prenant en compte différents éléments qui pèsent sur l’Église chaldéenne catholique.
Il y a d’abord ce fait que Mgr Sako adopte une ligne prudentielle, étant donné la situation géographique (et surtout démographique) de son Église. Coincé entre sunnites et kurdes, il est immergé en plein monde musulman. Il est aussi un personnage public, qui sait que ce qu’il dit a forcément un écho dans son environnement. À la différence des évêques occidentaux, il a une expérience de l’islam, loin du folklore des déclarations et des cérémonies interreligieuses. Il a au moins certaines circonstances atténuantes. On notera que la distinction est aussi un appel fait aux musulmans à se désolidariser des terroristes, ce qui a encore du mal à être fait… À ce jour, il ne se passe pas grand chose. Pourtant, ce serait la base d’une éventuelle amélioration des relations.
Il y a aussi un autre aspect: il est de notoriété publique que l’Église chaldéenne se sécularise. Nous avons eu différents témoignages plutôt convergents sur ce sujet. Nous formulons une hypothèse concernant un certain irénisme à l’égard de l’islam. L’Église chaldéenne catholique est donc soumise à une véritable sécularisation, dont les causes sont évidemment complexes. À la différence des melkites ou des syriaques catholiques, la vie monastique y a disparu. De même, le sacrement de pénitence n’est guère à l’honneur. Le regain d’ordinations, en Irak, a surtout concerné les syriaques catholiques. Enfin, l’Église chaldéenne catholique se livre à une latinisation paradoxale de sa liturgie. Paradoxale, car il s’agit d’imiter certaines pratiques et excès connues dans la forme dite ordinaire du rite romain (messe dite de Paul VI): célébration face au peuple, etc. À la différence de sa consœur melkite, elle n’a pas forcément de fierté à soigner sa liturgie. Coextensivement, cela se voit aussi dans la théologie, forcément tributaire d’une crise d’identité.
L’Église chaldéenne est une Église qui disparaît progressivement du sol irakien. Depuis les années 1980, mais on pourrait aussi remonter aux années 1950 et 1960. Certains observateurs ne sont guère optimiste sur sa survie. Les raisons sont assez évidentes. Les exils des chaldéens de ces 30 dernières années, commencés peut-être sous Saddam Hussein, se sont accélérés après les deux guerres du Golfe – celle de 1991, puis celle qui a débuté en 2003. Il faut noter les exils subis à la suite de la récente avancée de Daech au point que l’Église végète en zone kurde. Il a fallu quitter Bagdad, puis fuir ensuite récemment Mossoul… En dix ans, des chrétiens ont changé à plusieurs reprises de lieu de résidence. On peut supposer une désagrégation, commencée certainement avant, mais apparemment aboutie aujourd’hui. L’Église n’est plus dans un terreau très favorable, passant d’une situation déjà critique à une situation catastrophique.
Une autre hypothèse peut être émise. Les chrétiens chaldéens ont vécu de la rente pétrolière ou de la fonctionnarisation (Saddam Hussein avait nommé beaucoup de fonctionnaires pour fidéliser les irakiens). Il y avait un certain train de vie. Or ce train de vie a disparu. Le chaldéen est sensible à son identité, mais aussi à une situation confortable. On comprend qu’il soit tenté par l’exil. La vie matérielle reste attirante, notamment lorsque l’on en a été trop longtemps bercé.
Autre hypothèse: Mgr Sako croise régulièrement des occidentaux, évêques ou non. Il est souvent en relation avec l’Europe et les États-Unis. Il calque aussi son discours sur ce que certains veulent entendre. Il sait comment nous fonctionnons et comment nos “officiels” raisonnent. Cela peut se comprendre, car l’Église chaldéenne se sent abandonnée et fragile. Elle a aussi besoin d’appuis et de soutiens.
Nous n’avons émis que des hypothèses, et nous restons prudents pour tout ce qui tend à sonder les reins et les cœurs. La situation des chrétiens d’Orient est complexe. Ce n’est pas parce qu’il y a persécution qu’il y a forcément ferveur et renouveau. Il ne faut pas imaginer des îlots de chrétienté dynamiques et sans complexe. Les esprits sont aussi en désarroi… Des prêtres nous ont avoué que la crise des vocations existait aussi chez eux. N’idéalisons pas les chrétiens d’Orient. Ils ne sont pas monolithiques. Après tout, il y aussi des divergences entre les deux rives de l’Oder, qui sépare la Pologne de l’Allemagne. Les évêques allemands et polonais n’ont pas les mêmes perspectives sur les divorcés remariés… Il en va de même pour les chrétiens d’Orient, tout aussi divisés. Les Églises orientales sont dans des situations différentes. Mais en même temps, elles demeurent et continuent à résister. Les difficultés auxquelles elles sont confrontées, tant ad intra qu’ad extra, ne sont-elles pas les germes de renouveaux futurs ? La crise que subit actuellement le catholicisme romain n’a-t-elle pas cette particularité d’être totale, de toucher à différents domaines et de n’épargner personne ? Le serviteur n’est pas plus grand que le Maître… Aidons-les chrétiens d’Orient à surmonter leurs épreuves, en les soutenant de différentes manières.