Communiqué des Juristes pour l’enfance
Chers amis et membres de Juristes pour l’enfance,
L’été n’apporte hélas guère de trêve dans le combat pour les droits des enfants que vous et nous nous efforçons ensemble de défendre. Vous savez sans doute que, le 21 juillet dernier, la Cour européenne des droits de l’homme a condamné une nouvelle fois la France en raison du refus de transcription des actes de naissance des enfants nés à l’étranger de GPA, alors que l’absence de transcription ne portait aucun préjudice aux enfants et exprimait le refus de la justice française de fermer les yeux sur les violations de leurs droits qui résultent de la GPA. Dans un contexte de déni général de ce que l’enfant a vécu, l’état civil non transcrit offrait à l’enfant un espace de vérité et une possibilité de compréhension de sa propre histoire.
Notons que, depuis les faits portés devant la cour européenne, la cour de cassation a déjà largement renoncé à la protection de l’enfant et autorise la transcription lorsque l’acte de naissance indique la mère porteuse comme mère, comme si cela suffisait à réparer la privation de sa mère que la GPA entraine de toute façon pour lui. La condamnation européenne n’apporte donc rien de nouveau mais elle conforte l’approche complaisante avec laquelle les juridictions envisagent la GPA, dans un contexte de déni des violations des droits des enfants, autrement de déni de justice à leur égard.
C’est ensuite le Conseil d’Etat qui, le 3 août, vient d’ordonner une nouvelle fois au ministre des affaires étrangères de délivrer un titre de voyage à un enfant né de la GPA en Arménie, afin que la femme qui l’a obtenu par ce moyen puisse entrer en France avec lui. Cette question avait déjà été tranchée par le Conseil d’Etat dans une décision du 4 mai 2011. Elle n’apporte elle non plus rien de nouveau mais ne résout rien non plus, tant la solution n’en était déjà pas une en 2011.
Vous pouvez lire ci-dessous les explications d’Aude Mirkovic, porte-parole de notre association, recueillis par le site Genethique.org, ainsi que le communiqué de l’association publié à propos de la décision européenne de juillet, si vous ne l’avez pas encore lu.
Afin de promouvoir une prise de conscience sur les préjudices que la GPA entraine pour les enfants, l’association Juristes pour l’enfance lance en septembre une vaste campagne auprès des politiques et des professionnels de santé (députés, sénateurs, CECOS, Agences sanitaires, directeurs d’hôpitaux). Nous allons leur adresser l’ouvrage d’Aude Mirkovic consacré à la PMA et à la GPA envisagées dans la perspective du respect des droits de l’enfant, afin de les sensibiliser et les alerter sur l’impact qu’elles peuvent avoir sur les enfants. Nous allons leur proposer, pour eux-mêmes comme pour les membres de leurs structures, une formation sur le sujet.
Le récent débat à l’assemblée sur la répression de la GPA, qui n’a pas pu être adoptée tant les tensions sont vives, montre en effet à quel point les conséquences pour les enfants de ces pratiques sont méconnues, volontairement ou de bonne foi, de nos parlementaires et par la société en général.
Si vous pensez cette initiative utile, vous pouvez collaborer à cette campagne en aidant notre association (reçu fiscal adressé pour tout don).
Vous pouvez faire un don en ligne sur le site: juristespourlenfance.com ou envoyer un chèque à l’adresse suivante :
Juristes pour l’enfance,
BP 32, 69591 L’Arbresle cedex
Pour finir avec une bonne nouvelle, nous avons le plaisir de vous annoncer que Juristes pour l’enfance a obtenu, le 16 juillet dernier, le statut spécial de consultant auprès du conseil économique et social de l’ONU. Cette reconnaissance internationale nous ouvre des horizons et des perspectives que nous ne manquerons pas d’explorer et d’exploiter pour le bénéfice des enfants !
Avec l’assurance, chers amis, de notre vigilance et de notre dévouement au service de la cause de l’enfance, nous vous souhaitons malgré tout un bel été, dans l’espérance et la persévérance,
L’équipe de Juristes pour l’enfance
Annexe 1 : interview d’Aude Mirkovic par le site Internet genethique.org, 3 août 2016
DÉCISION DU CONSEIL D’ETAT : LE « PROCÉDÉ MACHIAVÉLIQUE » DE LA GPA
Le 3 août, le Conseil d’Etat a ordonné au Ministère des Affaires étrangères de laisser entrer sur le territoire français un enfant né à l’étranger, « quand bien même sa naissance résulterait d’une convention de gestation pour autrui » (cf. GPA en Arménie : le Conseil d’Etat à demi favorable ?). Aude Mirkovic, maître de conférences en droit privé et porte-parole de l’association Juristes pour l’enfance, décrypte cette décision pour Gènéthique.
Gènéthique : Le Ministère des affaires étrangères fabriquerait des orphelins ?
Aude Mirkovic : Ce n’est pas le Ministère des Affaires étrangères qui fabrique des orphelins, c’est la GPA. Cette pratique consiste en effet par définition à planifier la venue au monde d’un enfant dont la mère est écartée dès l’origine, de manière à ce que cet enfant n’ait pas de mère, soit donc comme orphelin, pour laisser la place à un parent d’intention.
Les adultes parties au contrat de GPA s’entendent pour mettre l’enfant dans une situation intenable, l’absence de parents. Ils se fondent ensuite sur cette situation catastrophique, qu’ils ont délibérément suscitée, pour exiger des autorités qu’elles ferment les yeux sur ce qu’ils ont fait subir à l’enfant, sous prétexte de le sortir de cette situation effectivement catastrophique. Au passage ils parviennent à leurs fins, à savoir vendre l’enfant pour la mère porteuse, et l’acheter pour les demandeurs, ici une femme dite mère d’intention.
G : Le fait que la mère inscrite sur l’acte de naissance ait véritablement accouché ou non est-il indifférent à la solution en droit ?
AM : La femme désignée sur l’acte de naissance n’est pas complètement indifférente juridiquement car, actuellement, la Cour de cassation refuse la transcription sur les registres d’état civil des actes de naissance qui ne désignent pas comme mère la mère porteuse, pour non conformité à la réalité. Mais cette mention sur l’acte de naissance ne peut être le seul critère d’appréciation car l’indication du nom de la mère porteuse sur l’acte de naissance ne porte pas remède aux maux que la GPA inflige aux enfants. Dans tous les cas, que l’acte de naissance mentionne la mère porteuse ou la mère d’intention, l’enfant est commandé, fabriqué, facturé, livré, séparé de sa mère de naissance, ce qui constitue une situation à haut risque traumatique pour lui et pourra laisser une blessure d’abandon d’autant plus grave qu’elle sera niée par l’entourage de l’enfant. La filiation de l’enfant est, dans tous les cas, malmenée, bidouillée à partir de gamètes des uns et des autres, d’une gestatrice éphémère et de parents d’intention qui sont acheteurs avant d’être parents. Devant ce désastre de méconnaissance des droits élémentaires des enfants et de leur dignité d’êtres humains, les juges se contentent d’ergoter sur la mention maternelle de l’acte de naissance. L’arbre qui cache la forêt en somme, et ces arguties juridiques permettent d’entériner comme si de rien n’était des achats d’enfant. C’est une honte, mais ces injustices ne demeureront pas sans conséquences, lorsque les enfants attaqueront l’Etat français dont la justice (!) aura fermé les yeux sur les violations de leurs droits pour satisfaire les revendications de ceux qui les auront achetés.
G : Selon vous, le refus du Ministère des Affaires étrangères de délivrer ce laissez-passer portait-il une « atteinte grave et illégale au droit de l’enfant, et au respect de sa vie privée et familiale » ?
AM : Il faut comprendre le caractère machiavélique du procédé de GPA. A l’issue du processus, la seule personne qui se soucie de l’enfant est l’acheteuse. La justice a alors le choix entre reconnaitre l’acheteuse de l’enfant comme la mère, ce qui signifie valider un achat d’enfant, ou entériner le fait que l’enfant n’a pas de mère, ce qui suppose d’avoir le courage d’en tirer les conséquences. Des états comme l’Italie ont refusé de reconnaitre des acheteurs d’enfant comme parents, pour confier ce dernier à l’adoption. L’Italie a été pour cela condamnée par la Cour Européenne des Droits de l’Homme (l’appel est en cours), alors que cette mesure est la seule qui fasse échec radicalement à l’achat d’enfant puisque l’acheteur ne parvient pas à ses fins.
Je ne sais pas si cette solution pourrait convenir dans tous les cas mais il faut réaliser que, une fois la GPA réalisée avec tout ce qu’elle suppose pour l’enfant, il n’existe pas de bonne solution pour lui, ni même de solution passable. C’est pourquoi il faut sanctionner les acheteurs et les vendeurs d’enfants, de manière à ce qu’il n’y ait plus de gestation pour autrui. Or, aujourd’hui, les clients de la GPA ne risquent rien dès lors que les faits s’accomplissement à l’étranger. Des parlementaires ont tenté de remédier à cette impunité inexplicable en proposant de sanctionner le recours à la GPA (cf. L’Assemblée nationale refuse de lutter contre la GPA [Réaction de Philippe Gosselin]) mais ce texte n’a pas été adopté par l’Assemblée car beaucoup de députés, en dépit de leurs belles déclarations sur le respect de la femme et le refus de faire des enfants des marchandises, ne souhaitent pas vraiment lutter contre la GPA. Ceux qui ont fait échouer ce texte portent une lourde responsabilité envers des enfants comme celui dont nous parlons, acheté en Arménie par une femme qui, ensuite, somme sans complexe la justice d’entériner son achat en brandissant, ironie suprême, l’intérêt de cet enfant.
Annexe 2 : communiqué de presse de Juristes pour l’enfance, 22 juillet 2016
LA FRANCE A NOUVEAU CONDAMNEE PAR LA CEDH EN MATIERE DE GPA : LE GOUVERNEMENT FRANCAIS LE FAIT-IL EXPRES ?
La France est de nouveau condamnée par la cour européenne des droits de l’homme pour un refus de transcription des actes de naissance des enfants nés de GPA à l’étranger, alors même que la cour de cassation accepte aujourd’hui, comme la cour européenne, de fermer les yeux sur la GPA pour autoriser la transcription dans des cas identiques à ceux ayant suscité cette nouvelle condamnation.
Cette nouvelle condamnation n’ajoute rien à la précédente du 26 juin 2014. En revanche, elle confirme le message désastreux adressé aux enfants selon lequel leurs droits ne pèsent rien lorsqu’ils entravent le désir tout puissant des adultes. La Cour européenne en effet, comme désormais la cour de cassation française, appréhendent la situation sans tenir compte de la GPA, comme si cette pratique ne faisait rien subir aux enfants. Comment une cour, dite de sauvegarde des droits de l’homme, peut-elle ainsi passer outre le fait pour un enfant d’être commandé, fabriqué, facturé, livré, séparé de sa mère de naissance, privé définitivement de mère lorsque les clients sont des hommes, comme dans le cas des affaires jugées hier ?
Le raisonnement de la Cour ne peut manquer de susciter l’indignation car, comme en 2014, elle fonde sa condamnation sur le postulat erroné que la filiation étrangère des enfants ne serait pas reconnue en France, ce qui est FAUX : la filiation qui découle des actes étrangers est et a toujours été reconnue en France, et la Cour de cassation l’a précisé dès ses premières décisions en la matière en 2011. C’est à ce titre que les parents désignés par ces actes peuvent exercer l’autorité parentale. Cette filiation produit TOUS les effets de la filiation et, en particulier, elle confère aux enfants la nationalité française et leur vocation successorale. D’ailleurs, la transcription n’est pas obligatoire et de nombreux Français d’origine étrangère n’ont pas demandé la transcription de leur acte de naissance étranger avec lequel ils exercent pleinement tous leurs droits.
La filiation est bel et bien reconnue, seulement elle n’était pas transcrite, mesure administrative dont le défaut ne porte aucun préjudice aux enfants et n’entraine de contrainte administrative que pour les parents, seuls responsables de la situation. L’absence de transcription exprimait en revanche le refus des juridictions françaises de cautionner les violations des droits des enfants.
L’association Juristes pour l’enfance a exposé au représentant du gouvernement français le fait que la condamnation européenne est fondée sur un postulat erroné, autrement dit privée de tout fondement. Mais le gouvernement français, qui déjà avait omis de faire appel en 2014, n’a pas voulu, cette fois-ci encore, défendre les enfants dont les droits sont bafoués par la GPA et s’est laissé condamner une nouvelle fois. Il n’est pas illégitime de s’interroger sur ses véritables intentions qui pourraient bien consister à voir s’installer ainsi la GPA ans le paysage français et européen.
L’association Juristes pour l’enfance alerte sur le fait que ces affaires ne sont pas closes. Les enfants concernés, dont les droits ont été méconnus dans l’impunité et avec la complicité des juridictions européennes et françaises, demanderont justice, un jour ou l’autre. Mais, en attendant, que de maux pourraient être évités aux enfants si la loi française était appliquée !