Mgr Olivier de Germay, évêque d’Ajaccio donne à La Nef son analyse d’Amoris Laetitia. Extraits :
“[…] Avec son style à lui, le pape François se situe dans la lignée de ses prédécesseurs. Il demande par exemple que soit redécouvert le message d’Humanae Vitae et s’appuie sur les catéchèses de Jean-Paul II. Selon moi, la nouveauté ne se situe pas tant sur le contenu du message que sur la façon de le présenter. Depuis Familiaris consortio, les divorces se sont multipliés et banalisés. Le souci du pape n’est pas simplement de redire le projet de Dieu sur le mariage mais, à l’image de Jésus qui est venu pour les pécheurs et non pour les justes, de rejoindre ceux qui ne le vivent pas encore. En tant qu’évêque, ce texte est pour moi une invitation à repenser la pastorale familiale, et je dirais même la pastorale en général. En quoi notre attitude de pasteurs favorise-t-elle une croissance morale et spirituelle ? Un gendarme est là pour faire respecter la loi, un pasteur est là pour faire des disciples ; la nuance est importante.
Les textes du Magistère sont censés éclaircir une question, or là il semble que la question de la communion des divorcés remariés n’est pas clairement tranchée : pensez-vous qu’il y a là une ambiguïté qui mériterait d’être levée ? Et vous-même, y voyez-vous une porte ouverte à la communion de certains divorcés remariés ?
Sur ce point la question n’est pas tranchée, mais Pierre a parlé. Il ne s’agit donc pas maintenant de se demander qui a gagné – encore moins de profiter de ce « flou » pour tirer le texte à soi – mais de chercher à comprendre l’intention du Saint-Père et voir comment la mettre en œuvre. La non-réponse à la question que vous évoquez est selon moi voulue et assumée. Le pape nous dit que nous ne devons pas nous dédouaner d’un travail de discernement en nous reposant sur une norme qui s’appliquerait indistinctement à toutes les situations. Il ne remet pas en question la discipline de l’Église mais il nous interroge sur la façon de la mettre en œuvre. Selon lui, le pasteur ne doit pas rechercher avant tout une conformité extérieure à une règle, mais la croissance des personnes vers « la plénitude du plan de Dieu ». La règle n’est pas un but en soi, elle est un moyen pour avancer sur le chemin de l’Évangile. Si elle décourage et fait fuir, elle ne joue plus son rôle. C’est ainsi que le pape reprend l’idée de gradualité évoquée par saint Jean-Paul II. Accompagner une personne sur un chemin de conversion doit prendre en compte les conditionnements qui retardent la mise en œuvre des exigences de l’Évangile tout en favorisant l’accueil de la grâce. L’orientation que nous donne le Saint-Père peut nous déstabiliser, et elle n’est pas sans risque. Mal comprise, elle peut, comme il le dit lui-même, nous faire tomber dans une « casuistique insupportable ». À nous de l’accueillir dans une vraie fidélité à l’Église.
Ces controverses en font oublier la famille : que faire aujourd’hui pour la défendre, la renforcer ?
Les familles chrétiennes qui vivent la joie de l’Évangile sont les meilleures ambassadrices du projet de Dieu sur la famille. La priorité pour l’Église est donc d’aider ceux qui sont unis par le sacrement du mariage à répondre à leur vocation qui est de fonder une famille véritablement chrétienne.”
“….chercher à comprendre l’intention du Saint Père”…
En voilà une idée qu’elle est bien floue et casse-g…. ! Donc chaque évêque, avec la meilleure volonté du monde, va “chercher à comprendre l’intention du Saint Père”, quitte à interpréter ladite intention de travers ? Et l’intention du Bon Dieu, j’espère qu’on va y penser un peu quand même, car finalement, la vie sur terre, c’est quand même à terme pour aller au ciel, non ? C’est en tout cas ce qu’on apprenait au kt il n’y a pas si longtemps. Je vois se profiler une joyeuse cacophonie dans l’Église du Christ, ça va finir en schisme, cette affaire.
Je suis d’accord avec vous Marie. Nul doute que Mgr de Germay accueillera cette orientation dans “une vraie fidélité à l’Eglise” mais d’autres le feront beaucoup moins. Les discussions sur le “mariage pour tous”
ont révélé de grandes différences voire des divergences au sein du clergé à tous niveaux. Nous savons tous que des couples homosexuels bénéficient d’arrangements auprès de certains prêtres qui sans les marier, bénissent leur union. Il suffira aux divorcés de suivre les mêmes filières. La brèche est en effet malheureusement ouverte, donc prions pour qu’au moins soient instituées officiellement dans chaque diocèse des commissions de discernement sur l’éventualité d’un remariage à l’église. En tant qu’humble laïque, j’aimerais que la CEF énonce des critères clairs qui permettrait l’harmonisation dans tous les diocèses. Cela dit, j’ai bien conscience que ce colmatage aura une efficacité limitée.
“Nul doute que Mgr de Germay accueillera cette orientation dans « une vraie fidélité à l’Eglise »”.
Ses prêtres ne sont pas plus orthodoxes que la moyenne des prêtres continentaux. Y a-t-il trouvé à redire ? Poser la question, c’est déjà y répondre. En pratique, rien n’a changé depuis son arrivée, mis à part le style et les déclarations de l’évêque, ce qui n’engage pas à grand chose.
Et si l’on considère que ce sont in fine les prêtres qui “accueillent l’orientation”, on ne sera pas surpris du résultat. D’autant que les pratiques désormais encouragées (bien que l’on s’en défende) sous couvert de pastorale et de miséricorde / anti-pharisaïsme sont courantes ici comme ailleurs depuis un certain temps déjà …
« 14. Toutes les routes de l’Église conduisent à l’homme
L’homme, dans la pleine vérité de son existence, de son être personnel et en même temps de son être communautaire et social _ dans le cercle de sa famille, à l’intérieur de sociétés et de contextes très divers, dans le cadre de sa nation ou de son peuple (et peut-être plus encore de son clan ou de sa tribu), même dans le cadre de toute l’humanité _, cet homme est la première route que l’Eglise doit parcourir en accomplissant sa mission: il est la première route et la route fondamentale de l’Eglise, route tracée par le Christ lui-même, route qui, de façon immuable, passe par le mystère de l’Incarnation et de la Rédemption.
«C’est en l’homme lui-même que de nombreux éléments se combattent. D’une part, comme créature, il fait l’expérience de ses multiples limites; d’autre part, il se sent illimité dans ses désirs et appelé à une vie supérieure. Sollicité de tant de façons, il est sans cesse contraint de choisir et de renoncer. Pire: faible et pécheur, il accomplit souvent ce qu’il ne veut pas et n’accomplit point ce qu’il voudrait. En somme, c’est en lui-même qu’il souffre division, et c’est de là que naissent au sein de la société tant et de si grandes discordes» 95.
Cet homme est la route de l’Eglise, route qui se déploie, d’une certaine façon, à la base de toutes les routes que l’Eglise doit emprunter, parce que l’homme _ tout homme sans aucune exception _ a été racheté par le Christ, parce que le Christ est en quelque sorte uni à l’homme, à chaque homme sans aucune exception, même si ce dernier n’en est pas conscient: «Le Christ, mort et ressuscité pour tous, offre à l’homme» _ à tout homme et à tous les hommes _ «… lumière et forces pour lui permettre de répondre à sa très haute vocation» 96.” (Redemptor hominis – Jean-Paul II – 4 mars 1979)
Certes, la ”règle n’est pas le but en soi”, mais elle nous permet de vivre ensemble en bonne intelligence, sinon c’est chacun qui aura sa propre règle qui risquerait de rendre la vie invivable et le monde inhabitable: c’est toujours les plus faibles qui en paient les pots cassés; il faudra protéger les plus faibles, ceux qui ne peuvent pas se défendre par eux-mêmes et qui comptent sur le respect de la règne commune… D’où la cohérence exigée de tous entre la conscience (le fort intérieur) et la loi positive (extérieure). Par exemple, je brûle le feu rouge parce que j’ai suivi ma conscience, donc je ne tiens pas compte des autres citoyens vivant avec moi dans la société. Autrement dit, je ne respecte aucune règne édictée par la Société…Nous savons que l’Evangile est tout, mais il est vécu par les hommes ayant les mêmes besoins, les mêmes désirs, les mêmes peines et les mêmes joies, parfois leurs idées s’opposent et s’entrechoquent; c’est pourquoi il faudra une règle commune pour vivre en bonne entente dans la société, sinon c’est la jungle où règne l’arbitraire et la loi du plus fort. C’est pourquoi il est obligatoire d’étudier le droit et la morale si l’on veut être prêtre…C’est un cours qui est dispensé en première année de Master, mais cela dépend d’une école à l’autre…
Lu sur le salon Beige :
Si le pape ne répète pas noir sur blanc l’enseignement de l’Eglise, il n’en reste pas moins que la question a été tranchée, par Pierre, avec les documents Familiaris Consortio ou Ecclesia de Eucharistia :
“36. La communion invisible, tout en étant par nature toujours en croissance, suppose la vie de la grâce, par laquelle nous sommes rendus « participants de la nature divine » (2 P 1, 4), et la pratique des vertus de foi, d’espérance et de charité. En effet, c’est seulement ainsi que s’établit une vraie communion avec le Père, le Fils et le Saint-Esprit. La foi ne suffit pas; il convient aussi de persévérer dans la grâce sanctifiante et dans la charité, en demeurant au sein de l’Église « de corps » et « de cœur »; il faut donc, pour le dire avec les paroles de saint Paul, « la foi opérant par la charité » (Ga 5, 6).
Le respect de la totalité des liens invisibles est un devoir moral strict pour le chrétien qui veut participer pleinement à l’Eucharistie en communiant au corps et au sang du Christ. Le même Apôtre rappelle ce devoir au fidèle par l’avertissement: « Que chacun, donc, s’éprouve soi-même, et qu’ainsi il mange de ce pain et boive de cette coupe » (1 Co 11, 28). Avec toute la force de son éloquence, saint Jean Chrysostome exhortait les fidèles: « Moi aussi, j’élève la voix, je supplie, je prie et je vous supplie de ne pas vous approcher de cette table sainte avec une conscience souillée et corrompue. Une telle attitude en effet ne s’appellera jamais communion, même si nous recevions mille fois le corps du Seigneur, mais plutôt condamnation, tourment et accroissement des châtiments ».
Dans cette même perspective, le Catéchisme de l’Église catholique établit à juste titre: « Celui qui est conscient d’un péché grave doit recevoir le sacrement de la Réconciliation avant d’accéder à la communion ». Je désire donc redire que demeure et demeurera toujours valable dans l’Église la norme par laquelle le Concile de Trente a appliqué concrètement la sévère admonition de l’Apôtre Paul, en affirmant que, pour une digne réception de l’Eucharistie, « si quelqu’un est conscient d’être en état de péché mortel, il doit, auparavant, confesser ses péchés ».
37. L’Eucharistie et la Pénitence sont deux sacrements intimement liés. Si l’Eucharistie rend présent le Sacrifice rédempteur de la Croix, le perpétuant sacramentellement, cela signifie que, de ce Sacrement, découle une exigence continuelle de conversion, de réponse personnelle à l’exhortation adressée par saint Paul aux chrétiens de Corinthe: « Au nom du Christ, nous vous le demandons: laissez-vous réconcilier avec Dieu » (2 Co 5, 20). Si le chrétien a sur la conscience le poids d’un péché grave, l’itinéraire de pénitence, à travers le sacrement de la Réconciliation, devient le passage obligé pour accéder à la pleine participation au Sacrifice eucharistique.
Évidemment, le jugement sur l’état de grâce appartient au seul intéressé, puisqu’il s’agit d’un jugement de conscience. Toutefois, en cas de comportement extérieur gravement, manifestement et durablement contraire à la norme morale, l’Église, dans son souci pastoral du bon ordre communautaire et par respect pour le Sacrement, ne peut pas ne pas se sentir concernée. Cette situation de contradiction morale manifeste est traitée par la norme du Code de Droit canonique sur la non-admission à la communion eucharistique de ceux qui « persistent avec obstination dans un péché grave et manifeste ».”