Nous remercions Jeanne Smits pour sa traduction intégrale des observations du cardinal Burke sur Amoris laetitia parues dans le National Catholic Register. La réflexion du cardinal est fine et prudente. Le cardinal analyse en quoi cette exhortation apostolique n’est pas magistérielle, en s’appuyant aussi bien sur les formulations du texte (le cardinal souligne le ton très personnel employé par le pape François) que sur son contenu qui confirme justement ce caractère personnel – “la nature personnelle, c’est-à-dire non magistérielle, du document est également évidente à travers le fait que les références citées sont principalement le rapport final de la session 2015 du synode des évêques, et les allocutions et les homélies du pape François lui-même”. Ces réflexions apporteront un peu de sérénité et constitueront certainement une pierre à l’édifice du débat sur la nature d’Amoris laetitia.
La seule clef d’interprétation correcte d’Amoris laetitia est l’enseignement constant de l’Église, et sa discipline qui conserve et promeut cet enseignement. Le pape François dit très clairement, d’emblée, que l’exhortation apostolique post-synodale n’est pas un acte du magistère (No 3). La forme même du document le confirme. Il est écrit comme une réflexion du Saint-Père sur les travaux des deux dernières sessions du Synode des évêques. Par exemple, au chapitre 8, que certains voudraient interpréter comme étant la proposition d’une nouvelle discipline avec des répercussions évidentes sur la doctrine de l’Église, le pape François, citant son exhortation post-synodaleEvangelii Gaudium, déclare :
« Je comprends ceux qui préfèrent une pastorale plus rigide qui ne prête à aucune confusion. Mais je crois sincèrement que Jésus Christ veut une Église attentive au bien que l’Esprit répand au milieu de la fragilité : une Mère qui, en même temps qu’elle exprime clairement son enseignement objectif, « ne renonce pas au bien possible, même [si elle] court le risque de se salir avec la boue de la route » (No 308).
De ce paragraphe 308, au ton très personnel, le cardinal Burke en tire une première conclusion:
En d’autres termes de Saint-Père propose ce qu’il pense personnellement être la volonté du Christ pour son Eglise, mais il n’a pas l’intention d’imposer son point de vue, ni de condamner ceux qui mettent l’accent sur ce qu’il appelle « une pastorale plus rigide ».
Mais cette absence de nature magistérielle apparaît aussi dans un autre aspect qui a trait au contenu de l’exhortation: en effet, le document utilise beaucoup de références liées au rapport final de la session 2015 du synode des évêques, aux allocutions et aux homélies du pape François. Du fait de l’absence de lien avec d’autres sources (le magistère précédent, les Pères de l’Église et d’autres auteurs confirmés), on peut clairement affirmer qu’il n’y a pas de volonté d’enseigner; a contrario, si cela avait été le cas, le texte aurait pris la précaution de s’appuyer sur les textes précédents et de les développer pour en tirer des enseignements. Le pape François n’a clairement pas employé la voie magistérielle. L’infaillibilité de l’Église est aussi liée à sa volonté d’enseigner. Mais si cette volonté est délibérément absente, la question de l’infaillibilité ne se pose pas. Les remarques du cardinal Burke pourraient être utilisées pour des réflexions ultérieures.
La nature personnelle, c’est-à-dire non magistérielle, du document est également évidente à travers le fait que les références citées sont principalement le rapport final de la session 2015 du synode des évêques, et les allocutions et les homélies du pape François lui-même. Il n’y a pas d’effort systématique en vue de mettre en relation le texte, en général, ou ces citations, avec le magistère, les Pères de l’Église et d’autres auteurs confirmés.
Bien plus, comme noté ci-dessus, un document qui est le fruit du synode des évêques doit toujours être lu à la lumière de l’objectif du synode de lui-même, à savoir, de conserver et de promouvoir ce que l’Église a toujours enseigné et pratiquer en accord avec son enseignement.
En d’autres termes une exhortation apostolique post-synodale, de par sa nature même, ne propose pas une nouvelle doctrine et une nouvelle discipline mais applique la doctrine et la discipline pérenne à la situation du monde à un moment donné.
Comment donc faut-il recevoir le document ? Avant tout, il doit être reçu avec le profond respect dû Pontife romain en tant que Vicaire du Christ, ainsi que le définit le Concile oecuménique Vatican II : « le principe perpétuel et visible et le fondement de l’unité qui lie entre eux soit les évêques, soit la multitude des fidèles » (Lumen Gentium, 23). Certains commentateurs font la confusion entre ce respect et une obligation supposée de devoir « croire de foi divine et catholique » (canon 750 § 1) tout ce que contient le document. Mais l’Église catholique, tout en insistant sur le respect dû à l’office pétrinien institué par Notre Seigneur lui-même, n’a jamais tenu que chaque déclaration du successeur de Saint-Pierre doive être reçue comme faisant partie de son magistère infaillible.
Tout au long de son histoire, l’Eglise a été très sensible à cette tendance erronée à interpréter chaque parole du pape comme liant la conscience, ce qui est évidemment absurde. Selon la définition traditionnelle, le pape a deux corps, le corps qui est le sien en tant que membre individuel des fidèles, et qui est sujet à la mortalité, et le corps qui est le sien en tant que Vicaire du Christ sur terre qui, selon la promesse de notre Seigneur, perdure jusqu’à son retour dans la gloire. Le premier corps est son corps mortel, le deuxième corps est l’institution divine de l’office de saint Pierre et de ses successeurs.
Les rites liturgiques et la vêture qui entourent la papauté soulignent la distinction, de telle sorte qu’une réflexion personnelle du pape, quoiqu’on la reçoive avec le respect dû à sa fonction à sa personne, ne soit pas confondue avec la foi contraignante attachée à l’exercice du magistère. Dans l’exercice du magistère le Pontife romain en tant que Vicaire du Christ agit dans une communion ininterrompue avec ses prédécesseurs, en commençant par saint Pierre.
Les observations du cardinal Burke pourraient constituer un modus operandi pour une approche prudente et franche d’Amoris laetitia.
Le problème, ce sont tous ces pasteurs qui bénissent déjà les re-mariages dans leurs églises et qui distribuent la Ste Communion sans aucune condition.
Cette exhortation risque de les conforter dans leurs pratiques douteuses. `
Oui, mais en même temps, même s’ils elles n’ont pas une valeur magistérielle, les orientations proposées dans l’exhortation apostolique sont profondément erronées, en fait hérétiques. Les deux choses sont d’ailleurs liées: étant erronées, les orientations de l’exhortation ne peuvent évidemment pas avoir valeur magistérielle, sinon, cela poserait un problème de foi, puisqu’il y aurait contradiction entre la vérité et le dogme de l’infaillibilité, ce qui est impossible.
Dieu merci, donc, l’exhortation apostolique ne nous pose pas un problème de foi, et de ce point de vue, l’observation du cardinal Burke est très importante en effet à considérer.
Pour autant, on ne peut pas en rester là, car les idées présentées donc à titre personnel par le pape étant radicalement fausses, en s’opposant notamment complètement aux enseignements de Saint-Jean-Paul II et à la vérité du Christ lui-même (ce qui peut être démontré de manière incontestable, mais ceci doit bien sûr faire l’objet d’une analyse en propre), va entrainer des dégâts considérables dans l’Eglise, et difficilement réversibles une fois que le pli sera pris, notamment dans de nombreux diocèses et dans de nombreuses paroisses, de délivrer l’absolution et la communion, dans certains cas seulement certes mais dans ces cas bien réellement, à des personnes vivant en situation adultère et s’apprêtant à y demeurer. Il sera bien difficile au pape suivant de revenir en arrière.
Comment ne pas relever l’aberration et le caractère gravissime de la situation où nous nous trouvons ainsi?
Rien que dans le fait qu’un pape s’exprime dans une exhortation apostolique sans s’imposer la discipline, ce que signale à fort juste titre, de relier systématiquement ce qu’il dit au magistère de l’Eglise, à l’enseignement des pères, à l’Evangile lui-même, est totalement inédit et profondément anormal. Cela n’a jusqu’ici jamais eu lieu dans toute l’histoire de l’Eglise. Et c’est d’une imprudence coupable, car en s’imposant cette discipline, les papes s’assuraient d’éviter les erreurs. En s’exonérant de cette discipline, la pape perd la sécurité qui s’y attache et arrive ce qui est arrivé: il se trompe, et entre dans l’hérésie (encore une fois, ce n’est pas le lieu de démonter ici que c’est le cas, mais nous le ferons, ainsi que beaucoup d’autres espérons-le).
La situation est d’une gravité inouïe, au sens propre du terme, c’est à dire au sens où cela ne s’est jamais vu dans toute l’histoire de L’Eglise: voilà qu’un pape énonce des idées en contradiction radicale avec la Tradition et avec l’enseignement de Jésus lui–même, en particulier sur les commandements, qui ont, comme l’a si magnifiquement rappelé Saint-Jean-Paul II dans Veritatis splendor, une valeur universelle et objective, déniée, à titre personnel certes mais de fait, par le pape François.
C’est la première fois que cela arrive dans toute l’histoire de L’Eglise. Certes des papes à certains moments de cette histoire, ont été tentés par des options hérétiques, mais jamais, à notre connaissance, ils n’ont été jusqu’au bout.
Comment le Cardinal Burke, pour qui nous avons un très grand respect, ne voit-il pas cela? Certes, on comprend qu’il soit enclin à un respect du devoir d’obéissance au pape. Mais ne sommes-nous pas dans une situation inédite depuis le début de l’histoire de l’Eglise, qui appelle une attitude inédite aussi par rapport à la question du devoir de soumission. D’autant que rien n’empêche de maintenir un respect vis-à-vis de la personne du pape, respect dont il ne faut évidemment jamais se départir, tout en dénonçant avec une parfaite clarté et une parfaite fermeté les, erreurs gravissimes présentes dans les propos personnels du pape.
Il nous semble vraiment qu’il est impossible de demeurer fidèle au Seigneur sans dénoncer les erreurs en cause. On ne peut , sans dire un mot ,deux mille ans après que le Christ se soit fait arracher sa tunique, laisser aujourd’hui arracher sa parole.
Ce que nous demandons avec un très grand respect et une très grande ferveur, c’est au moins de redire aujourd’hui, après donc la publication de l’exhortation, ce que vous avez dit avant, et notamment le rappel que vous avez fait dans votre livre d’entretien publié chez Arpège en septembre dernier, de l’enseignement de Jean-Paul II à propos du mariage et de la discipline des sacrements , en disant :”Il est impossible de dire autre chose que ce que Jean-Paul II a dit”. Sinon, !e pape François professant aujourd’hui le contraire, on est fondé à penser que vous avez été impressionné par le point de vue personnel exprimé par la Pontife romain et que votre opinion a évolué. il me semble que l’opinion des fidèles doit être éclairée par une expression nouvelle de votre opinion montrant qu’elle n’a pas changé et que votre avis diverge de celui du Pontife romain. Il me semble que la fidélité au Seigneur l’appelle absolument.
Une exhortation est … une exhortation ! C’est à dire une prédication par laquelle le pasteur indique aux fidèles le moyen de faire la volonté de Dieu. Une exhortation post-synodale est de plus le fruit d’un travail en Eglise. La casuistique du cardinal Burke me semble dérisoire.
“Une exhortation est … une exhortation !”
Une exhortation n’est … qu’une exhortation ! Ce n’est pas l’énoncé d’un dogme surtout si elle ne se présente pas comme l’énoncé d’un enseignement contraignant de l’Église !
La casuistique de Rascol me semble dérisoire ! ! !
Je suis complètement d’accord avec Damien, qui dit en fait exactement , de manière concrète, la même chose que moi, à savoir que l’exhortation, vues les erreurs qu’elle contient, va entrainer, si on ne réagit pas très vite et très fort pour la contrer, un dégât énorme..
Je suis également d’accord avec Rascol sur un aspect et en désaccord avec lui sur un autre.
Mon accord avec lui est sur le fait que la casuistique du cardinal Burke est dérisoire. Je dirais même qu’elle est absurde . Elle apparait d’ailleurs plus absurde encore si on lit en entier son texte, (voir le salon beige qui l’a publié en entier, malheureusement sans ouvrir aux commentaires comme le fait là riposte et nous l’en remercions beaucoup car ce débat est fondamental) , où l’ on voit que l’exhortation est à lire à la lumière du Magistère et du catéchisme: ok ,mais si le texte du pape dit exactement le contraire de ce que dit le catéchisme, on fait quoi? On est , à vouloir ignorer cela, dans le non sens absolu, dans le rabbinisme le plus débridé. Tout cela n’est pas sérieux. Le pape et les cardinaux se moquent de nous, comme ils se moquent , en réalité, du Christ .
Mais ceci m’amène à mon point de désaccord avec Rascol, c’est que je suis pour ma part, en tant que catholique, d’accord totalement avec le catéchisme et donc en désaccord profond avec le point de vue exprimé par le pape qui, scandale profond pour un pape, est contraire au catéchisme. Or, je crois comprendre que Rascol est, lui, d’accord avec le point de vue du pape…
Un grand merci à Riposte de permettre l’échange sur ce sujet. C’est fondamental. Il faut aller jusqu’au bout du débat. L’enjeu est énorme. C’est la première fois dans toute l’histoire de l’Eglise qu’un pape prend des positions radicalement opposées à l’enseignement du Christ retransmis depuis toujours par l’Eglise, et récemment rappelé en toute clarté par Saint Jean-Paul II dans Familiaris consortio et dans Veritatis splendor. C’est la première fois que cela se produit depuis 2000 ans, car certes il y a eu parfois des papes qui ont été tentés par des hérésies mais là le pape va jusqu’au bout en concluant en faveur de l’erreur, même s’il dit ne pas engager (encore heureux!!!) son infaillibilité.
. L’Eglise dévisse comme elle ne l’ a jamais fait. La foi nous enseigne que cela n’aura qu’un temps et que les forces de l’enfer ne prévaudront pas contre elle, mais cela ne doit pas nous empêcher de nous lever sans attendre pour contribuer à tirer la sonnette d’alarme. Une grande voix va-t-elle enfin se lever pour dénoncer la situation inacceptable, méprisable, indigne, dans laquelle nous nous trouvons???
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@Justin
Les actes du pape ne sont pas toujours infaillibles. Le pape peut se tromper. Cette exhortation est scandaleuse. Elle s’attaque à la loi de Dieu.
Le phénomène va être le même que la communion dans la main. On tolère des exceptions (qui ne devraient pas être tolérés), et petit à petit ça va se généraliser. C’est gravissime!
Le pape ne serait donc qu’un “suggérant” ?
En fait, ça veut dire aux évêques et aux prêtres “faites tout ce que vous voulez”, vous êtes couverts par une carte blanche, c’est le cas de le dire.
Ca peut transformer l’Eglise en multitudes de sectes locales indépendantes et divisées, dans le cas où cette méthode de “gouverner” se reproduise encore à l’avenir.
J’y vois là un autre grand danger pour l’unité de l’Eglise, son maintien dans le monde.