L’homme du XXIe siècle semble avoir deux visages, deux peaux même. Une peau en lambeaux, déchiquetée par les conséquences de la crise financière, lacérée par une véritable culture de mort qui en fait un fauve hagard et blessé. Un homme qui ne ressemble plus guère à un homme, tête baissée vers cette terre qui l’aspire, épaules fourbues sous le fardeau de l’errance qui l’accable. Un homme traqué, en quête d’un pré d’herbe fraîche où se reposer, d’un ruisseau où refaire ses forces.
Et pourtant, sous cette carcasse éprouvée, que de signes d’espérance ! Accablé par la crise financière ou morale, prisonnier de ses chaînes que le vieil homme ne cesse de resserrer de jour en jour, l’homme le plus défiguré reste capable de vibrer et de témoigner de la lumière qui l’habite au plus profond de lui-même. Face au déferlement actuel qui oppresse, menace la dignité de l’homme, le réduit bien souvent à poser tant d’actes « inhumains », percent de puissants signes de sa dignité. Qu’il se rebelle contre l’injustice, qu’il refuse le politiquement correct, nous trouvons, toujours dans notre presse quotidienne, maints signes de cette humanité profondément ancrée en chaque homme. Ces signes, parfois isolés, souvent épars, n’en sont pas moins, comme des traits de lumière et d’espérance qu’il nous faut accompagner. Car là est bien le problème. Face au rouleau compresseur du politiquement correct, ces manifestations de la grandeur de l’homme font souvent l’effet d’une simple fusée de détresse lancée dans la nuit épaisse et le brouillard entretenu savamment par quelques groupes puissants ou simplement bruyants. La question du “mariage homosexuel” est assez révélatrice. Celle du gender tout autant. Nos contemporains sentent bien que quelque chose ne va pas. Mais dans l’ambiance relativiste moderne comment peuvent-ils se positionner?
Le fondement de toute réflexion est là. Il faut rendre l’homme à l’homme. Toutes les propositions électorales, toutes les réformes que peuvent souhaiter les chrétiens se résument à cela. Restaurer la dignité de l’homme. Tel est le crible ultime et unique auquel le chrétien passera tout programme électoral. C’est la clef de lecture qui inclut la finalité propre de l’Homme, la béatitude Aucun chrétien ne pourra jamais être séduit par d’autres critères sans renier le Christ.
Or le problème fondamental de l’homme d’aujourd’hui est d’avoir perdu son identité. Ne sachant plus qui il est, il ne sait plus ce qu’il lui faut et court, hagard, à la recherche d’un bonheur dont il ne connaît pas le contenu. Deux points déshumanisent particulièrement l’homme d’aujourd’hui : la course à l’avoir et son corollaire inévitable, l’individualisme. Toute mesure politique restera, à moyen comme à long terme, stérile si elle ne prend pas en compte ces deux points.
Comment expliquer cela ? L’homme est fondamentalement fait pour être heureux. La perspective de la souffrance le plonge dans une telle angoisse qu’il fait tout pour fuir la douleur. Lorsque l’homme n’est pas heureux, c’est qu’il lui manque l’objet de son bonheur. C’est ce manque qui le fait souffrir et qu’il va donc chercher à combler par des palliatifs. Aussi, l’homme qui est détourné de lui-même, qui ne peut jamais jouir de ce pour quoi il est fait, sera irrésistiblement attiré par les produits de compensation. Au lieu d’être, il cherchera à avoir. Et cet avoir, il va chercher à le défendre. Et ainsi nous basculons dans le matérialisme (combler par l’avoir un besoin spirituel) et l’individualisme (car l’avoir ne se partage pas sans le perdre). Or l’individualisme éloigne d’autant plus l’homme de ce qu’il est, puisque l’homme est fondamentalement un être qui se trouve dans la relation aux autres, dans l’amour, c’est-à-dire le don de soi.
Maintenir l’homme dans un rapport faux avec sa vérité propre est un formidable dopant pour le consumérisme. C’est une spirale infernale, car le matérialisme offre des produits périssables, des plaisirs temporaires et éphémères qu’il faut sans cesse renouveler. Favoriser l’isolement, en brisant les structures traditionnelles, en entretenant le mal-être qui replie sur soi, entretient admirablement le système économique et financier actuel qui repose sur l’accroissement de la consommation et le renouvellement des produits de seconde nécessité. Ainsi, pour avoir les moyens de s’offrir du secondaire compensatoire, on n’hésite pas à acheter une nourriture de moins bonne qualité.
Sauver l’économie et le système financier dans sa forme actuelle équivaut à avilir l’homme encore davantage en le rendant toujours plus dépendant. Même si c’est long et douloureux, voire même dangereux, il ne faut pas vouloir sauver l’économie, mais l’homme, car c’est bien cela qui sauvera l’économie.
Comment envisager la chose ? En premier lieu, promouvoir une nouvelle image de l’homme, plus vraie, plus conforme à sa réalité, c’est-à-dire non déconnectée de la nature dans laquelle il s’insère. Pour cela, il faut replacer la science à sa place de servante de la dignité de l’homme. La science n’est pas là pour créer un homme artificiel. Cette promotion passe par l’éducation, mais aussi par les lois générales. L’avortement, comme l’euthanasie ou l’eugénisme, contribuent à faire de l’homme un être non soumis aux lois naturelles, un être déconnecté du réel et aseptisé. Il faut au contraire encourager la place et le rôle de la famille dans la promotion de la personne humaine, en opposition à l’individualisme et à l’égoïsme, par la restauration des solidarités traditionnelles, mais aussi de la stabilité.
Pour s’épanouir, l’homme a besoin de stabilité. La sérénité exige la stabilité. Lorsqu’on est dans la crainte du lendemain, l’incertitude de l’avenir, instinctivement on se replie sur soi. Lorsqu’on est seul, isolé, on n’est peu enclin à l’ouverture gratuite. On est plus souvent captateur. La famille est le lieu de la stabilité et du soutien traditionnel. Promouvoir la famille est l’atout le plus sûr. Promouvoir, renforcer, défendre la famille, c’est lutter contre l’isolement et l’individualisme ; c’est laisser aux proches le soin d’accompagner celui qui est plus faible, avec des coûts moindres et une humanité plus grande. On objectera que cette charge est trop lourde pour les familles. Il faut ici faire la part de l’égoïsme qui refuse de prendre en charge ceux qui sont proches, et la part de ce qui est effectivement insupportable par des particuliers. Mais l’État, en garantissant les conditions nécessaires à l’aide de ceux qui veulent prendre leur rôle au sérieux, peut puissamment œuvrer au retour de cette solidarité du quotidien, si importante pour le rétablissement du lien social dans la Cité, sans justement faire à leur place.
Mais il faut au préalable fortifier les familles. Il y a des valeurs qui ont été trop méprisées depuis un siècle. La fidélité est de celle-là. Mais la fidélité est une vertu qui demande un effort de volonté colossal. On ne stabilisera pas la famille sans éduquer les jeunes au sens de l’effort. Tout ce qui favorise cela doit être mis en œuvre, à commencer par une remise à plat des politiques d’assistanat. Mais ne nous y trompons pas, on triomphe par la volonté, si le désir d’avancer est fort. Il y a une carence fondamentale dans la société d’aujourd’hui. Carence qui explique et qui s’explique par la perte d’identification du bonheur de l’homme. Si l’homme ne sait pas où est son bonheur, il ne se donnera pas les moyens de l’atteindre. Comme tout enfant, l’homme naît avec ce désir d’être heureux, mais il n’a pas, de façon innée, les dispositions vertueuses pour y parvenir. Même l’athlète le mieux disposé doit s’entraîner pour remporter la victoire. C’est bien aux familles et à l’éducation de former les jeunes au combat de la vie. La déficience incontestable de l’Éducation Nationale à ce niveau a des conséquences humaines, sociales et financières terrifiantes, puisque ces jeunes incapables de se gouverner, de se prendre en main, de s’orienter, doivent être pris en charge par d’autres services de l’État (psychologues, Pôle emploi, prisons…).
De même, l’économie doit contribuer au développement de l’homme en étant un service qui lui procure son nécessaire et non un concurrent qui s’impose à lui en lui créant des besoins inutiles. Il faut revenir à l’économie réelle, ce qui évitera certaines surproductions ou certains sous emplois. Travailler doit être considéré comme un service pour le Bien Commun, pour le développement des autres. Utopiste? Que dire alors de ceux qui trouvent leur joie dans le travail bien fait et la satisfaction du client ? Voilà encore un lieu où promouvoir l’altruisme.
C’est dans cette optique que les chrétiens promeuvent la défense de la vie sous toute ses formes, la famille et le mariage entre un homme et une femme, la dignité de la personne humaine, la liberté de conscience, une économie raisonnée et juste, des marchés régulés (et non contrôlés ou soumis) par le politique, garant du Bien Commun. Dans cette ligne les chrétiens sont attentifs à une écologie responsable dont l’homme est le sommet et le gardien.
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