Mai 68 nous a plongés pendant des années, et pour longtemps encore, dans un marasme humain et égoïste qui n’en finit pas de mourir. L’agonie de ce mois de mai 68 est d’autant plus longue qu’aujourd’hui les dirigeants de tous ordres sont les manifestants d’hier. Cette classe d’âge actuellement aux commandes maintient en vie, parfois même sans le vouloir, un moribond honteux et obsolète. L’ombre tétanisante de ce moribond influe encore sur le monde actuel et particulièrement en France, pays conservateur s’il en est. Il faut dire que surfer sur la vague soixante-huitarde est facile, surtout quand on manque d’idée et de courage, ce qui semble malheureusement être le cas tant de nos dirigeants politiques que de la plupart des acteurs économiques.
Cette vague, souvenons-nous, combine deux voies pour une même pente. Il est interdit d’interdire ! La fin de l’autoritarisme, la fin de l’obéissance, finalement la fin d’un mode de vie en collectivité, ont conduit de plus en plus à un individualisme exclusif refusant non seulement toute forme d’autorité, mais aussi de dépendance et d’enseignement. De proche en proche, la libération, « acquis de 68 », conduit l’individu au paroxysme de lui-même, jusqu’au scepticisme intégral, dans un cercle vicieux qui, loin de le libérer, l’enferme. Doutant de toute forme d’institution, obnubilé par la peur d’entrer dans un système et de « renoncer à son originalité », l’individu s’est enfermé en lui-même, devenant sa seule certitude. Par cette première voie, l’individu s’éloigne de ce qui le constitue, la personne humaine.
Car l’homme est plus qu’un individu, il est un homme en relation, c’est-à-dire une personne insérée dans un espace vital géographique, humain et social. Depuis maintenant cinquante ans, en refusant d’être une personne, l’individu tente de nier, voire de détruire, les structures de cet espace vital élémentaire pour limiter tout risque de voir ce qu’il considère être sa liberté limitée, ou simplement entravée. D’où l’émergence d’un concept biaisé : la tolérance qui n’est qu’une autre façon de dire « je vous laisse en paix, alors faites de même ». De là un drame existentiel inévitable. L’homme, par nature, mais aussi par le fait même de son environnement, ne peut vivre seul. Il lui faut donc fixer des règles élémentaires de vie commune. Tout colocataire sait combien le non respect de ce minimum devient rapidement invivable. Alors comment faire pour combiner la nécessité de règles et le refus d’être entravé ? C’est le problème de fond de toute la société actuellement. Les individus demandent toujours plus à la société, mais ne veulent pas être concernés, comme si la société était une entreprise privée, proposant des services gratuits.
Complétant cette première voie, le monde de l’économie est venu tout naturellement exacerber cette tendance individualiste en en faisant le moteur de son dynamisme. La consommation et la satisfaction de ses désirs immédiats par des biens non durables, et surtout démodables, ont poussé les entreprises à jouer sur les sentiments, l’indépendance, l’individualisme, le consumérisme, jusqu’à dépersonnaliser la production et la consommation, et la déresponsabiliser. Flatter l’ego, exacerber le désir et le droit à sa satisfaction a, de tout temps, été le moyen facile de parvenir à ses fins, qu’elles soient économiques ou commerciales. Pourquoi changer une démarche si facile et fructueuse ?
Mais un tel système est par nature sclérosant puisqu’il tourne sur lui-même et enferme l’individu en lui-même. Il n’est pas étonnant que le mal être ambiant nourrisse une morosité qui fait son creuset du manque d’espérance, d’optimisme et d’avenir. Nous voyons de plus en plus les limites de cette double voie. La planète est malade ; la nature se révolte ou s’essouffle ; l’équilibre vital du bien commun, de l’héritage reçu et à transmettre, est rompu ; le système économique lui-même donne de gros signes de faiblesse ; et l’insécurité, témoin du mal-être, gagne à nouveau du terrain.
La bouffée d’air est à lire au-delà des gros titres sempiternellement moroses. Depuis quelques années, et de façon exponentielle, maintes initiatives voient le jour pour tenter de redresser la barre. Mais toutes reposent sur un élément incontournable : la lutte contre l’individualisme. Mais les forces d’inerties sont nombreuses. Le manque de courage des dirigeants politiques et syndicaux, le manque d’innovation des partenaires économiques, la vénalité humaine qui aspire à la satisfaction de ses désirs s’ajoutent au monopole de la nomenclature soixante-huitarde. Tous ces éléments, et bien d’autres forces d’inertie propres à chaque individu, ralentissent et entravent ces nombreuses et courageuses initiatives.
Peut-être que chacun à notre place, dirigeants, simples consommateurs, père et mère de famille, éducateurs, usagers des institutions, tous à notre niveau, nous serions bien inspirés de jeter un regard interrogateur sur notre mode d’être en société. La consommation responsable n’est pas réservée à une élite intellectuelle. Ma consommation respecte-t-elle la nature, les droits de l’homme, la dignité humaine ? Mon exemple construit-il ceux dont j’ai la charge ou qui m’entourent ? En d’autres termes, sommes-nous des êtres humains responsables, libres et intègres ? Avant de condamner le monde et ses agissements, peut-être pourrions-nous commencer par ne plus en être complices, ne fût-ce que par passivité. A nous de vivre dès aujourd’hui, cette vraie liberté en ne nous laissant pas enfermer par l’individualisme étroit du moment et en prenant part, à notre place, et au-delà si cela nous est offert, au mouvement de responsabilisation qui naît un peu partout et dans de nombreux domaines. Changer le monde pour le rendre plus humain, plus digne, plus heureux, c’est d’abord accepter de se mettre soi-même en route. Nous ne grandirons notre prochain qu’à hauteur de ce que nous aurons nous-même grandi.
Cyril Brun
je ne sais pas ce que faisait Cyril Brun en mai 1968; quant à moi, j’étais étudiant, membre du bureau d’une corpo FNEF, et la première chose que j’ai remarquée a été la rupture entre le monde étudiant et le communisme; je pouvais me promener sans risque dans la faculté de lettres, salué par des “salut, camarade facho” alors que les gens connus comme communistes ne pouvaient pas y mettre les pieds
le comble a été atteint pour les élections aux tout nouveaux conseils d’UER; à la faculté de lettres, il s’est présenté une liste unique “étudiants communistes” et “étudiants catholiques”; dès le matin du premier jour, toutes les religieuses inscrites à la fac sont venues voter, et immédia
tement après leur passage, on a vu au dessus de la porte une banderole qui disait : “camarades, faites comme les bonnes sœurs, venez voter communiste”
cette rupture s’est confirmée quelques mois plus tard : il y a eu pendant les vacances de février un festival de cinéma soviétique organisé par le CRDP; une délégation soviétique présidée par le vice-ministre du cinéma est venue à cette occasion; ils furent fort mal traités, à tel point que le vice-ministre se fit porter malade
ces étudiants ne pouvaient malheureusement s’exprimer que dans le langage que leurs professeurs leur avaient appris, celui des communistes, mais leurs réactions pendant cette période montraient à quel point ils y étaient allergiques
plutôt que de déplorer l”esprit de mai 1968″, il aurait peut-être plus utile de leur apprendre qu’il existait un autre langage
Il est toujours intéressant de lire une défense et illustration du totalitarisme. Surtout à cause des arguments employés. Une première lecture pourrait laisser croire qu’il s’agit de bon sens. Mais est-ce bel et bien du bon sens ? N’est-ce pas davantage l’habituelle soupe des contempteurs maladifs d’un Mai 68 qu’ils sont les seuls encore à considérer comme l’origine des désordres du monde et de la France en particulier ? La pétition de principe “La France est un pays très conservateur” tient vraiment de l’axiome indémontrable ! C’est plutôt la myopie d’un petit groupe qui rêve d’une France des clochers et des villages qui n’a rien de chrétien mais beaucoup de Pétain ! C’est tristement une reprise pour le 21ème siècle des rengaines des années de l’entre-deux guerres qui ont donné le résultat que l’on connaît.
Que l’individualisme doive être critiqué, oui ; que la course au profit soit une folie, oui mais cela ne doit pas nous conduire à rêver un bon vieux temps ou un âge d’or qui n’ont jamais existé ! L’âge d’or commence aujourd’hui !
Je partage le constat, maintenant je ne suis pas sûr que Mai 68 soit une cause, ce serait plutôt un symptôme.
La cause profonde est l’orgueil de l’homme qui, une fois dépassés ses problèmes de survie, prétend pouvoir s’élever seul, sans Dieu et surtout sans contraintes (on rejoint alors le fameux slogan “il est interdit d’interdir”).
Pour déboucher sur la promotion d’une liberté fictive, symbolisée par les pseudo valeurs républicaines ou le libéralisme économique et sociétal.
Plus de bien ni de mal à l’échelle individuelle comme collective, que la promotion d’une liberté fictive. Fausse liberté qui nous ramène plus bas que l’animal alors que Dieu nous a créé à son image, donc doué d’un esprit aspirant au bien et non pas obsédé par la recherche de la satisfaction de ses pulsions.