« Pourtant, sois indulgent pour les malheureux, ne leur fais pas attendre tes aumônes. Pour obéir au précepte, viens en aide au pauvre ; il est dans le besoin: ne le renvoie pas les mains vides. Sacrifie ton argent pour un frère et un ami, qu’il ne rouille pas en pure perte, sous une pierre. Use de tes richesses selon les préceptes du Très-Haut, cela te sera plus utile que l’or. Serre tes aumônes dans tes greniers, elles te délivreront de tout malheur. Mieux qu’un fort bouclier, mieux qu’une lourde lance, devant l’ennemi, elles combattront pour toi. Viens en aide au prochain selon ton pouvoir et prends garde de ne pas tomber toi-même. » Si, 29, 8-10
« Mon fils, ne refuse pas au pauvre sa subsistance et ne fais pas languir le miséreux. Ne fais pas souffrir celui qui a faim, n’exaspère pas l’indigent. Ne t’acharne pas sur un coeur exaspéré, ne fais pas languir après ton aumône le nécessiteux. Ne repousse pas le suppliant durement éprouvé, ne détourne pas du pauvre ton regard. Ne détourne pas tes yeux du nécessiteux, ne donne à personne l’occasion de te maudire. Si quelqu’un te maudit dans sa détresse, son Créateur exaucera son imprécation. Si quelqu’un te maudit dans sa détresse, son Créateur exaucera son imprécation. Fais-toi aimer de la communauté, devant un grand, baisse la tête. Prête l’oreille au pauvre et rends-lui son salut avec douceur. Délivre l’opprimé des mains de l’oppresseur et ne sois pas lâche en rendant la justice. Sois pour les orphelins un père et comme un mari pour leurs mères. Et tu seras comme un fils du Très-Haut qui t’aimera plus que ne fait ta mère. » Si, 4,1-10
Quel plaidoyer en faveur de l’aumône ! Sages conseils, exaltantes prescriptions que l’on croirait tout droit venir des cérémonies d’adoubements chevaleresques. Il est vrai que la notion d’aumône n’est plus tellement à l’ordre du jour. On nous parle davantage d’assistance ou de don. Les différentes catastrophes qui ont récemment endeuillées le monde ont révélé qu’aujourd’hui comme hier les hommes sont capables d’une véritable générosité lorsqu’ils sont sollicités. Leur cœur se laisse émouvoir par le malheur d’autrui et une solidarité se met assez facilement à l‘œuvre. A ces occasions malheureuses, j’oserai dire que les hommes redeviennent plus humains. La difficulté et l’épreuve semblent faire tomber les barrières de la pudeur, de l’indifférence et de l’égoïsme. Je trouve cela rassurant et porteur d’espérance. Au-delà de notre monde malade et cloisonné, le cœur de l’homme reste intact à sa racine. Mais voilà, la solidarité, comme le don, sont ponctuels et occasionnels. Même si le ponctuel est récurrent et fréquent, le don et les efforts de solidarité sont fonctions d’un besoin ou d’un sentiment. La peine ou l’émotion ressentie, l’adhésion compatissante à telle cause sont des occasions ponctuelles et choisies d’exercer sa générosité. Finalement, lorsque je ne me sens pas concerné ou ému, je ne donne pas. Peut être même, je détourne la tête de celui qui a besoin de mon argent ou de mon temps, de mon conseil.
Dans l’ordre de la générosité et du soulagement de la détresse d’autrui ces dons sont d’une importance vitale. Dans l’ordre de la vie chrétienne et de la conversion durable du monde, ils sont très insuffisants. Certes, celui qui reçoit son nécessaire ne se demandera pas si ce don est le fruit d’une émotion, ou davantage et pour lui l’essentiel vital est d’avoir son nécessaire. Mais du côté de celui qui donne qu’en est-il vraiment ?
Il y a bien des raisons d’être généreux : une adhésion à une cause, une émotion, mais aussi l’orgueil (voyez, MOI je donne). Donner peut être aussi un moyen de se débarrasser de quelqu’un ou d’un problème. Ce peut également être le moyen de se dédouaner ou de se donner bonne conscience à bon compte. Evidemment pour celui qui reçoit l’essentiel est de recevoir. Aussi, les quêteurs en tout genre vont-ils s’efforcer de faire chanter toutes les cordes pour recevoir un meilleur don.
Dans notre société affective, les annonceurs divers savent jouer sur la corde sensible, voire culpabilisante. Finalement nous appelons le don sans nous soucier ni du donneur, ni du lendemain. Et chaque association caritative de se plaindre de vivre dans l’incertitude du don, de la baisse du nombre des donateurs…
C’est le problème du don et de la solidarité tels qu’ils sont conçus aujourd’hui. Remarquez que c’est assez conforme à la société actuelle. Nous vivons dans l’impulsion du moment et “aux successeurs de gérer l’avenir !”
L’aumône est radicalement différente, car elle implique et engage celui qui donne. L’aumône est plus qu’un acte ponctuel accompli. L’aumône est une disposition habituelle au don, à la générosité, c’est la charité au sens plénier du terme. Aussi la charité pousse à être attentif aux besoins et aux carences d’autrui. Avec l’aumône de charité, je ne choisi pas à qui et quand je vais donner. Je suis prêt à donner à tout instant pour toute personne. Je ne choisi pas mes causes et lorsque je n’ai plus rien à donner, j’ai satisfait aux obligations de l’aumône.
Oui, l’aumône suppose d’abord d’aimer et de trouver sa joie dans le don. La charité ne cherche pas une récompense (fut-ce celle discrète de soulager sa propre émotion), elle cherche à faire sa joie dans la joie de l’autre. L’acte de donner n’est pas faire l’aumône. L’acte de donner n’est que la manifestation de l’aumône. Une telle attitude change radicalement la nature du don. D’abord elle le rend moins instable et aléatoire, puisque ce ne sont pas mes sentiments qui vont commander mon don, mais l’amour désintéressé de l’autre. Ensuite le don ne sera pas un simple transfert d’un bien ou d’un service d’une personne à une autre, il sera vecteur et porteur d’amour. Même si le pauvre sera déjà heureux de trouver de quoi manger, combien sera-t-il plus heureux d’y trouver chaleur, attention et considération ! Il est toujours difficile de recevoir lorsque l’on est dépendant. Et il est toujours aussi difficile de donner sans blesser. Recevoir non par condescendance (un don peut vous détruire s’il est fait avec orgueil), mais parce que celui qui me donne m’aime, cela, non seulement comble le besoin pour lequel le don est sollicité, mais cela recré en outre une dignité.
Imaginons maintenant une société où cette aumône serait la norme. Quelle forme prendrait alors la charité ? Quelle forme prendrait alors la solidarité ? Imaginons une société dans laquelle chacun demeure constamment attentif au besoin de l’autre et tente de le satisfaire dès que ses moyens (financiers ou humains) le lui permettent. Pure utopie ! Pourtant c’est une exigence absolue pour un chrétien ‘tu aimeras ton prochain comme toi-même’. Bien sûr le monde est dur et égoïste, mais si moi, à ma place je pratique l’aumône, je travaillerai à rendre heureux ceux qui m’approchent. Je n’ai pas vocation à changer le monde. J’ai un appel impérieux à me changer. Commençons par nous même, n’attendons pas les autres.
« Prête l’oreille au pauvre et rends-lui son salut avec douceur. Délivre l’opprimé des mains de l’oppresseur et ne sois pas lâche en rendant la justice. Sois pour les orphelins un père et comme un mari pour leurs mères. Et tu seras comme un fils du Très-Haut qui t’aimera plus que ne fait ta mère. » Si, 4,9-10
Se décentrer de soi, jusque dans sa générosité, pour ne pas conditionner le don de soi-même à ses envies, trouver sa joie dans la joie de l’autre, cela suppose déjà d’apprendre à aimer et à regarder autour de soi. Bien sûr cela peut apparaître comme fragilisant. Mais ici posons cet acte de foi : Tout concourt au bien de celui qui aime Dieu. Un acte d’amour n’est jamais perdu pour soi même.
« Serre tes aumônes dans tes greniers, elles te délivreront de tout malheur. Mieux qu’un fort bouclier, mieux qu’une lourde lance, devant l’ennemi, elles combattront pour toi. » (cf Si )
A un journaliste qui lui demandait ce qu’il faudrait faire pour changer le monde, Mère Térésa ne répondait-elle pas …. « Il faut d’abord changer vous et moi ».
Cyril Brun
extrait de Pour une spiritualité sociale chrétienne