Dans un entretien donné à l’agence Zenith, le père Tony Anatrella, psychanalyste et consulteur auprès du Conseil Pontifical pour la Famille et du Conseil Pontifical pour la Santé, analyse la Relatio synodi. Il soulève le danger de vouloir écouter à tout prix sans chercher à éduquer. Il pointe les faiblesses du numéro 85 de la relation qui n’indique pas la finalité du discernement entrepris à l’égard des divorcés dits remariés: “À aucun moment le texte n’évoque l’hypothèse que ce discernement prépare à la réception des sacrements. Laisser à l’appréciation des diverses conférences épiscopales ce discernement et sa finalité, est peut-être insuffisant s’il n’y a pas une régulation dans l’Église universelle.”
Le père Tony Anatrella a écrit de nombreux ouvrages qui dénoncent l’immaturité affective. On peut dire que ces ouvrages ont été prophétiques. Aujourd’hui, ce langage non-structurant menace les pasteurs de l’Église.
Il y a également la question relative aux divorcés remariés ?
Oui. La Relatio synodi envisage que soient traités par les Conférences des Évêques de chaque pays ou aire culturelle, les problèmes posés par la situation des divorcés remariés (n. 53). Il est proposé d’envisager dans chaque diocèse « des parcours de discernement et d’implication de ces personnes, pour aider et encourager la maturation d’un choix conscient et cohérent ». Le texte évoque quelques critères sans préciser davantage et sans évoquer la réception des sacrements (n. 85). À aucun moment le texte n’évoque l’hypothèse que ce discernement prépare à la réception des sacrements. Laisser à l’appréciation des diverses conférences épiscopales ce discernement et sa finalité, est peut-être insuffisant s’il n’y a pas une régulation dans l’Église universelle. Ce devrait être le rôle de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi ou du nouveau dicastère pour la Famille. Sinon, nous risquons de voir apparaître des réflexions et des décisions divergentes en la matière, surtout si elles ne reposent pas sur la théologie du mariage. On a d’ailleurs vu apparaître chez certains Pères synodaux une attitude parfois anti-intellectuelle et anti-juridique en voulant opposer les idées et les lois de l’Église aux personnes. L’Évêque ne devrait plus être le pasteur qui gouverne son diocèse selon les concepts et les lois de l’Église mais avant tout, être proche des personnes et des situations particulières. Une attitude qui est à l’image de ce qui se faisait, il y a quarante ans, lorsque des pères de famille voulaient davantage être le « copain » de leurs enfants que l’adulte qui représente la loi symbolique permettant à la famille de se structurer. À ne voir que la relation aux personnes, on risque de passer à côté des idées qui mènent le monde et structurent les psychologies individuelles. En agissant de la sorte, les pasteurs sont sans doute très gentils et seront gratifiés par le monde, mais ils ne font pas leur travail pour éduquer l’intelligence de la foi et des mœurs qui en découlent.
Le travail de discernement est un projet très délicat qui nécessite, répétons-le, des prêtres particulièrement formés au sens de l’écoute, du discernement et de l’évaluation morale des situations particulières. Il est difficile de séparer ces trois attitudes conjointes. Ce qui est une ancienne pratique d’évaluation pastorale de l’Église qui s’inspire de la théologie morale et des règles de droit (cf. Code de droit canonique) pour le salut des personnes, mais qui a souvent été oubliée. Le risque est de vouloir écouter pour écouter. Or l’écoute n’est jamais une fin en soi ! Elle s’effectue toujours en vertu d’un objectif précis. L’écoute du prêtre, du directeur spirituel ou du confesseur, l’écoute du commerçant, l’écoute de l’agent d’une administration ou encore l’écoute d’un psychothérapeute n’est pas la même et n’a pas le même but. Au nom de l’écoute on peut simplement s’arrêter à la demande, voire à la plainte du demandeur sans se croire autorisé à dire une parole qui incline à prendre telle ou telle décision morale dans le domaine qui nous concerne ici et qui est pastoral.
Bonjour,
Certains clercs ne sont plus avant tout des docteurs ou des pasteurs, mais sont avant tout des “cosmo-chrono-sémiologues” et des “cosmo-chrono-axiologues”, c’est-à-dire des intellectuels qui s’attachent
– à attribuer des signes ou des valeurs au monde de ce temps,
ou
– à considérer les signes ou les valeurs du monde de ce temps,
ou
à sélectionner, au coeur des signes et au sein des valeurs du monde de ce temps, tout ce qui les conforte dans leur vision, bienveillante, voire complaisante, de l’homme et du monde contemporains.
Pour ces clercs, “accueillir” signifie fréquemment “approuver”, et “se mettre à l’écoute” signifie fréquemment “se mettre à l’école”, se mettre à l’école, en l’occurrence, des aspirations de l’homme contemporain et de l’évolution du monde contemporain, comme si celle-ci et celles-là avaient plus d’autorité que l’Ecriture, la Tradition, le Magistère, le Catéchisme.
On ne remédiera à cette attitude intellectuelle qu’en remettant en cause le bien-fondé de ce qui la légitime, et qui “semble” vraiment être situé dans une certaine conception de l’homme et du monde contemporains ET dans une certaine relation à l’homme et au monde contemporains, présentes dans Gaudium et Spes.
Or, cette remise en cause, présente, notamment, dans Veritatis splendor, de Jean-Paul II, les mêmes clercs n’en veulent pas, notamment parce que ce ré-aiguillage magistériel n’est pas assez “é-van-gé-li-que”, pas assez “ou-vert-sur-les-pé-ri-phé-ries”, ou pas assez “mi-sé-ri-cor-dieux”, comme on dit, depuis mars 2013.
Oui, nous sommes en présence d’un langage plus déstructurant que restructurant, mais que les clercs qui déplorent à juste titre les effets de ce langage, aient
– le courage de remonter et de faire remonter les évêques, les prêtres, les fidèles, de ces effets à leur cause,
et
– la franchise de dire quelle erreur d’appréciation, instauratrice de tout un irénisme lénifiant, en direction de l’homme et du monde contemporains, a été commise, à l’intérieur d’au moins un texte du Concile Vatican II.
Tant que ce courage-là et cette franchise-là ne se manifesteront pas, on pourra toujours déplorer que ce langage, comparable à une pensée liquide, ni solide, ni gazeuse, imprègne presque tout, ou s’insinue presque partout : cela ne changera pas grand-chose à l’affaire, et la cosmo-chrono-sémiologie, la cosmo-chrono-axiologie, caractéristiques d’un état d’esprit plus accommodant qu’incommodant, continueront à sévir, au sein de l’Eglise catholique, malgré la présence et l’action de quelques évêques résistants.
Bonne journée.
A Z