Le père Toufic est curé melkite à Maaloula (Syrie). Il a été témoin de la prise de son village par les djihadistes, en 2013. Connu des volontaires de SOS chrétiens d’Orient, il participe à la reconstruction (morale et matérielle) du village, car le grand défi reste toujours celui de l’exil des chrétiens de Syrie. Maaloula est tout un symbole. Symbole de ces temps troublés, mais aussi symbole de l’espérance chrétienne par le retour des habitants.
En présence d’un public nombreux et attentif, le père Toufic a livré un beau témoignage. “À quoi sert notre vie, notre existence en Orient ? Pourquoi ne pas quitter cet Orient et émigrer ? Pourquoi ne pas rester dans cette vie, en Orient ? Quel est le sens de notre existence ? C’est ça la question. Aujourd’hui on a repris la restauration autant que possible à Maaloula avec les aides des gens généreux.” C’est ainsi que le père Toufic a ouvert sa conférence. Il a salué SOS Chrétiens d’Orient, “première à côté de nous”. Certains volontaires peuvent se reconnaître.
L’existence des chrétiens de Syrie doit être conçue comme une existence de témoignage. Il a rappelé que les chrétiens ne se battaient pas contre la chair et le sang, mais aussi contre les forces du mal. “Parfois, les forces du mal apparaissent sous forme humaine, sous forme de politique”, a souligné le père Toufic. En effet, il est vrai que la Syrie a subi, ces dernières années, des décisions politiques hasardeuses, dont malheureusement la France ne peut s’extraire…
Si le père Toufic défend une démarche d’espoir et d’espérance, il rappelle que “l’espoir (n’est) pas basé sur une volonté; l’espérance est une décision de foi. Basée sur la foi, l’espérance ne sera jamais déçue”. Il a également rappelé que, dans les circonstances actuelles, “on a besoin d’être de vrais chrétiens, on a besoin de la prière, de cette connexion permanente avec Jésus-Christ, de toutes forces de Jésus- Christ. Autrement, on ne peut rien faire de nous-mêmes”.
À une question sur le nombre d’habitants à Maaloula, il a rappelé qu’il y avait 300 familles (les orientaux raisonnent en foyers, non en individus). Il y également 10 églises à Maaloula: elles ont toutes été affectées, à des degrés divers, par les atteintes des djihadistes (on soulignera que les églises ont été intentionnellement dégradées, comme le prouvent les figures des icônes, dont les yeux ont été grattées…). L’église paroissiale melkite Saint-Georges a vu son iconostase brûlée, de même que l’église (grecque-orthodoxe) du couvent Sainte-Thècle.
Concernant la coexistence, à Maaloula, avec les musulmans, il a rappelé que les chrétiens devaient être une véritable levure. La zone de Maaloula est bien sécurisée: le village n’est plus à la portée des djihadistes. Les combats se sont donc éloignés, même s’il existe encore, dans la zone du Qalamoun, des poches de résistance.
Les gens qui sont retournés à Maaloula sont majoritairement chrétiens. Certains musulmans ont préféré ne pas rentrer pour ne pas envenimer la situation entre les communautés. Le père Toufic a rappelé que la coexistence avec les musulmans n’était pas une option, mais que les chrétiens la vivaient depuis longtemps.
Sur la crise des vocations, il a souligné que le Syrie chrétienne n’était pas épargnée et que si la moisson était abondante, les ouvriers étaient peu nombreux. Le Christ nous a demandé de prier. Crise des vocations, certes, mais aussi baisse du nombre d’enfants, comme le souligne le père Toufic. Sur ce point, nonobstant un contexte moins propice à la sécularisation qu’en Occident, la Syrie catholique connaît les mêmes difficultés.
Le père Toufic a rappelé qu’il y aura toujours des musulmans de bonne volonté et qui craignent Dieu, avec lesquels nous sommes unis dans l’Esprit-Saint. “J’aime les musulmans en tant qu’être humains.” Même dans la guerre, beaucoup de musulmans ont été affectés. Au fond, pour le père Toufic, la coexistence avec les musulmans ne fait que renvoyer à notre vie chrétienne, à notre identité chrétienne. Sur le péché qui existe dans l’Église, il souligne qu’il existe aussi en chacun de nous. “Autant qu’on lutte contre le péché, autant on lutte aussi contre les péchés qui existent dans l’Église.” “Comment être chrétien pour les musulmans ?” À cette question posée, le père rappelle qu’elle soulève une autre question, plus simple: “comment être chrétien ? Nous devons être vrais et temoigner la vérité avec amour.” Les chrétiens existent en tant que tels, et il ne faut pas nier que ce qui leur arrive aux chrétiens leur arrive en tant que chrétiens. Les trois chrétiens morts à Maaloula ont bien été tués de sang froid parce qu’ils étaient chrétiens. Cela suffit à les considérer comme des martyrs.
À la fin de la conférence, l’abbé Guelfucci, curé de la paroisse Saint-Eugène Sainte-Cécile, a rappelé que confesser l’Incarnation et la Rédemption était la première charité que l’on doit avoir à l’égard des musulmans. “Ne craignez pas la vérité, même avec les différences !” La réunion s’est terminée par un beau Salve regina entonné par l’assemblée ainsi que par une bénédiction du père Toufic.