Voici l’homélie de Mgr Hervé Giraud le 19 avril lors de son installation à la cathédrale de Sens :
« La paix soit avec vous. » Les premiers mots de quelqu’un sont souvent ceux qu’on retient le plus longtemps. Ce fut sûrement le cas pour les disciples de Jésus lors de ses premières apparitions. Ainsi les évangélistes saint Jean et saint Luc ont retenu les premiers mots du Ressuscité. Ils sont pleins d’enseignement sur Jésus mais aussi sur le ministère de l’évêque qui, à chaque messe, et ce n’est sûrement aussi pas un hasard, envoie ce souhait de paix à toute l’assemblée réunie.
Ces mots de Jésus expriment au moins quatre choses :
1) Ce sont les paroles du Ressuscité.
2) Ce sont les paroles d’un évangile de paix.
3) Ce sont des paroles qui ouvrent au dialogue universel.
4) Ce sont des paroles qui s’adressent à un premier cercle de partenaires.
Un cercle appelé à s’élargir comme les ondes concentriques créées par une pierre jetée au milieu d’un lac. Un cercle qui doit atteindre toutes les rives de l’humanité.
En devenant à l’instant le 121ème évêque de Sens et 12ème évêque (11ème prélat) de la Mission de France, je reçois l’évangile de ce jour comme le programme de mon ministère avec vous et pour vous. Revenons donc sur ces quatre points.
Paroles du Ressuscité. Je ne désire rien d’autres que d’annoncer, parmi vous, la Résurrection du Christ, résurrection qui demeurera éternellement le grand événement de l’histoire, l’événement du triomphe de la vie, événement unique et qui ne fait nombre avec aucun autre dans l’histoire humaine. Pour le pape François, « l’évêque est celui qui sait, avec l’Église, se faire témoin de la Résurrection (du Christ). » Et c’est bien pour cela que j’ai choisi une devise de foi et d’espérance : « Ressuscités avec le Christ » (Col 3,1). Le Christ est le premier-né d’entre les morts. C’est ma foi, c’est notre foi ; c’est mon espérance, c’est notre espérance. Mais quand le Christ ressuscite il n’est pas seulement le premier, mais le principe de toute résurrection : les petites que nous vivons sans trop nous en apercevoir, comme la plus grande toujours à venir. Car l’humanité n’est pas arrivée à son accomplissement. Par le baptême, nous sommes déjà ressuscités avec lui : ce qui compte ce n’est pas d’abord d’être laïc, religieux, diacre, prêtre ou évêque, ni même archevêque ou prélat ! Ce qui compte c’est que nous soyons, ensemble, ressuscités avec Lui.
Paroles de paix. Annoncer l’Évangile ce n’est pas d’abord proposer des valeurs morales, c’est proclamer un évangile de paix, la paix qui est le signe du Messie, la Paix qui est le Fils lui-même. C’est cette Paix que nous échangeons vraiment après le Notre Père et qui, plus qu’un signe, est un don réel. Cet Évangile, vous le verrez, j’aime le lire, le méditer, le commenter, le partager avec tous. Toutes les occasions sont bonnes : réunion des conseils, équipes, rencontres de confirmands… Il ne s’agit pas d’être des répétiteurs mécaniques, ni des perroquets du Seigneur ! Il s’agit de servir la Parole de Dieu, comme on sert un bon plat. Un évêque est d’abord là pour être un homme de parole : qui aime la parole, qui donne la parole, et surtout la Parole de Dieu. Cette familiarité avec l’Évangile est capitale pour devenir chrétiens, ici dans l’Yonne et avec la Mission de France. Depuis Jésus, les saintes femmes, les Douze, saint Paul, les conciles ont tous donné la primauté à la Parole de Dieu. Je disais en souriant aux Soissonnais que j’aurais bientôt deux mitres… qui formeront comme un bonnet d’âne ! Mais, selon l’expression de saint Jean Chrysostome, ma mitre préférée c’est l’Évangile du Christ, celui-là même que l’on pose sur notre tête, à nous évêques, et sur nos épaules, au jour de notre ordination épiscopale. Merci de prier le Seigneur pour que la Parole imprègne mon ministère et que je m’adonne «quotidiennement à la prédication de l’Évangile avec le maximum de patience… » (Pastores Gregis 28). Lisons l’évangile du dimanche qui vient, lisons-le chaque jour. Peu à peu, comme l’averse sur le sol, la parole fera son œuvre jour et nuit dans notre cœur.
Paroles du Ressuscité. Paroles de paix. Paroles de dialogue. Jésus invite immédiatement au dialogue : « Pourquoi êtes-vous bouleversés ? […] Il ouvrit leur intelligence à la compréhension des Écritures. » Le ministère d’évêque est d’abord au service d’un dialogue qui ouvre, cherche la réciprocité, écoute. Personne ne peut être satisfait d’un manque de dialogue familial, social, ecclésial, institutionnel, amical. Un chrétien ne peut laisser de côté son dialogue quotidien avec Dieu. Le pape François a même cette expression pressante : « Un homme qui n’a pas le courage de discuter avec Dieu en faveur de son peuple ne peut pas être évêque. »
Paroles du Ressuscité. Paroles de paix. Paroles de dialogue. Et enfin paroles circulantes. Le Ressuscité s’adresse à son cercle d’amis, de disciples, d’apôtres. Il en est de même aujourd’hui. Le ministère de l’évêque n’est rien sans les multiples cercles, groupes de parole et d’apostolat, où chacun écoute l’autre. Jésus insiste lui-même : « À vous d’en être les témoins. » La résurrection a eu lieu, le Fils a donné sa vie, le Père a accepté ce don, l’Esprit se révèle agissant dans le monde. Il nous reste à être les co-responsables de la mission, non pas de l’évêque ou du curé, mais de l’Église. Le concile Vatican II avait opportunément affirmé que « la vocation dernière de l’homme est divine », que « l’Esprit Saint offre à tous, d’une façon que Dieu connaît, la possibilité d’être associé au mystère pascal ». Être associé au mystère pascal, cela signifie aller « au-devant de la résurrection ». Voilà bien le seul et unique but à poursuivre dans nos vies : aller au devant de la résurrection. La parole doit circuler jusqu’à atteindre les rives et les cœurs les plus lointains. Et c’est pourquoi, comme le proposait Benoît XVI, « il faut annoncer avec vigueur et joie l’événement de la mort et de la résurrection du Christ. (…) Seul le Christ peut satisfaire pleinement les profondes aspirations de tout cœur humain et répondre à ses interrogations les plus inquiètes sur la souffrance, l’injustice et le mal, sur la mort et sur la vie dans l’Au-delà (11 mai 2010). » À nous d’être, ensemble, les témoins du Ressuscité.”