Un lecteur, que nous remercions vivement, Francis Nadizi, bon connaisseur des questions bioéthiques, nous a adressé la longue réflexion que voici et que la récente ouverture du débat sur la proposition de loi Claeys-Léonetti (qui, hélas, devrait ouvrir la voie à l’euthanasie active dans notre pays, dans un pseudo-consensus “démocratique”) rend d’une actualité brûlante. Des extraits de cette réflexion ont déjà paru dans la revue “Eglise de Corse”.
Maintenant et à l’heure de notre mort. (in prière “Je Vous salue Marie”).
Par Francis Nadizi
Le débat sur la fin de vie, régulièrement relancé par l’actualité, est symptomatique du basculement des valeurs de notre société. Le débat est très fortement et médiatiquement orienté dans un sens unique : conduire à la mort les personnes dont la guérison est jugée sans espoir, du moins dans l’état actuel des connaissances scientifiques et médicales.
Que l’on ne s’y trompe pas. Un renforcement des lois érigeant l’euthanasie active comme une pratique médicale banalisée équivaut au retour de l’antique droit romain de vie ou de mort (vitae necisque potestas), c’est à dire le droit de disposer pleinement de la vie d’autrui.
La régression de la société y trouve un de ses achèvements, terme bien approprié à cette dérive.
Il est indispensable de bien faire la distinction entre deux pratiques d’accompagnement des patients dont le pronostic vital peut paraitre limité. D’un côté les soins palliatifs et de l’autre l’euthanasie.
D’abord théorisés et mis en pratique au Royaume Uni, les soins palliatifs ont le souci de considérer le patient dans sa globalité et dans toutes ses dimensions, y compris spirituelle. Il faut pallier à la douleur mais aussi à la détresse psychologique. La médecine palliative« vise au maintien de la qualité de vie », selon Cicely Saunders, conceptrice de cette spécialité et y ayant consacré toute sa vie.
L’euthanasie se place dans un tout autre registre puisqu’on décide de « faire mourir » des patients dont l’état est jugé irréversible et la conscience considérée comme inexistante.
L’irréversibilité de l’acte ne manque pas de poser un certain nombre de questions particulièrement chez les patients considérés en EVC (Etat Végétatif Chronique), c’est-à-dire en coma dépassé et en état de mort cérébrale.
Chaque année, on signale des cas de réveils de personnes en EVC depuis des semaines, des mois voire des années et jusqu’alors considérées en état de mort cérébrale, c’est à dire incapables de réfléchir ou d’avoir la moindre lueur de conscience de leur environnement, selon les critères actuels de la science. Or, ces personnes relatent les conversations qu’elles percevaient autour d’elles y compris celles concernant l’opportunité de leur maintien en vie. Elles avaient donc conscience de leur environnement, contredisant ainsi toutes les données scientifiques.
Mais alors si le cerveau est considéré par la science comme définitivement « éteint » où se situe donc la conscience qui, en l’occurrence, pourrait être définie comme la capacité à percevoir et à comprendre sans l’apport des fonctions cérébrales ? Cela signifie-t-il que des personnes pleinement conscientes mais incapables de manifester leur volonté ont été euthanasiées ?
Digressions ridicules et sans fondements scientifiques hurleront les partisans de l’euthanasie active, sauf que … Sauf que le Centre de Recherche du Cyclotron de l’Université de Liège a mené de nombreuses expériences avec des personnes en Etat Végétatif Chronique et donc en mort cérébrale. Il en ressort que 40% des patients diagnostiqués en mort cérébrale « ont conscience de leur environnement et d’eux-mêmes à des degrés divers ». L’importance du pourcentage n’est plus une simple variable d’ajustement, ce sera une véritable hécatombe si l’euthanasie active est légalisée.
Quelle est la position de l’Eglise sur les soins palliatifs et l’euthanasie ?
Les docteurs et les théologiens de l’Eglise mènent depuis longtemps une réflexion très approfondie sur la fin de vie au sein des différentes commissions ou organismes pontificaux. Les positions ecclésiales sont bien évidemment définies au regard constant du Magistère mais s’appuient aussi sur l’expertise de médecins et de spécialistes laïcs sollicités régulièrement par le Vatican.
L’Encyclique Evangelium Vitae, publiée par Jean Paul II en 1995, abordent le thème de l’euthanasie mais aussi ceux des soins palliatifs et de l‘acharnement thérapeutique.
Pour l’acharnement thérapeutique, il n’est pas contraire à la foi de « renoncer à des traitements qui ne procureraient qu’un sursis précaire et pénible de la vie, sans interrompre pourtant les soins normaux dus au malade en pareil cas ».
Cela signifie que les thérapies doivent être proportionnées à la situation réelle d’un patient dont l’état est irréversible.
L’Encyclique met en exergue les soins palliatifs en soulignant leur importance pour la dignité humaine, il suffit d’en citer un court extrait : « Dans la médecine moderne, ce qu’on appelle les « soins palliatifs » prend une particulière importance ; ces soins sont destinés à rendre la souffrance plus supportable dans la phase finale de la maladie et à rendre possible en même temps pour le patient un accompagnement humain approprié … Pie XII avait déjà déclaré qu’il est licite de supprimer la douleur au moyen de narcotiques, même avec pour effet d’amoindrir la conscience et d’abréger la vie, « s’il n’existe pas d’autres moyens, et si, dans les circonstances données, cela n’empêche pas l’accomplissement d’autres devoirs religieux et moraux … Dans ce cas, en effet, la mort n’est pas voulue ou recherchée, bien que pour des motifs raisonnables on en courre le risque : on veut simplement atténuer la douleur de manière efficace en recourant aux analgésiques dont la médecine permet de disposer».
Pour l’euthanasie, la position de l’Eglise est on ne peut plus claire et fermement annoncée par Jean Paul II, dans son encyclique : « …en conformité avec le Magistère de mes Prédécesseurs et en communion avec les Evêques de l’Eglise catholique, je confirme que l’euthanasie est une grave violation de la Loi de Dieu, en tant que meurtre délibéré moralement inacceptable d’une personne humaine. Cette doctrine est fondée sur la loi naturelle et sur la Parole de Dieu écrite ; elle est transmise par la Tradition de l’Eglise et enseignée par le Magistère ordinaire et universel ».
Par ailleurs, de nombreux prélats français ont relayés l’enseignement de l’Eglise à travers des textes aux titres sans ambiguïtés. Un simple aperçu : « Ni euthanasie, ni acharnement thérapeutique » , communiqué du 8 octobre 2003 de Mgr Jean-Pierre Ricard, président de la Conférence des évêques de France, archevêque de Bordeaux ; « Tuer en douceur ou la barbarie silencieuse, une nouvelle tentative pour légaliser l’euthanasie » par Mgr Bernard Ginoux pour le Bulletin Catholique n° 2 du diocèse de Montauban du 26 janvier 2011 ; « Autoriser l’euthanasie instaurerait un régime de peur » , Cardinal Barbarin, Le Figaro, jeudi 25 janvier 2011, et bien d‘autres encore.
Ainsi, voilà l’Eglise pleinement dans sa mission, portant son message millénaire qui se rit des modes et des temps et qui n’a certainement pas à s’y adapter.
Si pendant des décennies certains l’ont décriée comme conservatrice, voilà qu’aujourd’hui elle est devenue révolutionnaire. Mais pourquoi serait-elle donc révolutionnaire ? Pour l’extraordinaire raison qu’elle rappelle à chacune et à chacun ce que sont les valeurs de la simple humanité.
Ces valeurs d’humanité qui se résument à la compassion pour la vie et à son respect sous toutes ses formes et aux moyens que nous devons lui donner pour l’accueillir comme pour l’accompagner avec toute la douceur chrétienne vers sa fin.
Mais voilà bien où le bât blesse. Parler de morale, de foi, de religion ou de valeurs chrétiennes dans le contexte français d’aujourd’hui c’est s’exposer à la vindicte des Fouquier-Tinville, des Saint Just (le mal nommé) et des Robespierre de salons. De ceux qui se reconnaissent dans cette terrible réflexion de Bernard Cazeneuve : « Évoquer les racines chrétiennes de la France, c’est faire une relecture historique frelatée qui a rendu la France peu à peu nauséeuse ».
C’est aussi donner corps à l’illuminisme messianique de Vincent Peillon quand il écrit : « Car toute l’opération consiste bien, avec la foi laïque, à changer la nature même de la religion, de Dieu, du Christ, et à terrasser définitivement l’Eglise ». (Une religion pour la République -Seuil, 2010).
L’élimination de la dimension spirituelle et religieuse de l’être humain au profit d’une idéologie laïciste funeste (à ne pas confondre avec une laïcité équilibrée) encourage et favorise l’irrespect de la vie. C’est la consécration du darwinisme social et de l’eugénisme, même si on ne veut pas, ou du moins pas encore, employer clairement ces termes.
C’est bien donc une déclaration de guerre en bonne et due forme contre une civilisation historiquement façonnée par le christianisme. Un choc frontal entre des valeurs humaines au service de la vie et des valeurs prétendument humanistes mais authentiquement mortifères. C’est le combat de la foi et de l’espérance qui donnent sa dimension à l’être humain et le projettent dans l’éternité contre une vision froide, matérialiste et déshumanisée. C’est la bataille pour la vie et elle est rude car elle contrevient à l’esprit du siècle.
Un humanisme … aux relents nauséabonds.
On peut légitimement se demander si la référence constante et intransigeante à « l’humanisme » et aux « valeurs humanistes » ne dessine pas les contours d’une idéologie eugéniste de sinistre mémoire ?
On pourrait le penser tant les débats d’aujourd’hui nous renvoient aux heures les plus sombres de l’Histoire et à leurs écrits les plus épouvantables.
En effet, dans l’Allemagne de la montée du nazisme, à coté des livres exaltant la supériorité des Aryens, un livre a succès écrit conjointement par un psychiatre et un juriste catégorisait les personnes qu’il fallait supprimer : patients incurables, malades mentaux, faibles d’esprit, enfants retardés ou atteints d’une infimité. Ce livre s’intitulait : « Le droit de détruire les vies qui ne valent pas le peine d’être vécues ». Hitler ne s’en est pas privé. Sans même parler de la guerre et des camps de la mort, on peut évoquer la mise en place de l’Aktion T4 visant à exterminer les malades mentaux et les handicapés.
Mais, objectera-t-on, le nazisme était affaire de brutes barbares et incultes.
Malheureusement non ! Et il n’en est que plus coupable car l’élite nazie, généraux SS compris, était issue des meilleures universités allemandes, bardée de doctorats dans toutes les spécialités…même la philosophie humaniste. C’est dire s’il faut accueillir avec la plus extrême prudence les avis de certains partisans de l’euthanasie considérés comme de grands intellectuels ou scientifiques.
Mais, objectera-ton encore, c’était un autre temps ! Aujourd’hui toutes les précautions sont prises. Mais à l’époque aussi ! puisque les auteurs suggéraient « l’élimination des malades incurables et des fous à la demande de leurs parents ou d’une commission composée de deux médecins et de deux juristes ». Rien de bien nouveau sous le soleil d’aujourd’hui.
Et puis si on tue après concertation, on peut penser que dans la nouvelle religion humaniste et laïque concertation vaut absolution.
Par ailleurs, la notion de « vie qui ne vaut pas la peine d’être vécue » s’installe insidieusement mais surement dans les esprits. Qui peut dire qu’il ne l’a jamais entendue
La bête immonde n’est donc pas terrassée. Protéiforme, elle reprend vie et ses idées nauséabondes sont remises au gout du jour par ceux-là même qui se qualifient d’humanistes.
L’Europe mettra-t-elle un terme à cette dérive eugéniste ?
Pour l’instant la structure technocratique européenne observe et patiente. Elle renvoie la question de l’euthanasie à chacun de ses membres jusqu’au jour où une directive définira les pratiques de la « bonne mort ».
On peut déjà entendre les idiots utiles crier à l’anti-européisme primaire et jurer qu’il n’y a pas plus démocratique que l’Europe. On peut quand même en douter quand on se réfère aux propos de Jean Claude Junker, actuel président de la Commission Européenne, expliquant il y a quelques années à la presse allemande, comment fonctionne la technocratie européenne : « Nous prenons les décisions, nous les mettons en pratique et nous attendons quelques temps pour voir ce qu’il se passe. S’il n’y a pas de hurlements et pas de révoltes, la majorité ne comprenant pas ce qui a été décidé, nous continuons au fur et à mesure jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de retour possible ».
On peut encore entendre les idiots utiles jurer qu’il n’en sera pas de même pour l’euthanasie.
Peuvent-ils jurer que les pays européens qui la légalisent ou la tolèrent ne demanderont pas un jour une harmonisation de la législation européenne ? La résolution du 26 janvier 2011 de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe affirmant que l’euthanasie devrait toujours être interdite sera alors remisée aux oubliettes au prétexte de l’évolution des mœurs.
Les prémices d’une éventuelle démarche allant dans ce sens sont déjà bien visibles.
Aux Pays Bas, par exemple, les médecins ont le droit d’euthanasier les bébés de moins de 12 mois et les enfants à partir de douze ans. On aurait pu croire que leur inquiétude du moment pouvait concerner ce droit exorbitant de donner la mort à des enfants. Pas du tout ! La demande de la très officielle Association néerlandaise de Pédiatrie est d’élargir ce droit pour combler le vide juridique entre un et douze ans. En somme, le droit de pouvoir tuer à tout âge.
Autre exemple. La Lituanie, pays européen depuis 2004, « pourrait bien avoir besoin de l’euthanasie pour les pauvres qui ne peuvent se permettre d’avoir accès aux soins palliatifs » selon les propos de sa ministre de la Santé. Il est vrai que durant la dictature soviétique, elle était membre du parti communiste et donc peu sensible à la dimension religieuse et spirituelle de l’être humain.
Gageons que l’actuel gouvernement français promoteur de la culture de mort ne manquera pas de déployer les stratégies, c’est-à-dire les ruses nécessaires, pour rendre l’euthanasie « républicaine, laïque et obligatoire », pour faire un trait d’humour noir.
Gageons aussi que la France fera entrer l’euthanasie dans le Panthéon de ses « valeurs universelles de la République » à transmettre à l’Univers. Pauvres Vénusiens ! Discours « frelaté et nauséeux », pour reprendre les propos de monsieur Cazeneuve et qui fait passer les dirigeants français, champions des leçons de morale, pour de parfaits imbéciles aux yeux du monde entier.
Pour n’effrayer personne les choses doivent se faire graduellement et insidieusement. L’euthanasie n’est qu’une étape intermédiaire mais fondamentale d’une stratégie à long terme.
L’enjeu est de « déconstruire », pour reprendre une expression chère aux socialistes, les valeurs fondées depuis des millénaires sur le christianisme. Selon Vincent Peillon, il faut construire « l’homme nouveau », expression révélatrice d’un certain état d’esprit car cela a toujours été le but des dictatures les plus sanglantes. Abattre le christianisme et anéantir la dimension spirituelle de l’être humain, c’est la continuité d’une volonté haineuse et opiniâtre irriguée par les fleuves de sang qui ont pris leurs sources en 1789 et qui ne s‘est pas démentie depuis. Volonté publiquement exprimée par des hommes célèbres comme Clémenceau quand il s’écrie « Rien ne se fera dans ce pays tant qu’on n’aura pas changé l’état d’esprit qui y a introduit l’autorité catholique » ou René Viviani, ministre de Clémenceau et Président du Conseil en 1914 qui a le mérite d’annoncer l’objectif de l’école prétendument républicaine : « …la neutralité scolaire n’a jamais été qu’un mensonge diplomatique et une tartuferie de circonstance … Nous n’avons jamais eu d’autre dessein que de faire une université antireligieuse, et antireligieuse d’une façon active, militante, belliqueuse».
Leurs successeurs sont-ils en train de parachever l’ouvrage ?