Le P. Charles Morerod, dominicain, Suisse de langue française, après beaucoup de craintes et hésitations, a accepté à la demande du Pape de devenir évêque de Lausanne, Fribourg, Genève. C’est en effet presque une mission-suicide qu’accepte ce proche de Benoît XVI, tant l’état doctrinal et disciplinaire de l’Église de Suisse est désastreux. Le Pape espère que le P. Morerod pourra remplir en ce pays le rôle que trop faible cardinal Schönborn n’a pas su jouer dans l’Autriche voisine.
Charles Moredod, originaire de Gruyère, est issu d’une famille mixte catholique et protestante. Polyglotte, il enseigne en italien, parle très couramment l’allemand et l’espagnol. Sa parfaite maîtrise de l’anglais, et de fréquents séjours aux États-Unis font que son univers habituel, avant de prendre de hautes fonctions à l’Université de l’Angelicum, à Rome, était le monde anglophone. Il a fait son noviciat et ses études à Fribourg, en Suisse (la Rome helvétique, dont il devient l’évêque, mais où l’atmosphère n’est plus très romaine, notamment dans la communauté dominicaine), puis à Rome.
Sa thèse de doctorat, présentée à la Faculté de théologie de l’Université de Fribourg, portait sur l’un des plus grands commentateurs de Thomas d’Aquin, Cajetan, qui avait été chargé par Léon X de remettre Luther sur le bon chemin de la foi : Cajetan et Luther en 1518 (Éditions universitaires de Fribourg, 1994). Thème de fond : le dialogue œcuménique ne peut faire abstraction d’un dialogue philosophique, le luthéranisme s’expliquant notamment par une philosophie nominaliste.
Après avoir enseigné la théologie, il a été nommé doyen de la faculté de philosophie à de l’Université Saint-Thomas d’Aquin, l’Angelicum à Rome, tout en étant rédacteur de l’édition française de la revue Nova et Vetera, fondée par le cardinal Journet, auquel a succédé le cardinal Cottier, dominicain comme lui. C’est un proche de ce dernier, qui fut « théologien du Pape ». De fait, le P. Morerod est devenu un parfait représentant de la théologie romaine classique actuelle.
Sa « carrière » a commencé par le dossier sur l’anglicanisme que lui avait confié Mgr Bertone, alors Secrétaire de la Congrégation pour la Doctrine de la foi, au nom du cardinal Ratzinger, qui avait remarqué ses articles et écrits en faveur d’un « recentrage » de l’œcuménisme. Dans le plus important de ses ouvrages, Tradition et unité des chrétiens. Le dogme comme condition de possibilité de l’œcuménisme (Parole et Silence, 2005), le P. Morerod montre que la différence fondamentale entre catholiques et protestants est à rechercher d’abord dans la philosophie et, en second lieu seulement, dans la théologie. La pointe de son ouvrage est d’affirmer que, paradoxalement, c’est le dogme qui rend possible un vrai œcuménisme.
Il a aussi écrit un livre sur le protestant libéral britannique John Hick : La philosophie des religions de John Hick : la continuité des principes philosophiques de la période « chrétienne orthodoxe » à la période « pluraliste » (Parole et silence, 2006).
Comme on le sait, pour le dire un peu trivialement, Joseph Ratzinger « fonctionne à la confiance ». Et Charles Morerod ne l’a jamais déçu. Il lui a confié, de la sorte, le 21 juin 2004, le rôle de « théologien officieux » de la CDF dans des discussions « informelles » qui se déroulèrent à Paris, sous le couvert du GREC, avec des représentants de la Fraternité St Pie X, de 2004 à 2008 (conversations conclues par une conférence semi-publique à St-Philippe-du-Roule, le 21 février 2008, où le théologien de Joseph Ratzinger avait déclaré qu’une réception de Vatican II se fondant très fortement sur l’état du Magistère antérieur lui paraissait tout à fait possible, à condition que cette interprétation ne soit pas un rejet sec de Vatican II ; la FSSPX pouvant être ainsi admise dans la non confession de certains points de Vatican II, mais avec « une certaine exigence de respect » de l’enseignement de Vatican II. C’était, fixées en 2008, les grandes lignes de ce que l’on croit connaître du Préambule doctrinal qui a été proposé à la FSSPX le 14 septembre 2011.
Tout naturellement, le P. Morerod a été désigné pour faire partie des théologiens participant au dialogue, cette fois officiel, avec les représentants de la FSSPX, sous l’égide de la CDF, sur une durée d’une année et demie, du 26 octobre 2009 au 11 avril 2011, avec 8 réunions et de nombreux échanges entre les réunions.
Auparavant, il avait reçu les charges de Secrétaire de la Commission théologique internationale, en remplacement du P. Luis Ladaria Ferrer, jésuite devenu Secrétaire de la Congrégation pour la Doctrine de la foi, et de recteur de l’Université Angélique.
Il faut précise que ce « restaurationniste » n’est pas un traditionaliste, même si un certain nombre de ses élèves appartenaient à cette sensibilité (notamment l’abbé Bisig, un des fondateurs de la Fraternité St Pierre), et si sa très grande proximité avec les dominicains français de Toulouse (Revue thomiste) l’en rapproche par l’extrême porosité qui caractérise les milieux traditionnels français. Classique en diable, si l’on ose dire, au point de diriger la remarquable thèse du très traditionnel C. Kruijen, en cours de publication sur le salut éternel et… la damnation.