Amoris laetitia a déjà fait couler beaucoup d’encre, tant certaines affirmations paraissent surprenantes. Nous le disons d’autant plus que le texte ne se veut pas magistériel, comme l’a souligné justement l’abbé Barthe. Cet aspect doit être pris en compte et évitera toutes les équivoques. Les critiques – respectueuses – sont évidemment possibles. Elles tendent même à être nécessaires.
Une des affirmations entraîne une véritable perplexité. Le paragraphe 298 de l’exhortation traite des différentes situations des divorcés dits remariés. Nous nous référons au commentaire de Voice of the Family traduit par Jeanne Smits. Le paragraphe 298 cite ainsi le cas où l’homme et la femme ne peuvent plus être en mesure de se séparer, notamment en raison des enfants. Le texte renvoie au paragraphe 84 Familiaris Consortio, tout en omettant la suite de la phrase de même paragraphe qui indique clairement que l’homme et la femme « prennent l’engagement de vivre en complète continence, c’est-à-dire en s’abstenant des actes réservés aux époux ». La phrase omise est pourtant importante, si l’on veut comprendre dans quelle mesure où l’impossibilité de séparation pourrait être justifiée. Mais ce n’est pas l’essentiel de notre propos.
Il y en effet cette référence à Gaudium et spes en note de bas de page – l’exhortation apostolique procède souvent ainsi dans ses affirmations équivoques, comme s’il y avait deux exhortations ou plusieurs grilles de lecture qui s’appuieront chacune sur les éléments qu’elles sélectionneront. La référence sollicite un texte qui ne s’applique absolument pas à une union irrégulière. Voici la note 329 d’Amoris laetitia:
Dans ces situations, connaissant et acceptant la possibilité de cohabiter ‘‘comme frère et sœur’’ que l’Église leur offre, beaucoup soulignent que s’il manque certaines manifestations d’intimité « la fidélité peut courir des risques et le bien des enfants être compromis » (Conc. Œcum. Vat. II, Const. past. Gaudium et spes, sur l’Église dans le monde de ce temps, n. 51).
La difficulté est que Gaudium et spes ne se réfère qu’à des situations où des époux légitimes se heurtent à des difficultés concernant leur nombre d’enfants Malgré cette difficulté à donner naissance à d’autres enfants, Gaudium et spes souligne que l’interruption de l’intimité conjugale pourrait faire courir des risques et compromettre le bien des enfants. On reste dans une situation légitime. Et l’intention des auteurs n’était que de traiter de situations conjugales, non extra-conjugales. L’abbé Barthe parle clairement de “référence indue” de la part d’Amoris laetitia, car le paragraphe 51 de Gaudium et spes “traite des actes du mariage à l’intérieur d’une famille légitime, dont l’abstention est difficile”.
Or, l’application de Gaudium et spes à des divorcés remariés laisse entendre que les “manifestations d’intimité” dans la situation d’une union illégitime constituent une nécessité pour “le bien des enfants”. Quant à la fidélité, on peut se demander en quoi elle continue à se poser dans une relation qui reste irrégulière… Autrement dit, la sexualité devient un droit et même une obligation dans une relation adultère, ce qui ne manque pas de piquant. En arrive-t-on à définir des contraintes dans un concubinage, ce qui est paradoxal, alors même que l’union légitime reste affaiblie ? On peut tout simplement s’interroger sur cette “sexualisation” qui vient à justifier l’impossibilité de mettre fin à une union illégitime: pour la fidélité du couple ou pour le bien des enfants, des concubins auraient donc le droit à une sexualité, ce qui, en conséquence, rendrait impossible tout retour en arrière et toute séparation, et pourrait justifier une plus grande bienveillance à l’égard de certaines situations irrégulières.
On voit bien le contresens manifeste – pour ne pas dire total – sur ce passage de Gaudium et spes à qui l’on fait dire ce qu’il ne dit justement pas. Une telle référence est inopérante dans la mesure où, d’emblée, Gaudium et spes ne vise pas une situation illégitime, même de loin. On peut se demander si le texte d’Amoris laetita a été relu ou même corrigé ou, tout simplement, si les remarques ont été réellement prises en compte. Peut-être a-t-il fallu faire vite, en très haut-lieu, pour opposer un texte à ceux qui avaient des réticences (et qui en auront encore plus !).
Le texte semble bâclé. Des textes amputés, partiellement cités, interprétés pour des choses qu’ils ne disent pas: ce n’est malheureusement pas le seul cas où cela arrive dans Amoris laetita. On est dans la plus grande peine à voir en quoi il y a un développement organique, comme certains se sont plu à souligner. Le développement du dogme vise à approfondir un enseignement précédent, non à la dénaturer. Le rique est patent, car il est difficile de dire en quoi les enseignements de Jean-Paul II et Benoît XVI sont confirmés ou précisés. S’il n’y a pas développement, il y a tout simplement corruption au sens newmanien du terme. L’Église aura assez de sagesse pour rectifier des propositions qui, par ailleurs, ne se sont pas voulues magistérielles.
Le feuilleton sur un texte à la fois long et pas toujours “bordé” théologiquement continue. Nous reviendrons ultérieurement sur ces différents aspects.
Dans ce cycle 2 du plan de rédemption dans lequel nous depuis la naissance de notre sainte Mère, à la Pentecôte, en l’an 33 de notre ère, nous les chrétiens catholiques, quelque soient nos diplômes (des biens naturels), nous devons avoir l’humilité pour ne pas toucher aux fondamentaux de l’Eglise que le Créateur peut réformer.