Deux théologiens de l’ombre, qui ont adopté la nouvelle ligne pontificale de morale, sont au travail pour la “réinterprétation” d’Humanæ vitæ, enseignement à classer sur l’étagère des « textes prophétiques » mais dépassés. L’opération doit être menée à son terme pour le cinquantenaire de l’encyclique condamnant la contraception, en 2018. C’est le grand dessein pour la fin du pontificat : faire sauter le verrou qui avait modéré (et peut-être sauvé) le Concile.
Le noyau dirigeant d’Amoris lætitia
Aujourd’hui, la véritable Congrégation pour la doctrine de la Foi est désormais à la Maison Sainte-Marthe, ou plus exactement chez les hommes qui ont l’oreille du pape pour imprimer à l’Église une ligne de « miséricorde », c’est-à-dire une conversion libérale.
Ces hommes s’étaient organisés en noyau dirigeant très efficace, lors des deux assemblées du synode sur la Famille, ont préparé l’exhortation Amoris lætitia autour du très influent cardinal Lorenzo Baldisseri, secrétaire général de l’assemblée, avec entre autres l’archevêque Bruno Forte, Mgr Vincenzo Paglia, alors président du Conseil pour la Famille, et Mgr Marcello Semeraro, président de commission épiscopale pour la doctrine de la foi à la Conférence des évêques d’Italie, évêque pour le siège suburbicaire d’Albano, très proche du tout-puissant cardinal Stella, préfet de la Congrégation du Clergé.
Leur influence s’étend maintenant sans partage sur tous les organismes du Saint-Siège qui s’occupent de morale, et qui formaient jusque-là la colonne vertébrale de la “Restauration” de Jean-Paul II et de Benoît XVI, à savoir l’Académie pontificale pour la Vie et, au sein de l’Université du Latran, l’Institut pontifical Jean-Paul II d’études sur le Mariage et la Famille. Il y avait aussi le Conseil pour la Famille, mais parmi les quelques nominations désastreuses qu’avait faites Benoît XVI était celle de Vincenzo Paglia comme président de ce Conseil, en 2012. Paglia n’étant pas pourprable (mis en examen en 2015 pour association de malfaiteurs, entrave à une enquête, fraude contre la ville de Narni, ville d’Ombrie dont il a été l’évêque, exercice abusif du crédit, il était accusé d’avoir utilisé indûment les fonds de son diocèse, déjà largement endetté), il a été nommé, le 15 août, 2016, président de l’Académie pontificale pour la Vie, et aussi grand chancelier de l’Institut Jean-Paul II, un poste créé tout exprès pour lui. Le même jour, Mgr Pierangelo Sequeri, 72 ans, qui n’a aucune compétence particulière en théologie morale (c’est un spécialiste de théologie esthétique et de musicologie), était nommé président de l’Institut Jean-Paul II pour la Famille.
Le 13 juin dernier ont été rendues publiques les nominations de 20 nouveaux membres de l’Académie pour la Vie. N’ont pas été reconduits : le philosophe Robert Spæmann, ami de Benoît XVI, le théologien américain John Finnis et l’Autrichien Josef Maria Seifert, défenseurs très pointus de la morale traditionnelle. Mais en revanche ont été nommés des partisans de la nouvelle ligne morale : Mgr Fernando Natalio Chomali Garib, archevêque de Concepción au Chili ; des non chrétiens comme Mohamed Haddad, professeur à l’Université de Carthage, Shinya Yamanaka , prix Nobel de médecine, Kostantinos Kornarakis, professeur à l’Université d’Athènes, les rabbins Avraham Steinberg et Fernando Szlajen ; Anne-Marie Pelletier, professeur à l’École cathédrale de Paris, militante de la nouvelle ligne. Et surtout, le moraliste Maurizio Chiodi, professeur à la Faculté de théologie de Milan, un anti-Humanæ vitæ déterminé.
Dans un article publié dans le bimensuel et sur le site Internet de L’Homme nouveau, « D’Humanæ vitæ à Amoris lætitia et retour », le philosophe Thibaud Collin démonte les graves implications de cette entreprise de « conversion pastorale ». Il évoque le groupe de travail désigné pour faire une enquête historique sur l’encyclique de 1968 : Mgr Pierangelo Sequeri, Mgr Angelo Maffeis, président de l’Institut Paul VI de Brescia ; l’historien suisse, Philippe Chenaux, conservateur utile qui servira de caution, professeur d’histoire à l’Université du Latran, qui est l’auteur de Paul VI, le souverain éclairé (Cerf, 2015) ; et surtout Mgr Gilfredo Marengo, professeur d’antropologie théologique à l’Institut Jean-Paul II, la cheville ouvrière du groupe de travail.
Gilfredo Marengo et Nicola Reali
Gilfredo Marengo a lancé l’offensive dans un article de Vatican Insider, du 23 mars 2017, « Humanæ vitæ et Amoris lætitia », se demandant si « le jeu polémique – la pilule oui, la pilule non – comme celui d’aujourd’hui – la communion aux divorcés oui, la communion aux divorcés non – n’est pas la simple manifestation d’un malaise et d’une tension beaucoup plus profonds dans la vie de l’Église. […] Chaque fois que la communauté chrétienne tombe dans l’erreur et propose des modèles de vie tirés d’idéaux théologiques trop abstraits et artificiellement construits, elle conçoit son action pastorale comme l’application schématique d’un paradigme doctrinal ». Pour être plus clair, Marengo citait le pape François : « Une certaine manière de défendre et d’accepter l’enseignement de Paul VI a probablement été l’un des facteurs qui ont fait que nous avons présenté un idéal théologique trop abstrait du mariage, presque artificiellement construit (Amoris lætitia, n. 36) ».
Gilfredo Marengo est en fait issu de Communion et Libération (CL). Il a été disciple d’Angelo Scola, une des principales figures de CL, qui fut recteur du Latran et président de l’Institut Jean-Paul II, avant de devenir patriarche de Venise puis archevêque de Milan. Scola (qui n’appuie plus Marengo dans ses positions actuelles) l’avait promu, en 2000, comme recteur du Collège pontifical du Latran (un convict pour clercs qui étudient au Latran). Gilfredo Marengo s’est fort mal acquitté de la tâche, ayant toutes sortes de difficultés avec les étudiants et séminaristes, et se montrant pour le moins fort mauvais gestionnaire, au point que son successeur, Mgr Pitta, aurait diligenté une sorte d’audit administratif et moral sur sa gestion.
Mais Marengo n’est pas seul. Son ami, Nicola Reali, professeur de théologie pastorale à l’Université du Latran, homme d’une plus grosse pointure intellectuelle, le suit comme une ombre et inversement : ubi Marengo, ibi Reali. Nicola Reali a fait sa thèse de doctorat sur l’eucharistie dans la phénoménologie de Jean-Luc Marion. Il est d’ailleurs le diffuseur de la pensée de Marion dans la péninsule (il a publié en italien son œuvre majeure, Étant donné et a aussi écrit : L’amore tra filosofia e teologia. In dialogo con Jean-Luc Marion, Presse du Latran, 2007).
Le nouveau pontificat leur a permis de se placer dans le camp des vainqueurs, se blanchissant notamment d’un passé vaguement conservateur, pour tenter de s’élever au rang d’étoiles intellectuelles d’un pontificat qui n’en compte guère. Le dernier livre de Nicola Reali, Lutero e il diritto. Certezza della fede e istituzioni ecclesiali (Luther et le droit. Certitude de la foi et institutions ecclésiales, Marcianum Press, 2017), essaie de montrer que la pensée de Luther n’était nullement de casser l’unité de l’Église, mais seulement de la provoquer à un renouveau. Et surtout que Luther ne pensait pas la certitude de la foi comme une croyance subjective, mais estimait nécessaire l’adhésion à l’institution ecclésiale ». Plus catholique que Luther, je meurs, nous explique Reali. Ou plutôt, plus franciscain que François…, car tout le livre est construit pour illustrer la sentence du pape, prononcée le 19 janvier 2017 : « L’intention de Martin Luther, il y a cinq cents ans, était de renouveler l’Église, pas de la diviser ».

Pour l’opération Humanæ vitæ le mode opératoire est simple : il va s’agir d’exhumer des documents de travail, relations de réunions, correspondances avec les conférences épiscopales, dans les archives de la Commission pontificale qui travailla de 1964 à 1966 sur la régulation des naissances. La Commission, on se souvient, avait conclu à la majorité (majorité incluant des membres et experts considérés comme conservateurs, comme le cardinal Joseph Lefebre, archevêque de Bourges, et le P. Labourdette, op) en faveur de la contraception et surtout en faveur de la non-infaillibilité des enseignements précédents du magistère sur la question. Paul VI, torturé, avait fini par renouveler la condamnation magistérielle. Certes, les conclusions de la Commission avaient déjà “fuité” en 1967. Mais le fait de ressortir aujourd’hui ces documents ne peut qu’être explosif. D’autant que L’Osservatore Romano de Giovanni Maria Vian, de même que Vatican Insider, chez lesquels Marengo, Reali et les autres ont leurs grandes entrées, seront des vecteurs puissants, sans parler de la Civiltà Cattolica du P. Antonio Spadaro. En tireront-ils le profit qu’ils escomptent ? Point n’est besoin d’être grand clerc, ou grand curialiste, pour comprendre que leur personnalité est peu fiable et qu’ils sont instrumentalisés par leurs hauts mandataires. Lesquels d’ailleurs risquent bien d’être pris eux-mêmes à leur propre piège en ranimant aujourd’hui les braises du débat sur l’infaillibilité du magistère.
Cher rédacteur,
Dans votre long article, vous distinguez des positionnements par rapport à la lettre encyclique Humanae Vitae, que vous associez bon gré mal gré à des personnes, de façon souvent lapidaire. Votre procédé, s’il souhaitait faire comprendre, se révèle assez contestable méthodologiquement et dans les faits. Quels éléments, en effet – pour ne prendre qu’un exemple – vous suggèrent que la théologienne Madame Anne-Marie Pelletier soit tenante d’une ‘nouvelle ligne’? Conclusion non justifiée pour cette enseignante d’exception, titulaire du prix Ratzinger et première femme à rédiger le chemin de croix du Pape au Colisée. Un abbé français.
Le Pape François n’a t-il pas déjà changé l’enseignement pourtant infaillible de l’Eglise sur la non accessibilité des personnes vivants en état de péché mortel aux sacrements ?
Merci pour cet article. Il donne des informations intéressantes, mais vous en tirez, semble-t-il, des conclusions trop déterminées pour ne pas laisser planer le doute sur l’engagement idéologique qui est le vôtre, engagement à la mesure de l’idéologie que vous estimez devoir dénoncer.
C’est dommage car sur la méthode il est heureux que les décisions magistérielles, quelle que soit le niveau d’adhésion qui leur est requis, soit interprétées et réinterprétées (c’est à dire reçues de manière vivante) au regard de leur contexte d’émergence tout comme de leur contexte de réception actuelle.
Par ailleurs, vous dénoncez des motivations politico-hiérarchiques biaisant le travail de ces théologiens. Il faut espérez que ce ne soit pas leur motivation première. Mais si le Pape François souhaite engager une réflexion sur le sujet, il est heureux qu’il le fasse en profitant du travail de théologiens.
J’imagine que tout cela est question de point de vue…
« Travail de théologiens » ……choisis ?
Le propre de l’idéologie et d’être fondée sur des a priori et un « travail » biaisé …….
A chacun de voir et de ne pas se cacher derrière son petit doigt
Engager une réflexion sur la validité d’une enseignement infaillible…..
Çes hommes du pape ?
Je passe sur cette expression qui rappelle le titre d’un mauvais film sur l’affaire du Watergate : le pape mérite un peu plus de respect, par principe.
Mais bon : ce n’est pas la peine de réfléchir autour de son petit doigt de papolâtre (vous ne l’êtes pas, je pense):: c’est: le pape François 1er EN PERSONNE qui est contre cet enseignement magistériel et l’ on se rappellera ses propos odieux sur ces catholiques « qui se reproduisent comme des lapins ».
Ce pape discrédite sa fonction voulue par Jésus-Christ : il mérite d’être déposé par les cardinaux.
comme quoi les combinazione et autres magouilles n’existent pas qu’à l’elysé. Les tradis vont recruter,c’est bien et si j’avais 20 anns de moins , j’irai chez eux.
tout ça est bien lamentable
Un seul espoir, une seule prière : que le pape François soit rappelé à Dieu rapidement.
Oui ,tout cela ne date pas d’hier mais bien de la décrépitude des papes qui ont succédé à Pie XII et du concile vatican 2 … et même notre pauvre Benoit XVI victime des complots des progressistes cardinaux de tout poil a du faire des compromis en cardinalisant des traitres de l’Eglise catholique … qui ont élu un hérétique sous l’influence de Satan et non du St Esprit comme trop de cathos le prétendent encore… pour peu de temps à mon avis
(suite)
Je suis bien conscient que mon propos sur ce thème semblera trop entier pour certains, peut-être même par l’auteur du présent article.
Mais il est peut-être utile de savoir que je ne suis pas le seul à déplorer cette sorte de complaisance des catholiques que nous sommes envers les dérives de plus en plus flagrantes que l’on constate au sein du gouvernement de l’Eglise universelle.
à titre d’exemple récent, voici un texte rédigé par un journaliste, en des termes plus précis et plus professionnels que les miens :
José Maria Permuy (Javier Navascués),El mito de la remenéutica de la continuidad, « Adelante la fe », 10 juillet 2017
(en espagnol ; la version anglaise de l’article, donc, une traduction, a été publiée par « Rorate caeli » ce 19 juillet sous l’intitulé : The myth of the Hermeneutic of Continuity)
Bien des maux dans cette Église…
Nos propres péchés sont-ils plus propres que ceux de nos voisins ? ? ?
Le dialogue demeure le meilleur moyen pour contrer la division…
Sommes-nous a déshabillé la belle prostituée ? ? ?
Prions + + +
L’histoire de l’Eglise regorge d’histoires de papes qui ont dit, en y mettant les formes, le contraire de leurs prédécesseurs : que reste-t-il du Syllabus de Pie IX mis en pièces par Vatican II, d’Humani generis de Pie XII relégué aux archives par Jean-Paul II (« l’évolution est plus qu’une hypothèse »)., des encycliques de Pie X condamnant la séparation de l’Eglise et de l’Etat… ? Même Benoît XVI considérait l’anthropologie d’ Humanae Vitae comme insuffisante. En fait, pas grand chose n’échappe à la contingence du moment, à part le Credo.
C’est pour cette raison que les églises se vident…..la vérité est immuable.
c’est aux fruits qu’on juge l’arbre. Si on applique ça à Amoris Laetitia…
Si o l’ applique à l’église Vatican II…
Inutile de discuter du sexe des anges.
Prions pour l’Eglise qui va très mal depuis Vatican II