L’homme n’est pas fait pour souffrir. Non seulement Dieu ne l’a pas créé pour cela, mais il l’a fait pour le bonheur. C’est du reste le moteur même de sa vie. La quête du bonheur est ce qui met les hommes en mouvement, les faire sortir d’eux-mêmes pour trouver hors d’eux ce qu’ils n’ont pas en eux. Ce désir est tellement viscéral, tellement existentiel que la quête du bonheur se prend souvent les pieds dans la fuite de la douleur. Quand le bonheur n’est pas identifié, quand il semble inaccessible ou lorsque la douleur est trop vive, l’horizon du bonheur se réduit bien souvent à limiter, éviter ou fuir la douleur.
C’est à cet endroit que se déchire l’unité si fragile et pourtant essentielle (au sens philosophique) entre vérité et charité. En voulant soulager la peine, il arrive alors qu’on renonce au bonheur. Entendons par là que pour faire du bien, nous renonçons à faire le Bien. Benoît XVI le rappelait dans son encyclique Caritas in veritate, au sujet de certaines organisations humanitaires catholiques devenues des coquilles vides, à partir du moment où pour soulager une blessure immédiate, elles renonçaient à ouvrir au bonheur absolu qu’est la vie en Dieu.
Avec la plus pure et la plus belle intention du monde nous voyons des cœurs généreux se donner sans compter pour éradiquer la douleur, soulager les peines les plus lourdes de la vie. Mais ce faisant, parce qu’elles sont accaparées par le désir de faire du bien, elles ne voient plus où est le bien.
Telle est la logique de l’avortement, de l’euthanasie, du mariage dit pour tous, mais aussi de l’assistanat, de la contraception, bref de tout ce qui relativise le bien absolu. Faire du bien ne peut être contraire à faire le bien. Une action transitoire qui n’a pas pour finalité le bien n’est pas davantage un moindre mal. C’est tout simplement un mal.
Tous les élans du cœur sont justes, parce qu’ils tiennent quelque chose de la compassion divine. Mais pour s’inscrire dans la miséricorde divine encore faut-il que la réponse à l’élan du cœur ne ferme pas la maison du Père. Là est la grande difficulté que souligne Benoît XVI, la charité ne se trouve que dans la vérité. Or la vérité est également un chemin qui conduit à la vie, c’est-à-dire au bien réel qu’est l’union à Dieu. Le Christ nous le dit lui-même. Mieux vaut entrer borgne au royaume des cieux que de conserver la vue dans la géhenne.
Si les chrétiens, en toutes leurs actions, caritatives ou autres, gardaient sans cesse à l’esprit l’ordre des priorités et maintenaient leur regard sur ce bien ultime qu’est la vie intime avec Dieu, le bien qu’ils feraient serait non une illusion de bien mais le bien lui-même. Pour faire le bien, il nous faut projeter notre regard au loin et illuminer notre quotidien, et donc notre agir, de cette contemplation.
Ainsi peut-être se réduirait cette tension entre les intégristes de la charité et les intégristes de la vérité, car Benoit XVI nous rappelle qu’en fait, pour être disciple de l’un il faut être fils de l’autre.
Cyril Brun